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La culture wallonne

29/03/2012

Souvent méconnue, parfois trop modeste, généralement plurielle, la culture wallonne possède pourtant plus d’un atout. C’est ce qu’a voulu souligner l’ouvrage Histoire culturelle de la Wallonie (1), fruit d’une collaboration entre 32 chercheurs. Ce livre retrace pour la première fois l’évolution et la richesse du patrimoine wallon, depuis la préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine. De la photographie aux arts de la scène, en passant par le cinéma, les musées, l’édition ou encore la littérature.

Tout le monde connaît bien sûr les frères Dardenne, qui ont conféré aux paysages industriels sérésiens une notoriété internationale. Il y a aussi les toiles et les dessins du namurois Félicien Rops, dont les célèbres « Tentation de Saint-Antoine » ou « La Dame au cochon-Pornokrates » ont influencé plus d’un artiste. On peut citer également la plume de génie d’un Georges Simenon, la créativité d’un Franco Dragone, la renommée incontestée de l’éditeur carolo de bandes dessinées Dupuis et de son concurrent tournaisien Casterman… Sans oublier le succès toujours très populaire du carnaval de Binche ou de la ducasse de Mons.

Mais le patrimoine culturel wallon se résume-t-il à ces quelques illustres exemples, d’hier et d’aujourd’hui ? Souvent méconnue, l’histoire culturelle de la Wallonie est en réalité bien plus riche et complexe qu’on l’imagine souvent.

cover-Hist-CultL’ouvrage sobrement intitulé Histoire culturelle de la Wallonie est en effet presqu’une encyclopédie à laquelle pas moins de 32 auteurs ont collaboré. Historiens, sociologues, linguistes, musicologues, spécialistes de l’édition, des arts de la scène, du cinéma, de la photographie… dont la moitié officie actuellement à l’Université de Liège qui en a fait un espace de recherche privilégié. Le tout sous la houlette de l’historien liégeois Bruno Demoulin, chargé de cours à l’ULg.

La tâche n’était pas mince. Mis à part l’œuvre du militant Léopold Génicot qui, en 1973 (soit trois ans après la réforme de l’État qui accoucha des trois Communautés et du projet de créer ensuite trois régions, premier pas vers le fédéralisme que l’on connaît aujourd’hui), avait dirigé la première Histoire de la Wallonie (2), ou encore les six tomes de l’encyclopédie publiée deux ans plus tard par Hervé Hasquin, Rita Lejeune et Jacques Stiennon, intitulée La Wallonie. Le pays et les hommes (3) et l’Histoire de la Wallonie (4), de B. Demoulin et J.-L. Kupper, il n’existait aucun ouvrage spécifique consacré à la question culturelle wallonne.

« En 2010, à l’occasion du 180ème anniversaire de la Belgique, certains collègues et moi-même, qui avions déjà collaboré à la réalisation d’un précédent livre (5), nous sommes rendus compte que nous nous trouvions face à un vide, raconte Bruno Demoulin. Nous avons donc contacté le responsable du Fonds Mercator, qui a été séduit par l’idée, puis nous avons constitué une équipe. » La réalisation du projet pouvait commencer.

Restait encore à régler certains « détails » : avec ou sans Bruxelles ? Les auteurs ont décidé de ne pas intégrer la capitale qui, géographiquement, « ne fait objectivement pas partie du territoire, même si les liens entre les deux cultures furent très forts, surtout à partir du 18e siècle et du début de la francisation. » Avec ou sans la communauté germanophone ? Avec, ont-ils décrété, précisément pour les mêmes raisons institutionnelles.

Pas de « Wallonie » avant 1844

L’ouvrage – après l’introduction de rigueur – s’ouvre sur cette question : « Qu’est-ce que la Wallonie ? » La réponse paraît évidente, mais elle est en réalité plutôt complexe. Le mot ne fit en effet son apparition qu’en 1844 (son usage était alors réservé à une certaine élite intellectuelle namuroise et liégeoise). Comme le démontre le très intéressant cahier cartographique adossé à ce premier chapitre, le territoire fut en réalité balloté au fil des siècles d’un empire à l’autre, d’un pays à l’autre, faisant tantôt partie de la Gaule, de la Lotharingie, des Pays-Bas espagnols, puis autrichiens, des départements français…

Carnaval-BincheLes auteurs ont ensuite choisi d’opter dans un premier temps pour une division chronologique : de la préhistoire à nos jours en passant par la Gaule, le Moyen-Âge ou encore la Renaissance et les révolutions. Une deuxième partie est ensuite consacrée à des approches thématiques : langue et littérature, livres et lecture, édition, musiques, arts de la scène, les arts au Moyen Âge, les arts des 14e et 15e siècles, les arts plastiques du 16e au 18e siècle, les arts plastiques et graphiques aux 19e et 20e siècles, la photographie, le cinéma et les arts audiovisuels et enfin les musées.

