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DBIRD, un moteur de la diversité des protéines

19/04/2012

Récemment découvert et encore méconnu, l’épissage alternatif joue un rôle prépondérant dans la diversité protéique des organismes. Des chercheurs liégeois, londoniens et munichois ont mis au jour un nouveau complexe protéique, DBIRD, qui intervient dans la régulation de ce processus. Les résultats de leurs travaux sont publiés dans la revue Nature. 

Beaucoup d’entre nous ont déjà entendu parler d’ « épissage » sur les bancs de l’école ou à l’université. En effet, ce processus connu depuis longtemps fait partie intégrante du chapitre relatif à la transcription de l’ADN en ARN messager. Pour rappel, l’épissage se produit lorsque l’ARN polymérase II a créé un pré-ARN messager à partir du simple brin d’ADN correspondant au gène à exprimer. Ce pré-ARN messager est une mosaïque de séquences codantes, les exons, et de séquences non-codantes, les introns. Afin d’obtenir un ARN messager mature, prêt à être traduit en protéine, le pré-ARN messager doit être épuré des séquences non-codantes qui le composent. Ainsi, les introns sont éliminés et les exons sont reliés entre eux pour former l’ARN messager mature, c’est ce qu’on appelle le processus d’épissage.

EpissageJusqu’il y a peu on enseignait donc aux étudiants qu’un gène code pour une protéine en passant par l’intermédiaire d’un ARN messager mature dénudé de tout intron. Mais les choses ont changé depuis quelques années ! Non pas que les cellules aient tout d’un coup revu leur manière de fonctionner mais les scientifiques ont découvert un mécanisme resté dans l’ombre jusqu’alors...Il s’agit de l’épissage alternatif. « L’épissage alternatif n’utilise pas les facteurs d’épissage classiques », explique Pierre Close, Chargé de recherche F.R.S.-FNRS à l’Unité de Chimie médicale du GIGA dirigée par Alain Chariot. « C’est un mécanisme encore très peu connu car la plupart des études le concernant ont été publiées dans le courant de ces deux ou trois dernières années », poursuit Pierre Close. Une chose est sûre cependant, l’épissage alternatif permet d’augmenter la diversité protéique. En effet lorsqu’un gène, ou plutôt le pré-ARN messager issu de ce gène, est sujet à un épissage alternatif il peut, selon les circonstances, donner différents ARN messagers matures et donc différentes protéines. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’épissage alternatif n’entraîne pas strictement l’exclusion de tous les introns et l’inclusion de tous les exons dans l’ARN messager final. En fonction d’évènements encore méconnus, l’un ou l’autre intron peut être conservé dans l’ARN messager mature et l’un ou l’autre exon peut en être exclu. D’où la production de protéines différentes, ou plus précisément d’isoformes protéiques.

Un défi biochimique

Selon de récentes études, 95 à 100% des gènes font l’objet d’une régulation par épissage alternatif chez l’homme. « Les conséquences de ce type d’épissage sont encore très peu étudiées », indique Pierre Close. « Plusieurs publications scientifiques sont récemment sorties et soulignent le rôle de l’épissage alternatif dans la régulation d’oncogène. Certains oncogènes seraient en effet plus puissants selon la manière dont ils sont épissés », précise le chercheur. La régulation des gènes par épissage alternatif est jusqu’ici principalement étudiée dans le cadre des cancers et des maladies neurodégénératives.

Grâce à une bourse de l’EMBO, Pierre Close a rejoint en 2006 le laboratoire du Dr Jesper Svejstrup au Cancer Research UK, London Research Institute, Clare Hall Laboratories, pour un séjour post-doctoral. « Ce laboratoire étudie les mécanismes biochimiques de la transcription des gènes au sens large. C’est là que la présente étude a été initiée », souligne-t-il. « Le but du projet était d’établir de nouvelles connections entre les ARN nouvellement synthétisés et la transcription par l’ARN polymérase II en purifiant des complexes associés à l’ARN naissant », explique le scientifique. Pour ce faire, les chercheurs ont relevé un gros défi technique en termes biochimiques : « Nous avons purifié les complexes protéiques associés à l’ARN naissant et donc toujours connectés à l’ARN polymérase II, au niveau de la chromatine », résume Pierre Close.

Parmi les complexes protéiques purifiés, les scientifiques en ont identifié un particulièrement intéressant puisqu’il était à la fois lié à la formation de l’ARN et à la transcription. « Nous l’avons baptisé DBIRD. Ce complexe protéique est composé de deux protéines : la DBC1 (Deleted in Breast Cancer protein 1) et une autre protéine, inconnue jusque là, que nous avons appelée ZIRD (ZNF-protein interacting with nuclear RNPs and DBC1) », continue Pierre Close.

