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Patients cancéreux âgés : le poids d'une double stigmatisation
03/10/2016

À la lumière de l'ensemble des données susmentionnées, la chercheuse du Service de psychologie de la sénescence s'est intéressée à la double stigmatisation à laquelle sont en proie les patients cancéreux âgés. D'où l'interrogation qui a balisé la première des deux parties de son travail : l'attitude du personnel soignant à l'égard des patients cancéreux diffère-t-elle selon le degré des stéréotypes négatifs que ces prestataires de soins nourrissent vis-à-vis de l'âge ?

Dans une première modalité de l'étude, 76 infirmières du CHU de Liège spécialisées en oncologie reçurent trois fiches cliniques identiques sur le plan des paramètres médicaux, mais ayant trait respectivement à une patiente de 35, de 55 ou de 75 ans. La personne malade était censée souffrir d'un cancer du sein et avoir besoin d'une chimiothérapie. En outre, sa situation médicale était compatible avec une reconstruction mammaire ; pourtant, elle était présentée comme hésitant à la solliciter, tout comme elle hésitait à s'engager dans un traitement par chimio. Les infirmières devaient se prononcer sur le point suivant : « Encourageriez-vous ou non la patiente à suivre une chimiothérapie et à demander une reconstruction mammaire ? » Ensuite, elles furent soumises à un questionnaire sur leur vision de l'âge.

Que constata-t-on ? Globalement, que la femme de 75 ans était beaucoup moins encouragée que les deux autres à se plier à une chimio et à demander la pose d'un implant mammaire. De surcroît, la patiente de 55 ans recevait un avis plus mitigé que celle de 35 ans. « Lorsque nous avons mis en relation ces résultats avec les stéréotypes liés à l'âge, il apparut que les infirmières qui avaient une vision négative du vieillissement étaient enclines à moins recommander les traitements proposés lorsque l'âge de la malade était plus avancé, tandis que celles qui avaient une vision de l'âge plus positive n'opéraient pas de distinction entre quelqu'un de 35 ans et quelqu'un de 75 ans », rapporte Sarah Schroyen.

Le parler « petit vieux »

La seconde facette de la recherche centrée sur l'attitude du personnel soignant concernait l'influence de l'âgisme sur la communication entre les médecins et les patients. Quarante médecins (et étudiants en médecine) furent conviés à participer à une expérience. Chacun d'entre eux recevait deux fiches cliniques reprenant les caractéristiques de deux patientes, l'une de 40 ans, l'autre de 70 ans, appelées à recevoir une hormonothérapie. Il lui appartenait ensuite d'enregistrer un « podcast » dans lequel il devait expliquer le traitement à chaque patiente (imaginaire) concernée. « Sur la base de la littérature non spécifique à l'oncologie, nous avons émis deux hypothèses, relate Sarah Schroyen. D'une part, nous nous attendions à observer davantage de caractéristiques d'"elderspeak" (parler "petit vieux") - débit moins rapide, plus de répétitions, etc. - quand les médecins expliquaient le traitement à la patiente de 70 ans, par comparaison avec la patiente plus jeune. D'autre part, nous postulions que ces caractéristiques seraient d'autant plus présentes que les participants auraient une vision négative de l'âge. »

Les résultats de cette expérience mettent en exergue que les caractéristiques linguistiques sont bien distinctes selon que le discours médical s'adresse à une personne de 40 ou de 70 ans, mais uniquement lorsque le praticien a une vision de l'âge relativement positive. En revanche, tel n'est pas le cas si cette vision est négative. Ce qui infirme en partie la première hypothèse. En effet, les médecins adhérant le plus aux stéréotypes de l'âgisme s'expriment de façon identique devant une patiente (fictive) de 40 ans ou de 70 ans, mais, dans les deux cas, avec un débit ralenti par rapport à leur débit habituel et avec moins de mots. Comment expliquer ce constat étonnant ? « Bien que d'autres études doivent confirmer notre interprétation, il est probable que les médecins habités d'une vision négative de l'âge assimilent déjà une personne de 40 ans à une personne âgée », dit Sarah Schroyen.

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