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Les méandres de l'oubli
22/05/2012

Les souvenirs ont des vertus, mais l'oubli en a aussi. Si notre mémoire épisodique, potentiellement illimitée, n'évacuait pas nombre des souvenirs sans lien avec nos objectifs, la poursuite de ces derniers serait entravée par l'encombrement auquel devraient faire face nos ressources cognitives. Une équipe de l'Université de Liège s'est penchée sur les mécanismes cérébraux de l'oubli volontaire. Ces travaux originaux ont fait récemment l'objet d'une publication dans la revue Plos One.

Cerveau-sommeilNotre mémoire n'est pas une entité monolithique, mais un ensemble de systèmes et de sous-systèmes indépendants en interaction, chacun avec ses soubassements cérébraux spécifiques. Retenir deux nombres quelques instants dans la perspective d'un calcul mental ne relève pas des mêmes processus que ceux qui nous permettent de nous souvenir que Buenos Aires est la capitale de l'Argentine ou encore que ceux qui sous-tendent le stockage et le rappel d'événements personnellement vécus, comme le fait d'avoir dîné la semaine précédente dans un nouveau restaurant italien avec deux collègues de travail. Si l'on se réfère au modèle proposé en 1995 par Endel Tulving, de l'Université de Toronto, le système de mémoire sollicité dans le premier cas est la mémoire de travail; dans le deuxième, la mémoire sémantique et dans le troisième, la mémoire épisodique.

Tulving, dont les travaux demeurent la référence, suggéra en fait l'existence de cinq systèmes de mémoire principaux : quatre relatifs à la mémorisation à long terme (les mémoires épisodique, sémantique et procédurale ainsi que les systèmes de représentation perceptive) et un centré sur le court terme, la mémoire de travail. Cette dernière, dont la mission est de maintenir temporairement une petite quantité d'informations sous une forme aisément accessible pendant le traitement de tâches cognitives diverses - calcul mental, composition d'un numéro de téléphone dont on vient de prendre connaissance dans l'annuaire... - a des ressources limitées puisque, chacun a pu l'expérimenter, nous sommes incapables de retenir simultanément de nombreuses informations destinées à un traitement immédiat.

« Par contre, la mémoire épisodique est potentiellement illimitée dans le sens où tout événement vécu par l'individu est enregistré et traité par son cerveau et peut théoriquement être mémorisé », indique Christine Bastin, neuropsychologue post-doctorante et chercheuse au Centre de Recherches du Cyclotron (CRC) de l'Université de Liège. Elle ajoute néanmoins que la plupart des choses que nous vivons sont sans rapport avec nos buts essentiels, n'ont donc pas de signification profonde pour nous et, partant, vont être spontanément évacuées de notre mémoire.

Biais de positivité

Si la mémoire épisodique n'éliminait rien, si elle gardait trace d'éléments sans pertinence par rapport à nos buts, nos ressources cognitives seraient inutilement encombrées. Maître de recherches du FNRS au sein du CRC et du service de neurospychologie de l'ULg, Fabienne Collette  estime que même nos relations sociales seraient perturbées si nous n'oublions pas nombre d'informations, finalement sans intérêt, issues de notre vécu. « Si, par exemple, le souvenir du moindre incident qui vous a opposé à une personne était susceptible d'investir votre esprit à chaque instant, vous pourriez difficilement entretenir une relation harmonieuse avec cette personne », dit-elle.

Quelques cas d'hypermnésie ont été décrits dans la littérature. Les individus concernés n'arrivent pas à oublier. À la moindre occasion, le souvenir d'événements négatifs, même mineurs, ressurgit, de sorte que leur vie en devient insupportable et qu'ils se plaignent de cette mémoire qui les accable. « L'oubli est adaptatif », insiste Fabienne Collette.

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