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La politique étrangère d’Obama : y avait-t-il un pilote dans l’avion ?

03/11/2016

En cette fin de deuxième mandat, le président américain, Barack Obama, essuie de multiples critiques quant à son bilan en matière de politique étrangère. Accusé de ne pas avoir eu de doctrine claire contrairement à son prédécesseur Georges W. Bush, Obama se voit en outre pointé du doigt comme le fossoyeur de la puissance américaine et de son leadership dans le monde.  Pourtant, bien que le bilan soit effectivement mitigé, il mérite d’être analysé hors du champ des caricatures. C’est ce que Sebastian Santander, Professeur de Science politique et directeur du Center for International relations Studies de l’Université de Liège, s’est employé à faire dans un article (1) intitulé : « L’administration Obama a-t-elle (vraiment) navigué à vue sur la scène mondiale ? » 

Obama PortraitCe procès fait à Barack Obama se nourrit de plusieurs éléments, parmi lesquels l’attitude même et les mots du Président ont une part importante. En effet, dès son accession à la Maison Blanche, Barack Obama n’a eu de cesse de se distinguer de Bush junior. Son style est sans conteste très différent, « c’est quelqu’un qui participe à beaucoup de réunions dans lesquelles il fait intervenir des proches et des moins proches. Il veut prendre l’avis de tout le monde et il a du mal à trancher. Il est très analytique ce qui ralentit la prise de décision », explique le Professeur Sebastian Santander. Laissant de côté les propos manichéens et une division binaire du monde entre « axe du Bien » et « axe du Mal », « Obama se présente comme pragmatique et résolveur de problèmes. Il dit ne pas suivre de ligne idéologique prédéterminée et agir en fonction des dossiers tels qu’ils se présentent ». Tout au long de son mandat, de 2009 à 2016, l’actualité internationale aura été marquée par de fortes secousses et des bouleversements majeurs, notamment au Moyen-Orient. Ce contexte agité aura obligé Obama et son administration à s’adapter en permanence, quitte parfois à revenir en arrière et à donner l’impression d’une absence de stratégie et d’un manque de lisibilité. Les détracteurs de cette politique soulignent par exemple l’incohérence dans les dossiers afghan et irakien. Alors que le Président s’était engagé avant son élection à retirer les troupes américaines d’Afghanistan et d’Irak pour les rapatrier, il n’a en réalité effectué ce retrait qu’en Irak pour mieux consolider les troupes au sol en Afghanistan. Ce n’est pas la seule annonce à n’avoir pas été suivie d’effet puisque dans le cas de la Syrie, l’utilisation par le régime de Bachar El-Assad d’armes chimiques contre une partie de sa population avait été définie comme une « ligne rouge » qui, si elle était franchie, provoquerait une intervention armée des Etats-Unis sur le sol syrien. Une position qui cadrait mal dès le départ avec la volonté affichée d’Obama de ne plus engager les Etats-Unis dans des opérations militaires de grande envergure de plus en plus mal perçues par l’opinion publique américaine. Il n’empêche, le décalage entre les déclarations publiques et les actions entreprises n’aura fait que corroborer la thèse selon laquelle de tergiversations en tergiversations, l’administration Obama n’aurait fait que naviguer à vue, se distinguant en cela de toutes les administrations précédentes.

Intérêt pour les pays émergents

Pourtant, un examen plus approfondi et objectif oblige à plus de nuances ainsi que le démontre le Professeur Santander. Les années Bush avaient considérablement noirci l’image des Etats-Unis dans le monde et il convenait d’échanger une politique messianique contre une stratégie de renouvellement de la puissance américaine qui permette de « redorer le blason » états-uniens. C’est à cette tâche ardue qu’Obama s’est attelé avec plus ou moins de succès selon les cas. Au passif, il convient de souligner l’absence de fermeture de la prison de Guantanamo et l’enlisement du dossier israélo-palestinien. De même, la politique de la « main tendue » engagée avec la Corée du Nord et avec la Russie n’a pas donné les résultats escomptés malgré la volonté d’Obama d’entamer un dialogue. Cependant, d’autres initiatives ont constitué un succès. Il en va ainsi de la reprise des relations avec Cuba, une cause défendue depuis longtemps par le Président américain alors qu’il n’était encore que sénateur. D’autre part, le cas iranien constitue un autre progrès notable, résultat d’une politique résolument pragmatique. 

« Obama s’est rendu compte de l’influence certaine de l’Arabie Saoudite dans la région, influence créée par le fait de l’absence d’une puissance régionale comparable. La réhabilitation de l’Iran devrait pallier ce manque et aboutir selon la stratégie suivie à augmenter son pouvoir relatif pour que ces deux acteurs régionaux que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran se neutralisent ». Obama aura également été très actif dans son intérêt pour les pays émergents, en particulier en Asie-Pacifique. Partageant la méfiance de ces pays par rapport à la volonté expansionniste chinoise, il aura engagé les Etats-Unis dans un renforcement du maillage d’alliances dans la région selon la stratégie dite du « pivot ». Le Professeur Santander évoque à cet égard les alliances conclues avec des Etats situés dans le périmètre chinois, tels que l’Inde, le Japon, la Corée du Sud ou encore le Vietnam et l’Indonésie. A noter également que sur base de cette politique, les Etats-Unis ont soutenu la candidature indienne pour l’obtention d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Enfin, parce que l’Asie est devenue incontournable sur le plan économique et commercial, un projet de partenariat transpacifique (TPP) a vu le jour tout en excluant la Chine. Cette future zone de libre-échange rassemblerait les Etats-Unis et d’autres pays américains comme le Canada, le Mexique, le Pérou et le Chili avec des Etats d’Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande), d’Asie du Sud-Est (Vietnam, Malaisie, Singapour, Brunei) et d’Asie orientale (Japon).

« Empreinte légère »

Enfin, alors que l’interventionnisme de son prédécesseur était revendiqué haut et fort, Obama aura privilégié une méthode plus discrète dans sa lutte contre le terrorisme, celle dite de l’« empreinte légère ». Il faut comprendre ici l’utilisation au maximum des moyens technologiques dans l’objectif de réduire les coûts humains jusqu’à atteindre « zéro mort ». Ainsi, les drones de combat ont été multipliés par dix sous Obama. Certains pays du Sahel ou de la Corne de l’Afrique comme Djibouti servent de base avancée au lancement de ces drones pour toutes sortes d’opérations, y compris des « guerres secrètes » et parfois illégales. Ce dernier point amène à relativiser les différences qui pourraient exister entre l’administration Bush et Obama puisque dans les deux cas il y a l’idée qu’il est légitime de recourir à la force en dehors de toute base juridique dans un pays tiers lorsque la traque des ennemis de l’Amérique rend cela nécessaire. D’une manière plus générale d’ailleurs, le Professeur Santander souligne une certaine forme de continuité entre les différentes administrations qui se sont succédé à la Maison Blanche : « Il faut savoir que les conseillers autour de Bush étaient déjà là sous Nixon. Donc il y a quand même des vases communicants entre les différentes administrations. Rares sont les politiques étrangères qui font table rase du passé. » A méditer à l’approche des prochaines élections américaines.

Obama-Modi FR

(1) L’administration Obama, a t-elle (vraiment) navigué à vue sur la scène mondiale ? In Recherches internationales, vol. 106, 2016.


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