Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

Directeur de prison, une fonction méconnue
29/09/2016

Comment travaillent-ils ?

En Belgique, les directeurs se distinguent de leurs collègues étrangers par leur absence de formation préalable. Il s’agit là d’un point très important si on considère d’une part qu’ils sont fonctionnaires de rang A avec les niveaux de salaire et de responsabilité correspondant, et d’autre part que la moyenne d’âge n’est pas très élevée, 42 ans. L’absence de formation alliée à la jeunesse et à un relatif manque d’expérience fait donc la part belle à un apprentissage sur le tas. Ceci se révèle assez surprenant au regard des missions des directeurs de prison. En effet, ils sont des acteurs clés en matière d’exécution et d’application des peines, ce qui comprend notamment l’octroi de libérations conditionnelles, congés pénitentiaires, permissions de sorties, octrois de bracelet électronique. Cette absence de formation peut poser problème lorsqu’il s’agit par exemple de calculer le cadre des surveillants ou d’initier des procédures disciplinaires. Ainsi, « la moindre sanction adressée à un agent ou à un détenu est étudiée de fond en comble par les syndicats et les avocats ». Cette réalité belge est très éloignée de ce que l’on trouve dans les pays voisins. En France, par exemple, l’ENAP (l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire) organise une formation axée sur la pratique (stage d’un an) et la théorie (une année de cours poussés en procédure judiciaire, administrative et pénale notamment).

D’un autre côté, dans ce contexte, il faut reconnaître la capacité des directeurs à prendre des décisions sans avoir jamais été formés. L’apprentissage de terrain a aussi ses avantages car il permet d’éviter une certaine standardisation qui peut constituer un frein à la prise de décision, pour peu que le cas à traiter sorte de l’ordinaire et ne corresponde pas aux cas d’école étudiés dans le cadre d’une formation.

D’ailleurs, la gestion de la détention, le « cœur du métier », se caractérise par « l’incertitude et l’imprévisibilité ». Des facteurs qui s’accommodent mal avec tout type de savoir académique. En revanche, et ainsi que l’a identifié Christophe Dubois dans son étude, de telles conditions de travail demandent de faire preuve à la fois de prudence et de ruse. Il s’agit de deux types de pratiques délibératives constituant des capacités d’action stratégique des directeurs.

« La prudence a quelque chose d’instantané et d’imprévisible. Elle est là sur le moment puis elle disparait. C’est chaque fois un comportement singulier, qui est soudain. Donc, il n’y a pas deux comportements prudents qui sont les mêmes. » Les pratiques prudentes s’adaptent parfaitement au fait qu’en milieu carcéral, le moindre incident requiert des décisions « rapides et singulières ». L’expérience n’est alors pas tout et ne garantit pas de prendre à chaque fois les bonnes mesures. Christophe Dubois rapporte à ce propos le témoignage d’un directeur doté de quatorze ans d’expérience, confronté à un détenu qui s’est barricadé dans sa cellule. Deux options sont possibles : attendre que le prisonnier se calme et prendre alors le risque qu’il se suicide, ou intervenir « de manière musclée ». L’intervention en force est finalement décidée. Derrière la porte, le détenu avait enlevé la lunette des toilettes de sa cellule et « il l’a fracassée sur la tête d’un agent ». Lequel a perdu un œil.

La prudence des directeurs se manifeste en outre par la modestie des objectifs à atteindre. On vise le verre à moitié plein en évitant des résultats trop mauvais. Ou alors, « lors des phases de rédaction de plans opérationnels, certains directeurs mêlent subtilement objectifs ambitieux et objectifs déjà atteints pour produire des évaluations positives ». C’est dire à quel point les conditions de travail sont dégradées.

Heureusement, les directeurs peuvent également adopter une pratique rusée de leur charge, qualifiée de « mêtis », la « ruse de l’intelligence ». La mêtis, la ruse poursuit une fin. On est là dans une tactique. « Dans une compétition sportive, les joueurs d’une même équipe cachent leur tactique aux yeux de l’adversaire. Ici, c’est la même chose. La ruse est souterraine, résiliente. » Elle est souterraine notamment pour protéger les alliés, les intermédiaires.« Quand il y a un rapport de l’OIP (3), quand il y a une décision rendue par un tribunal de première instance qui contraint l’Etat à des astreintes, le directeur est en général heureux car il voit qu’il y a une reconnaissance institutionnelle du contexte extrêmement précaire dans lequel il travaille. » 

Cellule Prison

Parfois, les articles de presse, les rapports de l’OIP ou certaines décisions de justice constituent des opportunités. En effet, la « mêtis » permet aux directeurs de jouer avec le droit comme avec une ressource ou encore de dénoncer l’inaction politique en matière pénitentiaire qui provoque parfois des vides juridiques dans lesquels s’engouffrent les avocats des détenus(4). « Il va y avoir quelque part un objectif de dénonciation, c’est ce qui guide la tactique. Mais au final, ce qui réunit la plupart des directeurs, c’est de poursuivre l’intérêt général. » 

(3) Observatoire International des Prisons
(4) Cas du régime de l’isolement. La loi « de principes » de 2005 prévoit que tout détenu a le droit d’introduire un recours lorsqu’il est l’objet d’une telle mesure. Cependant, les arrêtés d’application permettant de rendre effectif le recours n’ont jamais été pris par le gouvernement. Ceci a pour conséquence qu’un arrêt du Tribunal civil de Bruxelles a fait jurisprudence en accordant une indemnité de 10.000 euros à un détenu en raison de cette irrégularité.

Page : précédente 1 2

 


© 2007 ULi�ge