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Le langage humain, fruit de l'évolution ?
14/11/2016

Pour certains chercheurs, qui tendent à le circonscrire erronément à la parole, le langage serait une propriété purement humaine. Dans un essai paru récemment aux Presses Universitaires de Liège, le professeur Jean Adolphe Rondal développe de façon convaincante l'idée inverse. Plusieurs ingrédients majeurs du langage humain seraient déjà présents sous une forme élémentaire chez diverses espèces animales. Et l'évolution aurait accompli son œuvre...

COVER Origines LangageÀ en croire Descartes, une des différences majeures entre l'homme et l'animal serait que le premier possède le langage, contrairement au second. Cependant, le philosophe français ne précise pas ce que recouvre exactement à ses yeux  le concept même de langage. Le célèbre linguiste américain Noam Chomsky, professeur émérite du Massachusetts Institute of Technology (MIT), n'en a cure puisqu'il soutient sans réserve la thèse de Descartes. Auteur d'un ouvrage récent intitulé D'où vient le langage humain ? Essai de reconstitution évolutive (1), le psychologue et linguiste Jean Adolphe Rondal, professeur émérite de l'Université de Liège (ULg), s'interroge : « Chomsky se réfère-t-il à l'ensemble des composantes constitutives du système langagier humain ou seulement à certaines d'entre elles, comme la syntaxe ? » Le fait est que, malgré l'imprécision de ses propos, le linguiste américain parle du langage comme d'une propriété d'espèce, sans aucun analogue significatif chez d'autres organismes que les êtres humains. Il écrit : « Il n'y a aucune raison sérieuse de mettre en doute aujourd'hui l'idée cartésienne que la capacité à utiliser des signes linguistiques pour exprimer des pensées librement conçues constitue la véritable séparation entre l'homme et la bête. »

Dans son essai, Jean Adolphe Rondal défend l'idée inverse, se proposant, comme il le souligne dans la préface de son livre, de fournir au lecteur une analyse de l'évolution qui a permis sur une très longue période de temps de construire la fonction langagière humaine. À la lumière des travaux scientifiques, il apparaît clairement que le langage n'est pas l'apanage de l'homme, qu'il est aussi une réalité du monde animal. Mieux encore, le professeur Rondal tire profit des recherches réalisées notamment chez les abeilles mellifiques (productrices de miel à partir du nectar des fleurs), les singes et les mammifères aquatiques pour montrer que certaines composantes du langage humain sont déjà présentes dans la nature, fût-ce parfois sous une forme rudimentaire. Pour lui, il n'y a pas de rupture de continuité entre le langage dont sont dotées, à des degrés divers, les espèces animales et le langage humain. La différence ne serait donc pas qualitative, mais quantitative. En parcourant la phylogenèse, l'évolution langagière (car ce serait bien d'évolution qu'il faut parler) s'inscrirait sur un continuum. « On est autorisé à concevoir (…) le langage humain moderne comme résultant de l'optimisation d'habiletés préfigurées parmi les espèces animales et chez nos précurseurs au sein du genre Homo », écrit le psychologue de l'ULg.

Au-delà des mots

À côté de nombreux travaux dédiés à des questions très spécifiques, peu de recherches de caractère général ont été consacrées à l'origine du langage humain. Selon le philosophe italien Francesco Ferretti, de l'Université de Rome, cette relative pauvreté de la littérature serait une conséquence lointaine de la décision prise en 1866 par la Société linguistique de Paris d'interdire la présentation de rapports relatifs à la question de l'origine du langage. En effet, au grand dam de l'institution, l'absence de données fiables sur le sujet avait servi de terreau à une floraison de considérations éminemment spéculatives, voire farfelues. Est-ce là réellement la source première d'une forme d'« abstinence scientifique » qui aurait perduré jusqu'à nos jours ? Peut-être... « On a le sentiment que les chercheurs ont peur de s'aventurer trop avant dans ce domaine, rapporte Jean Adolphe Rondal. Et quand ils franchissent le pas, c'est le plus souvent pour conclure que le langage humain reste un mystère insondable. »

Pour notre interlocuteur, travailler sur l'origine du langage humain nécessite à la fois des connaissances approfondies en psychologie, afin de pouvoir interpréter les expérimentations animales, et en linguistique. Or, la plupart des chercheurs ambitionnant d'explorer ce domaine ne gravitent que dans une de ces sphères de compétence. Ainsi, dans son livre Aux origines du langage humain. Le point de vue évolutionniste, sorti en 2015 chez L'Harmattan, Francesco Ferretti ne cite d'autres travaux d'expérimentation animale que ceux entrepris à la fin des années 1960 par les époux Allen et Beatrice Gardner, psychologues à l'Université du Nevada, à Reno, avec un chimpanzé femelle baptisé Washoe.

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