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La coccinelle asiatique mobilisée dans la lutte anti-pucerons
25/10/2016

La-coccinelle-mangeuse de-pucerons2Ce "coup double", du moins au laboratoire, s'avéra efficace. "Couplé à une chromatographie gazeuse (NB: permettant de quantifier et d'identifier les molécules odorantes), un système de prélèvement d'odeurs nous a permis de constater que les billes d'alginate, après un pic initial assez bref, diffusaient les deux sémiochimiques d'une façon très constante pendant sept jours consécutifs, ce qui est concluant. En d'autres termes, nos billes diffusaient des doses très proches de ce qu'une population classique de pucerons et de coccinelles femelles émettent dans la nature sous la forme de phéromones. Nous aurions pu, certes, augmenter encore un peu la dose diffusée, pour augmenter l'attraction. Mais c'eût été prendre le risque de perturber inutilement les coccinelles mâles et d'induire un comportement non souhaité. Lors de ces manipulations, nous avons également testé l'attractivité de nos billes d'alginates encapsulées sur des syrphes ceinturés (Episyrphus balteatus), un diptère qui se déplace bien plus fréquemment par le vol que les coccinelles. Là aussi, l'expérimentation s'est avérée très concluante". A ce stade, Bérénice Fassotte avait donc parfaitement atteint les deux objectifs de son doctorat: l'identification de la phéromone sexuelle de la coccinelle asiatique et la mise au point d'une diffuseur d'odeur efficace. Ajoutons brièvement qu'en plus, elle avait réalisé une revue bibliographique internationale sur la reproduction des coccinelles, réussissant à la faire publier dans la "bible" du secteur: le Journal of Pest Sciences (2)… Il restait donc à démontrer, à ce stade, que ce diffuseur d'alginate était efficace sur le terrain, et pas seulement en laboratoire. 

Le "Paintball" à la rescousse

C'est là que les choses se sont gâtées, en bonne partie à cause des conditions météorologiques de l'été 2015. "Forts de notre expérience d'inventaire des insectes aphidiphages (consommateurs de pucerons) en grandes cultures, nous savions que nous courions tôt ou tard le risque d'une saison pauvre en pucerons, donc en coccinelles. Et c'est exactement ce qui s'est passé! Installés sur plusieurs parcelles de froments et de féveroles de la ferme expérimentale de Gembloux Agro-Bio Tech, nos diffuseurs n'ont pu livrer que des résultats épars, statistiquement non significatifs. Puis, en 2016, faute de financement, l'expérimentation in situ n'a pu être renouvelée". Un cul de sac, dès lors? Non. "Les billes d'alginate sont actuellement testées en Chine par mon collègue Frédéric Francis grâce à des financements belges et chinois. Là, dans des régions plus sèches, elles ouvrent de grands espoirs. Il faut bien reconnaître qu'elles ne semblent pas adaptées à l'humidité de nos régions: proches des huiles, les terpènes ne sont pas hydrosolubles". Il en faut davantage, toutefois, pour freiner l'enthousiasme de François Verheggen. Qui, à l'heure où ces lignes sont écrites, travaille sur d'autres formes de matrice susceptibles de constituer de bons diffuseurs d'odeurs. L'une d'elles, à base d'un polymère ceint d'une membrane de caoutchouc, bien connue dans le petit monde de la lutte intégrée, présente l'inconvénient de ne pas être biodégradable: il s'agit donc de trouver une parade à cet inconvénient. L'autre piste, développée avec une entreprise française, consiste à mettre au point des billes plus grosses (deux ou trois centimètres de diamètre), dans laquelle les molécules seraient encapsulées et diffusées pour éloigner les ravageurs des vergers de noyers. Au moyen de propulseurs inspirés des jeux de "Paintball", des "tireurs" postés au sol pourraient les envoyer jusqu'aux cimes des arbres, veillant ainsi à une diffusion homogène dans toute l'arboriculture visée.

Craintes infondées

Si l'expérience menée aux champs avait pu être menée comme prévu, il eût été intéressant d'observer le comportement réel des coccinelles mâles. Il ne suffit pas, en effet, d'être attirés à l'endroit exact où infestent les pucerons. Il leur faut encore, idéalement, ingérer en masse les pucerons, ce qui est le but du "jeu"! Une autre question demeure, liée à l'interspécificité: la phéromone sexuelle identifiée chez Harmonia axyridis est-elle plus ou moins identique à celle qui agit chez les autres espèces de coccinelles? Chez les pucerons, c'est le cas. "Nous espérons avoir la réponse à cette question d'ici deux années, grâce aux travaux de Pauline Legrand, qui vient de débuter une thèse de doctorat et qui abordera ces questions

Reste la question de savoir si, en "nourrissant" la coccinelle asiatique, déjà bien encombrante dans nos écosystèmes, on ne court pas un risque non négligeable: des individus de Harmonia axyridis, bien repus de pucerons, ne sont-ils pas de nature à se reproduire en plus grand nombre et à augmenter leurs chances de survie pendant l'hiver? Rompu à ce genre de questions, François Verheggen ne se laisse pas démonter. "Il faut bien comprendre que toute notre stratégie consiste en réalité à déplacer des coccinelles déjà existantes. Et cela, depuis des sites où elles vivent dans des conditions parfaites pour elles (par exemple, des bouquets d'orties) vers des milieux qui leur conviennent moins, comme des cultures de céréales. Ce déplacement "forcé" est plutôt de nature à les affaiblir, à les gêner. En outre, il s'agit d'agir préventivement, c'est-à-dire de les attirer sur le blé (par exemple) dès l'arrivée des tout premiers pucerons, qui sont encore en petit nombre. Il ne s'agit donc pas de leur offrir une alimentation abondante. Enfin, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'en se précipitant sur les céréales grâce aux odeurs diffusées, les coccinelles asiatiques laissent la place libre aux coccinelles indigènes. Dont les larves, rappelons-le, sont des proies de prédilection pour la coccinelle asiatique". Les chercheurs de Gembloux sont loin d'en avoir fini avec Harmonia axyridis et.... avec toutes les autres coccinelles présentes dans la nature. 

VIDEO Coccinelle asiatique danger?

L'invasion de la coccinelle asiatique, un danger?
Importée volontairement à la fin des années 90 en Europe pour lutter de manière biologique contre les pucerons, la coccinelle asiatique est devenue une espèce invasive. Elle se reproduit très rapidement, colonise les habitats et mange nos propres coccinelles. Les dégâts sont nombreux : attaque de la biodiversité, nuisances visuelles, olfactives, etc.  Comment la reconnaitre? Comment s'en débarrasser? La réponse en vidéo!

 

(2) The scent of love: how important are semiochemicals in the sexual behavior of lady beetles? Journal of Pest Science, July 2016.

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