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Coup de projecteur sur la bactérie Escherichia coli

17/04/2012

En mai 2011, l’Allemagne a dû faire face à une contamination par « la bactérie E. coli EHEC ». Près d’un an plus tard, des scientifiques publient une synthèse mettant en lumière les véritables causes de cette catastrophe qui a longtemps suscité beaucoup de questions et d’approximations. Dans cette publication, les chercheurs proposent également une nouvelle nomenclature qui devrait permettre de mieux distinguer les différentes souches de la bactérie, souvent confondues et pourtant bien différentes.

E-Coli2L’écho médiatique de l’épidémie flotte encore quelque part dans les mémoires. En mai 2011, l’Allemagne est ébranlée par une épidémie provoquée par une souche jusqu’alors inconnue de la bactérie E. coli. En quelques semaines à peine, les cas d’intoxication se multiplient pour atteindre le chiffre de 4000, dont plus de 96% en Allemagne. Toutes les personnes atteintes sont victimes d’une intoxication due à une source alimentaire commune. Si la source est la même pour tous et si la maladie ne se répand pas de personne à personne, c’est qu’elle n’est pas – ou disons très peu – contagieuse. Pourtant, les cas se multiplient en très peu de temps, et l'inquiétude gagne rapidement l’ensemble des pays occidentaux. En quelques jours, le nom de la bactérie vogue au centre de toutes les discussions, chaque personne, chaque politicien et chaque journaliste développant sa propre théorie plus ou moins approximative. Quelques semaines plus tard, l’épidémie disparaît. Et la bactérie déserte les médias et les consciences, laissant derrière elle toute une série de questions sans réponse. Et pourtant, si elle a rencontré une soudaine et éphémère célébrité, la bactérie est présente partout dans le monde, et contamine quotidiennement les hommes ou les animaux, même si les cas d’épidémies demeurent relativement rares.

Il existe plusieurs souches de la bactérie E. coli qui provoquent une inflammation du système intestinal et, donc, une diarrhée. Mais certaines de ces souches produisent des Verotoxines, qui peuvent contaminer le sang et entraîner une série de symptômes plus ou moins graves, pouvant aller d’une diarrhée, parfois sanguinolente, à une destruction de la fonction rénale (syndrome hémolytique urémique, ou SHU), suivant la résistance de la personne contaminée et/ou la concentration de toxines. Une fois que les toxines ont contaminé le sang au point de dégrader la fonction rénale, il devient difficile de soigner la maladie. Et si le patient ne peut bénéficier d’une greffe de rein, opération pour laquelle il existe de longues listes d’attentes, ou être dialysé, donc rattaché quotidiennement à une machine qui permet d’éliminer les déchets du sang, la maladie peut s’avérer mortelle. Dans le cas de l’épidémie de 2011, sur les près de 4000 personnes ayant contracté l’infection, 55 d’entre elles ont été victime d’atteintes rénales menant au décès.

Souches animales versus souches humaines

Près d’un an après l’épidémie, une équipe de scientifiques spécialisés en médecines humaine et vétérinaire publie un article (1) synthétisant son émergence, la recontextualisant, tant du point de vue de la médecine humaine au sens large que de l’épidémiologie, de la médecine vétérinaire et de la bactériologie. « La première finalité de l’article, explique Jacques Mainil, Professeur en bactériologie à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Liège, était de remettre l’église au milieu du village. Il y a eu beaucoup de courts-circuits, de rumeurs, d’erreurs et d’incompréhensions autour de cette épidémie. Noyé dans ce florilège d’informations approximatives, le grand public, tout comme une grande partie de la communauté scientifique, n’avait pas les clés pour comprendre les causes de cette catastrophe. »

Une première erreur en cas d’épidémie due à une intoxication alimentaire est de systématiquement condamner l’animal. Ce réflexe accusateur est conditionné par l’existence d’une souche courante de la bactérie E. coli, la souche EHEC O157:H7. Cette souche peut en effet être présente dans l’intestin des bovins, et d’autres ruminants, qui ne souffrent cependant pas de maladies dues à leur présence : les animaux sont dits « porteurs sains ». Lors de la phase d’abattage, la souche EHEC O157:H7 peut malheureusement  contaminer la viande destinée à la consommation. Si le produit n’est pas bien cuit ou bien conservé au frais, elle prolifère, se multiplie, et suite à l’ingestion par un être humain, s’attaque à son système intestinal causant des diarrhées éventuellement hémorragiques, avant de provoquer des lésions des reins chez certains individus. Cette souche, trivialement appelée « la bactérie du hamburger », contamine assez fréquemment des hommes et des femmes : il peut s’agir de cas ponctuels ou de grandes épidémies, selon la source de la contamination.

