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Les juges peuvent-ils être des décideurs politiques ?
28/09/2016

La Cour suprême indienne reconnaît un troisième genre

Les juges constitutionnels peuvent participer de manière directe à la production de normes, par exemple lorsqu’ils donnent des injonctions ou se substituent aux autorités législatives. Dans sa contribution à ce sujet, Guillaume Tusseau (Ecole de droit de Sciences Po) cite l’exemple de la Cour suprême indienne qui a admis, le 15 avril 2014, l’existence d’un troisième genre, outre les genres masculin et féminin. « Afin de garantir les droits fondamentaux de cette population, elle a exigé du gouvernement qu’il agisse envers les transgenres comme envers les castes défavorisées, en déployant un programme d’affirmative action, notamment en matière d’emploi dans l’administration et de places à l’Université », écrit Guillaume Tusseau.

Une contribution de Michel Pâques (ULg) détaille comment les juges administratifs peuvent également créer des normes à travers leurs interprétations, la création de la jurisprudence, la proclamation de principes généraux de droit. Geoffrey Grandjean : « C’est le cas par exemple de la règle « audi alteram partem », qui consiste à devoir entendre l’autre partie dans un conflit. Cette règle n’est pas énoncée en tant que telle dans la législation, mais elle s’applique à tous les conflits présentés au Conseil d’Etat : dans un arrêt, les juges ont inscrit que cette règle est un principe général de droit. Elle devient dès lors une norme qui fait partie intégrante du droit belge ».

La deuxième fonction politique des juges mise en lumière dans l’ouvrage pluridisciplinaire est d’effectuer un arbitrage entre valeurs morales. Dans leur contribution, Fabien Terpan et Sabine Saurugger (Sciences po Grenoble) s’intéressent à l’évolution de l’activisme de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) : l’activisme fort (des années 1960 à la fin des années 1980), l’activisme teinté de retenue (de 1990 à 2009) et l’activisme limité à certains secteurs, en particulier celui des droits fondamentaux (à partir des années 2010). Les auteurs constatent que le profil sociologique des juges et avocats généraux (leur passé politique, leur profil universitaire, leur spécialisation ou non en droit interne) n’explique pas les modifications de ce niveau d’activisme de la Cour. Ces évolutions seraient plutôt liées à leur volonté de renforcer la position de leur institution dans le système juridico-politique de l’Union européenne. « Ce sont des juges qui ont dû montrer progressivement qu’ils pouvaient dire le droit et compter comme institution, relèveGeoffrey Grandjean. Dans certains arrêts, comme l’arrêt Costa-Enel, les juges ont façonné le droit européen et ont permis de faire comprendre qu’il fallait compter avec eux. Les phases de la jurisprudence de la CJUE correspondent aussi au rythme de l’intégration européenne, avec un activisme variable selon que l’on se trouve dans une époque plus ou moins favorable à la construction européenne ».

Les juges russes gardiens d’une autre logique

Un article de l’ouvrage étudie le cas spécifique de la Russie, où la Cour constitutionnelle a été amenée à jouer un rôle dans l’arbitrage des valeurs. « En Europe, la logique constitutionnelle est de faire primer les droits individuels sur la société. En Russie, les droits collectifs priment par rapport aux droits individuels. Ces dernières années, les autorités russes ont eu de plus en plus de peine à accepter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui privilégie une vision individuelle des droits. La Cour constitutionnelle russe a fini par décider qu’elle pouvait se mettre en porte-à-faux par rapport aux décisions de la CEDH car elle est la gardienne des valeurs et de l’intérêt de l’Etat russe », explique Geoffrey Grandjean. Le 14 décembre 2015, Vladimir Poutine a signé une loi sur la primauté des décisions de la Cour constitutionnelle russe sur les arrêts de la CEDH. Elle peut désormais décider indépendamment si une décision « en matière de protection des droits et des libertés de l'homme » est applicable sur le territoire russe. 

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