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Directeur de prison, une fonction méconnue
29/09/2016

L’univers carcéral fascine ceux qui le regardent de l’extérieur. Il suffit pour s’en convaincre de constater le succès des séries télévisées portant sur le sujet. Prison Break, Orange is the New Black, Oz, Prisoner étant parmi les plus connues. Ces huis-clos derrière les barreaux s’intéressent surtout aux détenus et également aux surveillants. Peu ou pas aux directeurs de ces établissements pénitentiaires. Cette tendance se retrouve dans la recherche. De nombreuses études ont décrit et analysé le travail des surveillants alors que celui des directeurs est passé quasi inaperçu, en tout cas dans la littérature francophone. L’étude « Prudence et ruse comme capacités d’action managériale et politique » (1) réalisée par le Professeur Christophe Dubois, docteur en sociologie, et chargé de cours adjoint à la Faculté de sciences sociales de l’Université de Liège, vient donc combler ce vide. Cette étude rend compte des capacités d’action des directeurs de prison et en identifie deux principales : la prudence d’une part et la ruse d’autre part. Elle permet par ailleurs de redonner une place centrale au rôle des chefs d’établissement.

directeur prison

« Après ma thèse, se souvient Christophe Dubois, j’ai rédigé un projet qui considérerait les directeurs de prison comme des « policy makers » et des « middle-managers ». Ils sont en effet pris entre deux niveaux de pouvoir, de pratique, de connaissance, celui des top managers de l’administration centrale et celui des surveillants. » Si le projet de recherche a rapidement intéressé plusieurs directeurs de prison, les premiers résultats ont suscité peu d’intérêt jusqu’à ce que le Service Public Fédéral Justice mette en place une commission d’éthique au sein de l’administration pénitentiaire, en 2015.Il faut dire qu’avec sa thèse soutenue en 2009 et intitulée « La justice réparatrice en milieu carcéral : plasticité d’une fonction et malléabilité d’un concept criminologique », le Professeur Dubois avait eu l’opportunité de nouer des contacts privilégiés avec différentes équipes de direction. La confiance était de ce fait établie et recueillir des témoignages n’a pas été un problème. Cette collecte s’est étalée sur trois ans, de 2012 à 2015. Trente membres des équipes de direction de cinq prisons francophones différentes ont pris part à des entretiens semi-directifs constituant la matière principale de la recherche du Pr. Dubois.

Qui sont les directeurs de prison ?

A ce stade, et ainsi que le souligne bien Christophe Dubois, une précision sémantique s’impose au sujet du terme même de « directeur ». Si on s’en réfère aux textes, la distinction est de mise entre le chef d’établissement qui dépend du barème A4 et le directeur général de l’administration pénitentiaire qui est A5. Le chef d’établissement dirige une équipe dans laquelle il y a des conseillers et des attachés qui sont plutôt A3 et A2 et des directeurs juniors qui sont plutôt des appuis, de niveau A1. « En fait la dénomination de ces fonctions change d’une prison à l’autre. » Elles sont inscrites dans un arrêté royal (du 4/08/2004 relatif à la carrière de niveau A des agents de l’Etat) mais sont assez redondantes, peu claires et « surtout les directeurs ne les utilisent que très rarement. Pour eux comme pour les surveillants et les détenus, les membres d’une équipe de direction sont directeurs de prison ». 

Au-delà de l’aspect formel, ce qui prime dans la pratique, ce sont « les appellations indigènes ». Les surveillants de prison s’appellent tous entre eux « chef » et les détenus les appellent aussi comme cela. Les directeurs s’appellent tous « directeurs », les surveillants et les détenus les appellent tous « directeurs ». Les intervenants extérieurs ne font pas non plus la distinction. « Il y a par exemple douze directeurs à la prison de Lantin. » En bref, toutes les personnes qui ont un niveau de rang A sont « directeurs » dans le langage indigène. « C’est quand on regarde de plus près la fonction qu’on se rend compte qu’il y a des échelles barémiques différentes, explique Christophe Dubois. Celles-ci ont notamment comme implication que certains directeurs A1 participent aux tours de garde par solidarité avec leurs collègues. Ils peuvent très bien travailler sans relâche par exemple en période de grève, de jour, de nuit et durant le week-end. » Et tous les directeurs de garde ont alors les mêmes responsabilités que le chef d’établissement. Dans le feu de l’action, ils doivent prendre beaucoup de décisions, certaines plus risquées qui vont nécessiter de téléphoner au chef d’établissement. On le voit bien, dans la pratique, la distinction administrative est fictive. Au sein des équipes, c’est l’horizontalité qui prime et le collectif. Ou comme l’explique le Professeur Dubois, « la hiérarchie s’efface derrière la « paix armée », c’est-à-dire cette ligne de feu qui sépare les détenus et les professionnels. C’est un principe fondamental de la sociologie carcérale. » De part et d’autre de cette ligne, l’ensemble des acteurs fait preuve d’une grande solidarité et porte les responsabilités collectivement. Du côté des équipes de direction étudiées, il n’y a pas de hiérarchie pyramidale déterminante. En revanche, « plusieurs chefs d’établissements développent un certain charisme, avec une personnalité exacerbée, ce qui est inévitable quand on exerce une telle profession. »

Il n’est pas anodin non plus, mais cela ne fait pas partie du cœur de la présente étude, de relever que la majorité des directeurs sont des femmes (2).

(1) Prudence et ruse comme capacités d’action managériale et politique. Le cas des équipes de direction pénitentiaire belges, Dubois Christophe, Sociologie. Cette recherche a été soutenue par les Fonds Spéciaux de la Recherche de l’Université de Liège (FSR) et par le programme PAI ‘Justice & Populations’ (Belspo – http://www.bejust.be).
(2) 127 femmes pour 66 hommes selon les chiffres fournis par le service du personnel de l’administration centrale le 12 juin 2015

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