Quand l’épidémie s’est déclenchée en Allemagne en 2011, les suspicions se sont naturellement portées dans un premier temps vers cette souche EHEC O157:H7, qui reste la plus fréquente. Or, après deux semaines d’enquête, il a été révélé qu’il s’agissait d’une nouvelle souche d’E. coli, la souche O104:H4. L’ensemble des propriétés de cette souche, quasi inconnue jusqu’alors, fait que, contrairement à la souche EHEC O157:H7, elle ne peut se fixer qu’aux cellules de l’intestin humain et ne se retrouve pas chez les animaux. Ces propriétés prouvent donc qu’elle est d’origine humaine (Voir ci-dessous « Une nouvelle nomenclature pour mieux cerner l’origine de la maladie »). « Cette information a vite été « oubliée », déplore le chercheur. En tant que vétérinaire bactériologiste, j’étais agacé par l’idée qu’en cas d’épidémie, on mette systématiquement l’animal en cause, particulièrement quand les symptômes témoignent d’une infection due à la bactérie E. coli. Dans le cas de la souche O157:H7, l’origine animale n’a pas à être mise en cause, je le concède. Mais dans d’autres cas, la source est bien différente. Ce qui m’a poussé à collaborer à cet article, c’est la lecture d’un commentaire d’un citoyen sur le site internet d’une télévision belge. Peu de temps après le début de l’épidémie, un journaliste annonçait que plusieurs Français avaient également été intoxiqués, mais qu’il s’agissait d’une autre souche. En effet, les personnes atteintes avaient mangé des hamburgers. Le journaliste avait donc raison. Mais un des lecteurs de l’article avait écrit en commentaire ‘Une autre souche ? Allons donc ! Les scientifiques se moquent de nous.’ Ce commentaire illustrait donc parfaitement cette espèce d’incompréhension, due au fait qu’on n’expliquait pas assez le problème au grand public. »

D’homme à homme en passant par des crudités

concombre-autrichien

Il fut difficile d’identifier la source de la contamination, l’aliment à la base de l’épidémie, même s’il semblait concentré en Allemagne. Une belle preuve qu’il ne fut pas aisé de démasquer le coupable aura été la condamnation sans nuance du concombre espagnol. « Des enquêtes épidémiologiques remontaient des personnes contaminées à ce type de concombre. Mais cette cause demeurait de l’ordre de la suspicion, explique le chercheur. Malheureusement, cette suspicion est vite passée, sans aucune raison, pour un fait avéré et prouvé, ce qui a été une première grosse erreur dans la communication et l’origine d’une autre belle confusion générale. »

D’un point de vue épidémiologique, après s’être penchés sur plusieurs coupables présumés, les regards se sont arrêtés sur des germes de fenugrec, une plante médicinale souvent présentes dans des plats de crudités, produits en Egypte et ayant transité par l’Angleterre avant de gagner l’Allemagne. « L’hypothèse la plus plausible est qu’un homme porteur de la bactérie est entré en contact avec ces légumes au cours de la chaine de production. La culture de ces germes de fenugrec dans un climat propice (température, humidité, production biologique) ont favorisé la multiplication de la souche O104:H4 qui finalement, une fois mangée par l’homme, l’aura intoxiqué. Mais, même si l’épidémie a touché plusieurs milliers de personnes, il faut cependant insister sur le fait qu’il s’agit bien, épidémiologiquement parlant, d’un événement isolé, d’un accident ponctuel. Une fois la source identifiée et retirée de la chaîne alimentaire, l’épidémie a ralenti et a fini par s’arrêter. »

Le légume fenugrec a donc été le vecteur intermédiaire entre l’homme et l’homme, et non entre l’animal et l’homme. « C’est une nuance bactériologique qui paraît simple une fois qu’on le sait, mais qui n’est pas encore acquise par tout le monde, même au sein de la communauté médicale. Certains pensent encore que les germes de fenugrec auraient pu être contaminés par les matières fécales des bovins, par exemple. »

Pour rendre encore plus ardue la quête d’autorité des bactériologistes, et même s’il est presque avéré que ces germes de fenugrec soient à l’origine de la contamination, personne ne pourra jamais le démontrer avec certitude. « Il ne sera plus que probablement pas possible d’isoler la bactérie de la graine, car elle est présente en trop petite quantité au départ, constate le chercheur. En bactériologie, lors d’un diagnostic, la quantité du microbe pathogène est très importante. On sait le retrouver chez l’homme car il se multiplie en masse, mais il est difficile voire impossible de le retrouver dans une source alimentaire comme le fenugrec, dans ce cas-ci, en tout cas. »

Une nouvelle nomenclature pour mieux cerner l’origine de la maladie

La confusion générale qui a accompagné l’épidémie est également due à une nomenclature approximative des classes de souches pathogènes de la bactérie E. coli, surtout celles qui provoquent des inflammations de l’intestin et des diarrhées. De plus, certaines de ces souches s’attaquent exclusivement à certaines espèces animales et d’autres exclusivement aux hommes, alors que d’autres encore peuvent se transmettre entre les espèces. Les unes provoquent des syndromes cliniques très graves, comme des diarrhées de type choléra (souches productrices d’entérotoxines ou ETEC) ou une diarrhée hémorragique accompagnée parfois d’une destruction de la fonction rénale (souches productrices de Verotoxines ou VTEC). Les autres peuvent être une des causes de la célèbre tout autant qu’inconfortable « diarrhée du voyageur » ou « turista ». Face à cette diversité, la nomenclature actuelle ne suit pas toujours, et entraîne certaines confusions.

