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Optimiser le chargement des avions

06/04/2012

Une équipe de chercheurs d’HEC-ULg et de l’école d’HEC de Montréal a mis au point un modèle automatique et interactif apportant des solutions de chargement optimal des marchandises destinées à un transport aérien. En tenant compte d’une large palette de contraintes propres au métier, il offre un gain de temps considérable et une moins grande consommation de carburant. Un modèle intéressant, tant économiquement qu’écologiquement.

Cahrgement-cargoEntre le moment où quelqu’un décide d’envoyer un colis à une personne de l’autre côté de la planète et l’instant où elle le reçoit, les compagnies de transports  sont de plus en plus rapides. Aujourd’hui, le colis ne prend plus que quelques jours pour arriver entre les mains du destinataire. C’est une des constantes de la concurrence, un service efficace, et surtout, rapide. Mais cette rapidité d’action ne garantit pas toujours un confort de travail idéal pour les différents intermédiaires, ni une recherche d’économie dans les différents transports. Des priorités sur lesquelles se penchent des chercheurs d’HEC-ULg.

« En partenariat avec  des professionnels du domaine, développe Michael Schyns, Professeur en systèmes d’information de gestion, nous avons créé un modèle mathématique qui permet d’optimiser le chargement des avions commerciaux. C’est-à-dire de rapidement trouver le meilleur chargement possible des ULDs (Unit Load Devices, les ULD sont des caisses de rangement aux tailles standardisées, et désignent tant les containers que les palettes, par exemple, Ndlr) en fonction de leur poids et de leur taille, et en tenant compte de toute une série de contraintes propres à cette étape du transport de marchandises ». La confection de ce modèle s’inscrit dans le cadre de la recherche opérationnelle, qui vise généralement à créer des outils d’aide à la décision aux managers d’entreprise ou aux pouvoirs publics, et jouit donc d'une perspective pratique, professionnelle et concrète. Dans ce cas-ci, la recherche permet de trouver rapidement une solution optimale d’agencement des marchandises, de faciliter le travail du load master, personne qui s’occupe du chargement des avions, d’augmenter la maniabilité de l’appareil, et d’utiliser moins de carburant. Ce qui est profitable tant d’un point de vue économique qu’écologique.

Comment fonctionne le modèle ? C’est en réalité assez simple. On encode une série de données, comme la taille de l’avion, sa destination, le nombre d’emplacements préétablis, leur taille et leur position dans l’appareil et le nombre d’ULDs qui doivent être chargés. En deux secondes à peine, le modèle propose un agencement optimal de ces ULDs. En comparaison, un load master expérimenté, pour la même étape de travail, a besoin d’au minimum quinze à vingt minutes …pour trouver un agencement acceptable (qui satisfait toutes les contraintes techniques et de sécurité) mais pas forcément optimal (qui minimise la consommation).

Centre de gravité et moment d’inertie

Certains modèles optimisant le chargement des avions existaient déjà et prenaient en compte l’importance du centre de gravité. Dans un avion, le poids doit être réparti de manière à ce que ce centre de gravité, souvent situé approximativement au niveau des ailes, soit respecté. Autrement, l’avion ne décolle tout simplement pas. « Il y a une zone prédéfinie par le constructeur de l’avion dans laquelle le load master a un peu de marge, explique Sabine Limbourg, physicienne spécialisée en sciences de gestion. Et plus le centre de gravité se déplace vers l’arrière de l’appareil, moins l’avion dépensera de carburant. A titre d’exemple, si le point de gravité est déplacé de 5% vers l’arrière, un Boeing 777 entièrement chargé pourrait brûler environ 1% de carburant en moins, ce qui représente 1000 litres pour un vol de 10 000 kilomètres, soit Liège-Shanghai. »

Ces anciens modèles ne prenaient cependant pas en compte toute une série de contraintes existantes dans la pratique. « Ils avaient en réalité une autre finalité. Ils permettaient de sélectionner les ULDs à placer dans un avion en partant du postulat que celui-ci était toujours plein au moment du décollage, développe la physicienne. Par exemple, poursuit le Professeur Schyns, sur 100 ULDs pour 80 emplacements dans un avion, ces modèles déterminaient quels ULDs allaient être affrétés. Mais alors, 20 d’entre eux restaient sur le tarmac et n’étaient pas pris en compte. Mais un tel cas dans la réalité génère des clients mécontents. Dans la réalité, ça ne fonctionne pas comme ça. » Il est même très rare qu’un avion soit entièrement plein quand il décolle. Ils sont en moyenne remplis à 60% de leur capacité. Or le modèle liégeois gère beaucoup mieux les appareils avec charge partielle.

