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XVIIème siècle : courage, les précurseurs !
06/04/2012

Dur, dur d’être un chercheur !

circulation-sangLa publication, sous forme livresque ou électronique, est aujourd’hui l’aboutissement logique de toute recherche : elle donne sens à l’action du chercheur et conditionne en grande partie les promotions professionnelles. Avancées de la science et progression des carrières vont donc de pair : le chercheur n’écrit, de nos jours, que pour être publié.

Rien de tel, en revanche, au XVIIe siècle ! Il est alors possible d’être reconnu comme un grand savant sans avoir jamais rien publié. La distinction entre écriture et publication est importante. D’une part, la diffusion peut s’effectuer sans passer par l’impression : deux cents ans après l’invention de l’imprimerie, de nombreuses œuvres circulent encore sous forme manuscrite. D’autre part, il est fréquent de n’écrire que pour un cercle très restreint d’intimes, auxquels on réserve ses idées sur les thèmes « à risque », comme la place de la Terre dans l’Univers. C’est dans cette confidentialité assumée que se diffusent nombre d’idées audacieuses. Galilée, par exemple, fait ainsi circuler ses Lettres coperniciennes en 1616. 

La publication est cependant reconnue comme un moyen efficace d’établir une paternité intellectuelle. Sachant que le problème du vide est à la mode et suscite une certaines concurrence entre savants, Pascal s’empresse de publier le résultat de ses expériences. En revanche, Newton paiera son refus obstiné de rendre publiques ses premières œuvres. Dans le cadre de la controverse qui l’oppose à Leibniz sur le calcul infinitésimal, il ne peut, contrairement à son adversaire, s’appuyer sur un imprimé attestant sa paternité.

Le manuscrit est un support fragile. L’œuvre de Descartes manque de disparaître lors du naufrage du navire qui ramenait de Suède le coffre contenant les précieux documents. Pour assurer la pérennité et la diffusion d’œuvres manuscrites, les savants ne rechignent pas à passer de longues heures à recopier à la main les passages de traités rédigés par d’illustres collègues. Des œuvres importantes de Spinoza, Pascal et Descartes doivent ainsi leur préservation à la plume infatigable de Leibniz ! D’autre part, certains copistes agissent comme des faussaires, n’hésitant pas à dénaturer, voire à supprimer des passages qui ne le leur plaisent pas dans les œuvres dont ils ont la charge…

Mais voilà : le livre imprimé est onéreux. Un exemplaire imprimé d’un manuscrit copieux coûte l’équivalent d’une semaine de salaire d’un artisan moyen, et la plupart des savants n’ont, dès lors, pas les moyens de se constituer une bibliothèque.

En échange de leurs manuscrits, les auteurs qui tentent l’aventure malgré tout recevront de leur imprimeur des exemplaires de leur propre ouvrage : ce sera souvent leur seul salaire. Ces exemplaires seront offerts à des collègues qui, le cas échéant, leur rendront la pareille.  Les publications sont habituellement introduites par une lettre dédicatoire qui présente l’œuvre à un haut personnage dont elle chante les louanges et qui, en échange de cette consécration littéraire, accordera à l’auteur sa protection et une somme d’argent. L’exercice a une importance stratégique dans la mesure où seule la fréquentation des puissants peut donner l’accès aux sinécures convoitées par les savants. Le passage à l’imprimé est toutefois une étape dangereuse, dans la mesure où elle dépend d’ouvriers typographes qui, parfois, ignorent jusqu’à la langue de l’auteur. Les savants surveillent donc étroitement le travail de l’atelier chargé d’imprimer leur ouvrage.

Les Journaux savants qui apparaissent en France, en Angleterre et dans l’Empire germanique seront dans un premier temps généralistes, couvrant tous les champs du savoir. La spécialisation viendra ensuite, de même que les premiers balbutiements de la vulgarisation. La femme, être inculte par excellence selon l’esprit du temps, fera l’objet d’une attention particulière de la part des semeurs d’idées nouvelles.

Le latin, « anglais » de l’époque

Cette évolution s’accompagne de bouleversements linguistiques. Au début du siècle, le latin demeure la langue savante qui permet aux intellectuels de se comprendre d’un bout à l’autre de l’Europe. Les idiomes nationaux vont ensuite s’affirmer. Diverses stratégies éditoriales s’offrent dès lors aux auteurs. En recourant au latin, ils se garantissent une diffusion horizontale internationale : leur texte pourra être lu par tous les savants européens. En utilisant leur langue nationale, ils touchent verticalement un lectorat local mais plus diversifié socialement. En rédigeant en français, langue de prestige, ils espèrent être lus par une frange réduite du grand public européen. L’anglais n’est pas encore la langue universelle qu’il deviendra plus tard. Les Britanniques, fiers de la vivacité scientifique de leur patrie, publient leurs journaux savants en anglais. Mais, conscients de la portée limitée de leur langue, ils en éditent également une version latine pour toucher l’outre-mer. Le choix de la langue peut également être conditionné par la volonté expresse de réduire le lectorat. Le latin, qui limite l’accès du texte à l’élite, permet parfois de diffuser des idées audacieuses dans une certaine tranquillité.  Les auteurs imprudents qui formulent leurs idées novatrices dans une langue accessible au grand nombre s’exposent à de graves ennuis. Car, s’il est dangereux de douter des traditions, il l’est plus encore de confier ses doutes aux « braves gens ».

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