Quand DBIRD donne un coup d’accélérateur

Une fois DBIRD identifié et baptisé, les scientifiques se sont mis à la tâche pour caractériser le rôle que ce complexe protéique pourrait jouer au niveau de la transcription. « Nous avons fait des études de DNA-microarray (ou puces à ADN) qui nous ont permis de mesurer l’abondance de chaque exon dans les cellules à un moment donné », indique Pierre Close. « Nous avons utilisé des cellules contrôles et des cellules déficientes pour le complexe DBIRD et nous avons analysé l’abondance de chaque exon dans l’un et l’autre type de cellule », poursuit-il. Les chercheurs ont ainsi obtenu une liste d’environ 3000 exons dont l’abondance varie en fonction de la présence ou de l’absence de DBIRD dans la cellule. « Ces exons sont donc épissés différemment selon que DBIRD est fonctionnel ou non », précise Pierre Close.

Pour comprendre comment DBIRD influence l’épissage de ces exons, les scientifiques ont réalisé, en collaboration avec une équipe du Gene Center de Munich (Allemagne), une étude bioinformatique de ces séquences. « Nous avons trouvé une corrélation assez puissante entre l’abondance de paires de bases azotées adénine-thymine (A/T) et les exons qui étaient différemment épissés », révèle le chercheur. Ainsi, les séquences riches en séquences A/T seraient particulièrement sensibles au complexe DBIRD puisqu’elles sont plus ou moins incluses dans l’ARN messager final en fonction de l’absence ou de la présence de ce complexe.

Reste à savoir comment DBIRD régule l’inclusion ou l’exclusion de ces exons. « Dans une cellule normale, l’ARN polymérase II se déplace le long du simple brin d’ADN correspondant au gène et le transcrit. Lorsque ce complexe enzymatique rencontre un exon riche en A/T cela pose problème car ce sont des séquences qu’il a du mal à traverser et donc à transcrire », explique Pierre Close. « Nous pensons que le complexe DBIRD aide d’une certaine manière, par un mécanisme que nous ne connaissons pas encore, l’ARN polymérase II à transcrire ces séquences riches en A/T », poursuit le post-doctorant. C’est ce qu’ont démontré les résultats de la mesure de la vitesse d’élongation de l’ARN polymérase II au niveau des gènes comprenant ces exons. La vitesse de transcription est en effet diminuée lorsque DBIRD est absent. « Or la vitesse de l’ARN polymérase II influence directement l’inclusion ou l’exclusion d’exons au cours du processus d’épissage », indique Pierre Close.

Complexe-DBIRD

Etablir des liens avec la pathologie

En résumé : en présence de DBIRD, la vitesse d’élongation de l’ARN polymérase II augmente ce qui engendre l’exclusion des exons riches en A/T de l’ARN messager final. Par contre, en absence de DBIRD, l’ARN polymérase II étant plus lente, elle a le temps de transcrire les exons riches en A/T et ceux-ci sont alors inclus dans l’ARN messager mature.

La mise au jour de ce nouveau mécanisme qui régule l’épissage alternatif des ARNm par l’intermédiaire de la transcription par l’ARN polymérase II a valu aux chercheurs une publication dans la revue Nature (1).

Un autre aspect important de cette étude est la présence de la protéine DBC1 au sein du complexe DBIRD. « Cette protéine provient d’un gène qui se trouve dans un locus invalidé ou absent dans certains cancers du sein », indique le scientifique. « DBC1 intervient également dans d’autres types de cancers tels que le cancer de l’œsophage ou de la prostate », ajoute Pierre Close. « Outre la découverte d’un mécanisme qui relie l’épissage à la transcription, notre étude apporte de nouvelles informations concernant la fonction de la protéine DBC1 ainsi que la description de la protéine ZIRD, jusqu’ici inconnue », poursuit-il. La prochaine étape que Pierre Close et ses collègues de l’Unité de Chimie médicale vont aborder est de tenter de replacer ces nouvelles découvertes dans un contexte physiopathologique. Etablir des liens entre DBIRD, et donc DBC1 et ZIRD, et d’éventuelles pathologies permettra de définir si ce complexe protéique - ou les protéines qui le composent -pourrait constituer une cible thérapeutique intéressante pour lutter contre ces pathologies.

(1). Pierre Close, Philip East, A. Barbara Dirac-Svejstrup, Holger Hartmann, Mark Heron, Sarah Maslen, Alain Chariot, Johannes Söding, Mark Skehel & Jesper Q. Svejstrup. DBIRD complex integrates alternative mRNA splicing with RNA polymerase II transcript elongation. Nature


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