Un des apports principaux de la publication est une nouvelle proposition de nomenclature des souches productrices de Verotoxines, qui permettra, une fois la bactérie identifiée, de diagnostiquer une origine animale ou humaine, par exemple, et ainsi, faciliter et mieux orienter les enquêtes épidémiologiques.

Prenons le cas de la souche O157:H7, celle du hamburger. Aujourd’hui, elle est appelée E. coli enterohémorragique (EHEC). Or, EHEC est une définition d’un syndrome clinique. Cependant, toutes les personnes contaminées par cette souche ne souffrent pas spécialement d’une diarrhée hémorragique. Par contre, l’essentiel de la virulence de cette bactérie est causé par le fait qu’elle produit des Verotoxines. Les auteurs de la publication proposent donc de centrer la nomenclature autour de cette propriété. Ainsi, ils proposent l’appellation VTEC pour toutes les souches d’E. coli productrices de Verotoxines, en leur attribuant un préfixe en plus en fonction de leurs particularités (1). Par exemple, la souche O157:H7, d’origine animale, est dite « d’attachement et d’effacement ».  La bactérie s’attache aux cellules intestinales sur leurs « microvillosités » (qui ressemblent aux franges d’un tapis) et envoie ensuite à l’intérieur de ces cellules des signaux qui vont en perturber la structure pour finalement détruire, « effacer » ces microvillosités. Ces perturbations des cellules intestinales entrainent une inflammation et la diarrhée. Les Verotoxines sont, elles, responsables de l’aspect hémorragique de la diarrhée. Suivant la nouvelle proposition de nomenclature, on parlera pour ce type de bactéries de AE-VTEC (Attaching Effacing Verotoxigenic E. coli), et on saura, directement en lisant ce nom, qu’il peut s’agir d’une souche d’origine animale.

Avant-après-microvilosités

EColi
Dans le cas de la souche O104:H4, il s’agit d’une autre cause d’inflammation intestinale au départ. Les bactéries sont toujours Verotoxinogènes, mais leur interaction avec les cellules intestinales sont différents : elles s’y attachent d’une manière dite agrégative  . Grâce à cette propriété, elles s’agrègent à la surface des cellules de l’intestin et forment en ce qui visuellement s’apparente à un tas de briques, avant de libérer leurs toxines. De plus, les adhésines présentes leur surface leur permettent de s’attacher aux cellules intestinales humaines, mais pas aux cellules des espèces animales. Ces souches sont donc restreintes à l’homme et il n’y a pas lieu de chercher une source animale de la contamination. On parlera dans ce cas-ci d’une bactérie Agg-VTEC (Aggregative Verotoxigenic E. coli).

L’origine de ces deux souches et le mode de contamination ne sont pas les seules différences. La souche AE-VTEC O157:H7 est la troisième cause bactérienne de diarrhées dans les pays développés, alors que la souche Agg-VTEC O104:H4 est extrêmement rare. La première touche principalement les enfants des deux sexes, alors que la seconde s’attaque plus fréquemment aux personnes adultes, avec a priori une prédominance chez le sexe féminin (Les scientifiques ne parviennent pas à expliquer cet écart de risque d’exposition à la contamination. Une des hypothèses est une différence de régime alimentaire, les femmes mangeant en moyenne davantage de crudités que les hommes. Mais rien n’est aujourd’hui avéré à ce sujet.). La période d’incubation n’est pas non plus la même, et, enfin, là où la bactérie du hamburger entraîne une progression vers le syndrome SHU dans 7 à 10% des cas, la souche allemande, elle, a mené à ce syndrome dans 20% des cas. Elle est donc plus virulente de ce point de vue.



Ces différences de propriétés suffisent à illustrer l’importance de bien nommer ces souches, afin de mieux diagnostiquer les causes d’une infection et d’en identifier l’origine plus aisément. Si la communauté scientifique butte depuis des années sur l’ancienne nomenclature, elle n’a toujours pas trouvé un meilleur moyen de nommer ces souches. Il n’est pas pour autant certain qu’elle va accepter la proposition de cette publication, même si elle est bien plus précise et qu’elle semble séduisante. « Nous allons présenter cette nomenclature en mai 2012, à un congrès international à Amsterdam organisé autour des souches d’E. coli productrices de Verotoxines. On va s’armer de boucliers, et on va voir comment la communauté va réagir », plaisante le Professeur Mainil.

(1) Piérard D., De Greve H., Haesebrouck F., Mainil J.G. O157:H7 and O104:H4 Vero/Shiga toxin-producing Escherichia coli: respective role of cattle and humans. Vet. Res., 2012, 43:13.


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