En tenant compte de cette réalité et en l’intégrant dans le modèle, il fallait dès lors tenir compte d’un autre paramètre à minimiser pour un confort de vol optimal, le moment d’inertie. L’inertie entre très peu en compte dans un avion pleinement chargé. Il s’agit en réalité d’un frein à la rotation généré par une répartition trop étalée du poids. « Par exemple, illustre l’informaticien, si vous voulez faire tourner un objet sur lui-même, vous dépenserez plus d’énergie si le poids se trouve aux extrémités plutôt qu’au centre. Et selon le même principe de physique, une patineuse artistique, pour tourner le plus rapidement possible, va se recroqueviller le plus possible sur elle-même. Elle va donc minimiser son moment d’inertie. C’est un peu le même processus que l’on vise en chargeant un avion. » La priorité est d'avoir un chargement compact, comme cela est fait en pratique, pour différentes raisons opérationnelles. L'inertie est la solution apportée par le modèle liégeois lorsque le chargement est partiel. Les opérateurs ne réfléchissent pas en terme d'inertie et ne réfléchissent en réalité que peu à la maniabilité. Le but de l'équipe liégeoise, à travers l'inertie, est surtout de compacter le chargement pour qu'il ne soit donc pas disséminé dans tout l'avion. La cerise sur le gâteau est que cette approche par inertie augmente la maniabilité…mais ce n'était pas le (premier) but recherché.

L’objectif pour un chargement optimal d’un avion qui ne sera pas rempli sera donc dans un premier temps de respecter le centre de gravité, et ensuite de placer les ULD autour de ce point, sans les étaler dans l’avion, sans laisser d’espaces vides entre eux. Un moment d’inertie minimisé permettra à l’appareil d’utiliser moins de forces lors de changements d’altitude ou de trajectoire, ce qui se traduira par une plus grande maniabilité pour le pilote ainsi qu’une économie de carburant. Il permettra de surcroît d’amoindrir le risque d’abîmer l’avion. « En effet, intervient la physicienne, si on place l’ensemble des marchandises aux deux extrémités de l’avion en laissant le milieu vide, le centre de gravité est respecté. Cependant, l’appareil développe un risque de se courber comme une banane et, dans le pire des scénarios, de se briser. » Donc, entre deux solutions qui offrent un même centre de gravité, il sera préférable de choisir celle où les ULD sont le plus concentrés, regroupés autour de ce point.

Centre-de-gravité

« C’est un load master avec qui nous avons collaboré qui nous a expliqué cela, se souvient  le Professeur Schyns. Dans le métier, ils procèdent déjà au chargement en tenant compte implicitement de l’inertie, et ce n’était rendu dans aucun modèle. Pourtant, l’intérêt d’un modèle, c’est bien de se rapprocher au plus près de la réalité pour pouvoir rendre des résultats applicables en situation réelle. C’est la raison pour laquelle nous avons intégré cette contrainte également ».

Modèle, load master et interactivité

Avant de publier le fruit de ses recherches, l’équipe scientifique a tenu à appliquer le modèle à des situations réelles, et à comparer ses résultats avec ceux obtenus par un load master expérimenté. « En définitive, observe le Professeur Schyns, nos simulations offraient une excellente solution, supérieure ou équivalente à celle d'un loadmaster très expérimenté. Mais la grande différence est qu’il a fallu deux secondes au modèle pour arriver à la proposition d’agencement des ULDs, là où il a fallu chaque fois 1200 secondes, soit vingt minutes au load master pour un même travail. » Ceci étant dit, la comparaison n’est pas tout à fait équitable. Souvent, en dernière minute, le load master doit faire face à une contrainte supplémentaire. Par exemple, sur  42 ULDs à charger, 5 d’entre eux ont une destination finale différente des 37 autres. Là où le modèle a trié les ULD indifféremment de leur destination, en ne tenant compte que de leur taille et de leur poids, le load master a dû placer les 5 colis ensemble, et à un endroit bien précis, et trouver une solution différente.

