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Les phoques boivent la tasse
15/09/2016

L’accumulation d’indices toxicologiques

« Au début des années 2000, on a observé davantage d’échouages de marsouins et phoques sur les côtes belges, se souvient Krishna Das. Les scientifiques ont cherché à en comprendre les causes de mortalité. J’ai bénéficié d’échantillons prélevés par Thierry Jauniaux, de la Faculté de médecine vétérinaire qui étudiait les causes de mortalités chez ces mammifères marins, et j’ai commencé à observer les concentrations de ces éléments-traces. Je cherchais à comprendre ce qui conduisait un animal à être contaminé ou non. Son âge, par exemple, ou son régime alimentaire, son état de santé, ou encore s’il était possible d’établir des liens entre les maladies observées et les niveaux de concentration des polluants. Cette approche de type épidémiologique, où nous établissions des corrélations statistiques entre éléments toxiques et maladies, a fait l’objet de ma thèse de doctorat. » Un premier volet de la recherche intéressant. Les échouages offrent un accès à énormément de tissus sans pour autant devoir capturer de gros mammifères dans leur milieu naturel. Mais cette approche montrait rapidement ses limites. « En étudiant uniquement les marsouins et les phoques échoués, nous n’avons aucune mesure sur une population de contrôle. Nous ne pouvons observer que des individus malades. Et puis ces corrélations statistiques ne signifient pas obligatoirement un lien de cause à effet. Il fallait d’autres preuves, et donc d’autres méthodes pour compléter ces recherches. » Or, une grande difficulté restait liée à l’objet. L’approche toxicologique traditionnelle voudrait déterminer un groupe de contrôle et un groupe test, en laboratoire, sur lequel seraient administrés des polluants. Le développement de maladies s’inscrirait dans un rapport de causalité directement observable. Mais ce qui fonctionne pour des rats de laboratoire ne fonctionne pas pour de gros animaux sauvages, évoluant en pleine nature et montrant des variabilités interindividuelles importantes. Une telle démarche rencontrerait en effet de nombreux obstacles et poserait de belles questions éthiques. Il fallait donc développer d’autres types d’approches. Chacune ayant ses failles et ses limites, amenant tout de même de nouvelles pistes, débusquant de nouveaux indices, l’accumulation finissant par faire acte de preuve. 

Capture phoques gris

Des échouages aux campagnes de captures

Une approche complémentaire à l’étude des individus échoués résulte donc des captures d’animaux dans leur milieu naturel, qui n’est possible qu’en développant un réseau international. Dans le cas des phoques communs, l’espèce a subi plusieurs . Un phénomène qui a poussé des chercheurs allemands (Prof. Ursula Siebert, Institute for Terrestrial and Aquatic Wildlife Research (ITAW)University of Veterinary Medicine Hannover) à s’intéresser de très près à leurs populations, importantes dans leurs eaux. « Deux fois par ans, ils organisent des campagnes de capture en mer du Nord. L’infrastructure et les moyens logistiques déployés sont colossaux. Les phoques capturés sont alors pesés, mesurés, on leur prélève du sang, des poils, de la salive, c’est une approche assez holistique, dont l’enjeu principal est de comprendre l’état de la population. Les prélèvements sanguins permettent la culture cellulaire et l’analyse des polluants de manière assez approfondie, mais dans un rapport instantané à la vie de l’animal. L’étude des poils permet une observation de l’évolution de santé sur un laps de temps beaucoup plus long. Car les éléments-traces sont intégrés pendant toute la croissance du poil, ce qui représente parfois plusieurs mois. » Par contre, les phoques communs sont des animaux particulièrement craintifs. Toutes les précautions pour limiter le caractère invasif de l’opération sont prises et les captures ont lieu en mai et en septembre, et évitent les périodes de mise bas. La mère, en état de panique, pourrait fuir et abandonner son petit.  

À l’inverse, les captures des phoques gris, organisées en Ecosse avec l’Université de Saint Andrews (Dr. Paddy Pomeroy, Sea Mammal Research Unit, Scottish Oceans Institute University of St Andrews), se font uniquement sur les femelles, au moment où elles reviennent à terre pour allaiter. « Elles sont un peu moins craintives que les phoques communs. Quant aux mâles, ils sont gros et assez agressifs, on évite généralement de les approcher ! Mais d’un point de vue scientifique, ces études sont complémentaires aux captures des phoques communs et particulièrement intéressantes pour la compréhension du transfert d’énergie entre la mère et son petit. Au moment de l’allaitement, les mères vont jeûner pendant trois semaines et produire un lait contenant quasi 50% de matière grasse. Beaucoup de polluants passent ainsi au nouveau-né. D’ailleurs, chez de nombreuses espèces de mammifères marins, on peut observer une décroissance des concentrations chez les femelles (en fonction du nombre de grossesses et d’évènements de lactation) alors ces niveaux ne cessent d’augmenter chez les mâles. Ce transfert mère-petit est maximum chez le premier né. » 

 

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