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Le langage humain, fruit de l'évolution ?
11/14/16

Une des difficultés de la recherche sur les origines du langage humain tient à la polysémie régnant autour du terme « langage ». On relève nombre de confusions, y compris au sein de la communauté des linguistes, sur les notions de « langue » et de « langage », d'aucuns assimilant erronément la première au second ou inversement. Dans le grand public, la confusion parole-langage est commune.Or, la parole n'est qu'une modalité du fonctionnement langagier, même si d’une grande importance.

Dans les années 1930, un couple de chercheurs, les Kellogg, élevèrent chez eux un bébé chimpanzé femelle, du nom de Gua, en compagnie d'un bébé humain. L'un et l'autre étaient traités de la même façon, y compris sur le plan de la stimulation langagière. Gua ne put jamais prononcer un seul mot. Une vingtaine d'années plus tard, un autre couple, les Hayes, réitéra la même expérience avec un autre jeune chimpanzé femelle, Viki. « Mais après plusieurs années d'entraînement, elle ne pouvait prononcer que quatre mots de l'anglais (dad, mam, cup, « tasse », et up, « en haut »), médiocrement articulés, et en comprendre une petite dizaine », indique Jean Adolphe Rondal dans son essai. Conclusion avancée à l'époque : puisque les singes sont incapables de parler, ils ne possèdent aucune capacité langagière.

C'était aller un peu vite en besogne, confondre langage et parole. Et renvoyer nos congénères sourds-muets dans un ghetto d'incommunicabilité. Par ailleurs, on sait aujourd'hui que les primates sont dépourvus des structures anatomiques et neurologiques sur lesquelles s'appuie la parole humaine. En réalité, ainsi que le précise le professeur Rondal, le langage « peut emprunter virtuellement n'importe quelle modalité sensori-motrice ». Il s'agit d'une fonction neuropsychologique permettant de communiquer au moyen d'un code, quelle que soit la nature de ce dernier. Chez l'humain, les trois modalités les plus utilisées sont le langage parlé, le langage écrit et le langage des signes gestuels. Mais il en existe d'autres, tels les langages tambourinés d'Afrique  ou le silbo, espagnol sifflé qu'employaient les habitants de l'île de la Gomera, aux Canaries, pour communiquer d'une montagne à l'autre.

Le manège des abeilles mellifiques

Comme le mettent en évidence les observations cliniques ainsi que les recherches en neurologie et en neuropsychologie du langage, le système langagier humain est formé de diverses composantes : le lexique (ensemble des mots constituant une langue), la morphosyntaxe (ordre des mots et morphologie grammaticale : genre, nombre, accords...), la matrice sémantique (rapports de sens entre les mots), les régulations pragmatiques (aspects sociaux et communicatifs) et l'organisation du discours (ensemble de phrases). Ces composantes sont caractérisées par leur dissociabilité, c'est-à-dire leur autonomie l'une par rapport à l'autre. Par exemple, à la suite de telle ou telle lésion cérébrale, un individu pourra perdre toute aptitude syntaxique (organisation des énoncés), tout en conservant des capacités lexicales largement intactes. Jean Adolphe Rondal insiste sur la nature fondamentalement modulaire du système langagier. Ce qui constitue un élément cardinal en faveur de l'hypothèse d'une construction évolutive du langage humain au cours de la phylogenèse. « En effet, écrit-il, s'il se trouve que les composantes en question sont effectivement dissociables et donc disposent d'une certaine autonomie au sein du système langagier, où elles sont normalement intégrées, on est en droit de postuler qu'elles ont pu exister préalablement (c'est-à-dire dans l'évolution des espèces) à l'état isolé et que le système global ait fait l'objet d'un processus de construction par assemblage des composantes et intégration des diverses sous-fonctions. Qui dit dissociabilité dit en effet combinabilité. »

La question est donc posée : les composantes majeures du système langagier humain se retrouvent-elles dans le règne animal, fût-ce éventuellement sous une forme rudimentaire, et se sont-elles complexifiées et combinées à travers l'évolution des espèces et du genre Homo jusqu'à offrir à Homo sapiens sapiens (nous) le potentiel de communication qui est le sien ?

Origine Langage2Ici, l'expérimentation animale est primordiale pour démêler l'écheveau.

Au sein de toutes les espèces animales présentes dans la nature existe une communication entre les individus qui les composent. Un simple signal, par exemple pour donner l'alerte à l'approche d'un prédateur, ressortit déjà à la fonction langagière. Toutefois, pour mener jusqu'à nous, encore faut-il que cette dernière inclue, au moins « à l'état embryonnaire », l'une ou l'autre composante de notre propre langage. Il a été montré que c'était déjà le cas chez les abeilles mellifiques.

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