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La coccinelle asiatique mobilisée dans la lutte anti-pucerons
25/10/2016

Une des manières d'utiliser l'insecte consisterait, partout où les pucerons sont susceptibles d'endommager les cultures (surtout par propagation de divers virus via la sève dite "élaborée", le phloème), à attirer les coccinelles par des substances imitant leur phéromone sexuelle. Faire "croire" aux mâles, en quelque sorte, que des femelles de la même espèce sont présentes. Les leurrer, en fait, pour les pousser à se déplacer là où ils peuvent exercer librement leur appétit de pucerons. Et cela, le plus tôt possible dans la saison, dès l'arrivée de la toute première génération de pucerons invasifs, voire avant. On sait de longue date, en effet, que les pucerons ont un cycle de reproduction qui, dans des circonstances météorologiques favorables, peut s'avérer très court: une semaine à peine. Il faut donc faire en sorte que les coccinelles se précipitent sur ceux-ci avant même qu'ils soient pourvus d'ailes et, de là, éviter qu'ils se déplacent plus loin dans les cultures en dispersant les virus.  

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La phéromone sexuelle et son "double"

C'est dans cet esprit que la détermination de la composition exacte de la phéromone sexuelle de la coccinelle asiatique a fait grand bruit, fin 2014, à Gembloux et bien au-delà. "La phéromone sexuelle est composée de cinq terpènes, c'est-à-dire des molécules à 15 carbones issues de la fusion de trois molécules de type isoprène. Cette découverte fondamentale, réalisée par Bérénice Fassotte pendant son doctorat (1), n'est toutefois pas la seule à nous avoir réjoui, s'enthousiasme François Verheggen. Aujourd'hui docteure en bio-ingénierie, celle-ci a également découvert que l'un de ces terpènes, le béta-caryophyllène, était clairement majoritaire dans la phéromone d'Harmonia axyridis, à raison de 85 % en poids relatif. Surtout, en utilisant des olfactomètres (NB: dispositifs servant à tester la réactivité des insectes à certaines odeurs), elle a constaté qu'un mélange se limitant à quatre de ces terpènes (disponibles sur le marché à bas prix) et faisant l'impasse sur le cinquième (très onéreux, lui), était parfaitement efficace en termes d'attraction des coccinelles". 

Voilà donc pour la mise au point du produit censé manipuler les coccinelles. Encore fallait-il diffuser ce produit à la bonne dose et avec une continuité optimale, c'est-à-dire s'étalant sur plusieurs jours, sous peine d'être jugé peu intéressant par les agriculteurs. "L'identification de la phéromone sexuelle avait déjà été, en soi, un premier défi considérable, souligne François Verheggen. Il faut en effet bien réaliser que les coccinelles n'émettent pas leurs phéromones dans n'importe quelles circonstances. Elles doivent avoir la "garantie" - à ce stade, on en ignore encore le mécanisme - que leur descendance aura de quoi subsister, c'est-à-dire qu'il y a suffisamment de pucerons dans leur environnement. Il nous a donc fallu passer par des manipulations très délicates. Mais, une fois cette étape de l'identification franchie avec succès, c'est un second défi de taille qu'il a fallu relever! Comment mettre au point un diffuseur d'odeurs qui soit suffisamment efficace, sachant que les molécules utilisées pour l'attraction sont souvent instables à l'air, à l'humidité, à la lumière... et perdent de ce fait leur efficacité?"

Travail d'équipes

C'est ici que le Laboratoire d'entomologie fonctionnelle et évolutive a pu compter sur l'expertise du Laboratoire de chimie analytique du Pr Georges Lognay, situé également à Gembloux. Avec Stéphanie Heuskin, Première assistante, Bérénice Fassotte a mis au point des matrices constituées de billes d'alginate. L'alginate de sodium est un polymère formé d'une chaîne de glucides sur laquelle se greffe du calcium. Additif alimentaire bien connu (il est commercialisé sous l'appellation E 401), l'alginate a la particularité de contribuer aisément à la fabrication d'une matrice gélifiante, dans laquelle on peut encapsuler diverses molécules sans émission d'odeurs parasites. Les deux chercheuses ont donc mis au point des micro-billes d'alginate d'un ou deux millimètres de diamètre, contenant non seulement le béta-caryophyllène mais aussi un autre terpène: le trans-béta-farnésène. Pourquoi cet ajout? "Dans ma propre thèse, quelques années auparavant, j'avais démontré que cette molécule très proche du béta-caryophyllène était présente dans la phéromone des pucerons: elle attire la coccinelle. Stéphanie Heuskin, de son côté, l'avait utilisée dans son propre travail de mise au point des billes d'alginate. En ajoutant ce terpène à notre matrice, nous faisions donc potentiellement coup double: nous avions d'une part un sémiochimique (NB: odeur) attirant strictement les mâles de coccinelles (le béta-caryophyllène) et, d'autre part, un sémiochimique imitant l'odeur des pucerons, donc susceptible d'attirer autant les mâles que les femelles de coccinelles (le farnésène)".

(1) Sexual attraction in lady beetles: fundamentals and applications, Doctoral thesis of Bérénice Fassotte, Gembloux Agro-Bio Tech, April 2016.

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