« Nous avons donc revu notre modèle pour qu’il soit plus interactif. Car en réalité, nous ne voulons pas évincer la profession mais plutôt l'aider, expliquent les deux chercheurs. Pour cela, notre modèle doit pouvoir être le plus proche possible des contraintes réelles, pour qu’il puisse fonctionner dans la pratique. Et nous nous rendons compte qu’il y a des contraintes d’origines diverses qui peuvent survenir au dernier moment, et qui sont bien trop nombreuses pour toutes être décemment prises en compte par le modèle. Par exemple, un container cassé, ou une palette à laquelle le pilote doit avoir accès facilement et qui exigera qu’elle soit placée près du cockpit, sont deux possibles problèmes auxquels doit faire face le load master. » Pour résoudre ces  problèmes, la nouvelle version du modèle propose donc dans un premier temps une solution optimale de chargement au load master. S’il n’en est pas convaincu, s’il a d’autres contraintes ou de meilleures idées en fonction de son expérience professionnelle, il peut décider de forcer un ULD à rester à un emplacement précis avant de relancer la simulation, qui lui proposera une solution alternative en tenant compte de ces nouveaux impératifs.

« La fonction du load master reste primordiale. Le modèle sert donc à rendre la tâche de l’agencement du chargement plus facile et plus rapide, explique le Professeur Schyns. inside cargoCar à partir du moment où l’avion est sur le tarmac, le load master a une heure pour s’acquitter de toutes ses tâches. Et s’il devait trouver un agencement où le point de gravité était parfaitement respecté et où le moment d’inertie était minimisé, il aurait besoin de tout son temps imparti. Or, il a beaucoup d’autres tâches. » Ce modèle, en constante mise en pratique et évolution par rapport à la réalité, permet donc un gain de temps considérable lors du chargement, offre un moins grand risque d’abîmer l’avion, améliore la maniabilité de l’appareil, et permet une moins grande dépense en carburant.

Un modèle générique

AvionDans un premier temps, le modèle a été testé sur la simulation du chargement d’un Boeing 747, qui reste aujourd’hui l’avion le plus souvent utilisé dans le transport aérien de marchandises. Cependant, le Professeur Schyns insiste bien sur le fait que le modèle est relativement généraliste. « Nous ne faisons pas de la consultance. Nous n’avons pas été engagés par un opérateur particulier dans l’unique but de solutionner ses problèmes qui lui sont propres. Et la finalité était clairement de proposer un modèle générique, qui peut s’appliquer à tous types d’avions et à tous types d’ULDs, pour autant qu’ils soient de normes et de tailles standards. » Ce qui promet à cette recherche un bel avenir dans le milieu du transport aérien.

Si l’équipe est en pourparler avec plusieurs sociétés, le modèle n’est pas encore utilisé par les différents opérateurs, mais serait pour eux un magnifique outil. En attendant, les deux chercheurs continuent à s’intéresser au chargement des avions, et étendent leurs études à d’autres cas de figure, comme par exemple le problème de colis trop grands par rapport aux emplacements prédéfinis dans les avions, ou celui de la ségrégation. Certains ULDs atypiques doivent être séparés ou placés à certains endroits de l’appareil en fonction de leur nature. « Par exemple, observe Sabine Limbourg d’un ton espiègle, il peut être délicat de placer un animal vivant à côté de nourriture. Nous commençons aussi à traiter de la question des produits dangereux, ou radioactifs, ou encore des produits émettant des ondes électromagnétiques, qui doivent dès lors être placés le plus loin possible des boussoles, par exemple, et donc de l’avant de l’appareil. On a aussi une doctorante qui s’intéresse à la question du remplissage des containers, qui seront ensuite dispersés sur des camions après le vol. Il y a encore toute une série de cas de figure qui créent des contraintes qu’on n’a pas traitées dans le modèle initial, et qui nous poussent à poursuivre nos recherches. »


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