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Les phoques boivent la tasse
15/09/2016

Les comportements alimentaires au-delà de la toxicité

Plus globalement, une autre question à laquelle les chercheurs s’intéressent aujourd’hui est celle de la place que prennent les phoques dans la chaîne alimentaire. « La question est importante, précise l’océanologue, notamment en termes de gestion des stocks. Les phoques sont des animaux qui mangent énormément, et leur alimentation, principalement constituée de poissons, varie en fonction de l’âge, du sexe, de l’endroit où ils se trouvent. L’évolution de leur démographie peut avoir des incidences importantes, notamment sur la rentabilité des pêches. » Mais ce n’est pas là le seul intérêt de mieux comprendre leurs comportements alimentaires. « Plusieurs scientifiques ont récemment observé un nouveau comportement chez les phoques gris, qui pourrait résulter d’une compétition émergeante avec les autres mammifères marins. Plusieurs études poussent en effet à croire que les phoques gris sont susceptibles d’attaquer les phoques communs et les marsouins. » 

La mort violente de phoques communs avait déjà été observée, mais les coupables présumés restaient jusqu’ici les hélices de bateaux. Depuis deux ans, les preuves à charge de leurs principaux rivaux se sont pourtant accumulées. « des séquences filmées existent dans lesquelles on peut voir des phoques gris attaquer les phoques communs. Ensuite, l’autopsie de victimes permettait aux vétérinaires de conclure qu’elles avaient été pelées comme des pommes (Lire l’article Quand les phoques gris deviennent des tueurs). Or, certains phoques sont particulièrement friands de la peau et du lard de leurs proies, parties les plus riches en énergie. » Des traces d’ADN de phoques gris ont été identifiées dans les plaies par Thierry Jauniaux. Un projet de doctorat initié en octobre 2015 et financé par le FNRS (France Damseaux) vise à utiliser les isotopes stables et les éléments traces pour comprendre le rôle des phoques gris et des autres espèces de mammifères marins dans les réseaux trophiques de la mer du Nord.« L’analyse des rapports isotopiques est l’une des spécialités du Laboratoire d’Océanologie de l’ULg. En fonction de ce qu’on mange, la variation des isotopes stables du carbone et de l’azote pourra être observée dans la peau ou dans les poils des animaux étudiés. Ce qui permet de différencier certaines espèces par cette seule étude, mais aussi d’étudier les évolutions de leur régime alimentaire sans devoir tuer un individu pour prélever son estomac». En fonction des tissus, on peut de surcroît remonter assez loin en arrière dans l’analyse du régime du spécimen. Comparer les rapports isotopiques d’un maximum de phoques gris permettra de déterminer si l’attaque des phoques communs devient une habitude collective ou si elle reste la spécialité de quelques individus plus agressifs et aventureux. 

Le phénomène est inédit en mer du Nord, mais avait déjà été remarqué au Canada. « Etait-ce un manque d’attention de notre part, ou est-ce une récente évolution dans nos eaux ? Est-ce lié à une augmentation de la population qui réduirait leurs proies et les pousseraient à la compétition ? On peut aussi se demander s’il s’agit de comportements isolés ou plus coutumiers. Pour résumer, beaucoup de questions nous poussent à nous y intéresser de plus près. » Car cette histoire apparemment très éloignée de l’intoxication aux éléments-traces et des polluants organiques persistants a toutes les raisons de titiller la curiosité de Krishna Das et de ses collaborateurs. « Jusqu’ici, nous savons que le régime alimentaire des phoques se cantonne principalement aux poissons. S’il s’avère que les phoques gris se spécialisent dans la capture de mammifères marins, cela signifierait qu’ils sautent un niveau trophique et seront d’autant plus contaminés par les polluants lipophiles. Dans ces domaines de recherche, tout est lié, s’amuse la chercheuse. Il y a encore tant d’aspects que nous ne comprenons pas, comme certains aspects du cycle du mercure, ou l’effet cocktail des polluants. Pour le moment, nous étudions les polluants séparément. Mais ils peuvent agir en synergie dans le corps de l’animal. C’est l’un des nombreux aspects que nous souhaitons approfondir dans nos prochaines recherches. » 

Phoque ocean

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