Le tout étant richement illustré (pas moins de 400 images !), de quoi rendre la lecture visuellement agréable. De quoi, aussi, (re)découvrir certains objets, lieux, ou archives. Comme cette couverture du magazine Pourquoi pas ?, sur laquelle on constate non seulement qu’en 1961, un hebdomadaire se vendait 10 francs, mais surtout que l’on parlait déjà de scission de la Belgique (en témoigne ce dessin représentant un drapeau national découpé par une paire de ciseaux) et de fédéralisme. On regarde aussi d’un nouvel œil toutes ces photographies de superbes bâtiments devant lesquels on passe parfois sans réellement les voir tant ils font partie de notre quotidien : la cathédrale Notre-Dame de Tournai, le théâtre Le Manège à Mons, la récente extension du Musée de la photographie à Charleroi, le Palais Curtius de Liège, le Parlement wallon à Namur coincé entre la Citadelle et la Meuse…

La culture wallonne, trop modeste ?

Moving-TargetAu fil des pages, le regard est également attiré par cette photographie d’une chorégraphie de Frédéric Flamand, Moving Target, sur laquelle une danseuse parée d’une interminable jupe bleu nuit se retrouve « dédoublée » grâce à un subtil jeu de miroirs. Ou encore par cette œuvre de l’artiste Jacques Charlier, Novassima Verba, hommage au Pornokrates de Félicien Rops évoqué plus haut, avec la même femme nue aux yeux bandés et aux hauts bas, mais cette fois sans cochon au bout de la corde. On pourrait encore citer, derniers exemples parmi tant d’autres, ces magnifiques orfèvreries et tapisseries, trésors souvent méconnus d’un passé qui l’est tout autant.

Car c’est bien là une caractéristique de l’histoire culturelle wallonne : sa (trop ?) grande modestie. Voire son ancien complexe d’infériorité vis-à-vis de ses voisins, qu’ils soient bruxellois, parisiens, flamands, allemands ou hollandais. En témoignent notamment ces nombreux artistes qui, de tous temps, ont migré vers d’autres terres jugées plus propices à la création : Rogier de la Pasture, peintre tournaisien de la Renaissance ayant préféré s’installer en Flandre, tout comme le compositeur César Franck, né à Liège mais naturalisé français, ou encore Georges Simenon, qui lui non plus n’avait pu résister aux sirènes hexagonales… « Au début du 20e siècle, certains avaient clairement le sentiment que l’on nous avait pris nos artistes, décrit Bruno Demoulin. Mais, au fil des siècles ils étaient allés seulement gagner leur vie là où ils étaient accueillis. La Wallonie était alors certes la deuxième puissance industrielle du monde mais c’est vrai, la vitalité artistique se situait essentiellement en France. La Wallonie a ensuite eu une image de terre chaude, sociale, remuée par les grèves… Cela a sans doute occulté un sentiment de fierté vis-à-vis de cette histoire culturelle qui comporte de superbes richesses. Aujourd’hui, alors que le fleuron industriel d’antan s’est étiolé, il y a peut-être ce déclic, cette envie de se replonger dans le passé et de redécouvrir ce que l’on avait oublié pour ranimer l’espoir. »

« Le Belge transpire, le Français sue »

Bruno Demoulin le stipule d’emblée : cet ouvrage n’a rien de politiquement vindicatif. Une précision qui n’est pas inutile en ces temps de sensibilités communautaires exacerbées. « Ce n’est pas un manifeste, c’est une œuvre scientifique, et il est vrai une constatation tranquille. Il existe une vitalité en Wallonie, elle peut s’extérioriser. Sans faux-semblant, sans fausse modestie, sans agressivité. Nous avions une volonté de faire comprendre que nous ne sommes ni adversaires, ni inférieurs. »

Pour concrétiser cette ouverture qui caractériserait la culture wallonne, le livre a ouvert ses pages, dans sa dernière partie intitulée « La Wallonie et l’autre », à des observateurs extérieurs venus exprimer leur vision de la Wallonie. D’abord une vue de France, si proche et tellement différente à la fois. On ne peut résister à l’envie de retranscrire cette citation du philologue liégeois Maurice Piron, qui résume parfaitement ce particularisme : « Le Belge transpire, épluche son fruit, verse un acompte, regarde la tévé et attend le paiement de sa pension, tandis que le Français sue, pèle son fruit, verse des arrhes, regarde la télé et attend le paiement de sa retraite. » Viennent ensuite les regards allemands, bruxellois et flamands. Premier-spirouLa caricature de Pierre Kroll (représentant un zoo de Wallons nourris par des Flamands venus les observer), reproduite à l’entame de cette dernière partie, vaut mieux qu’un long discours pour résumer les clichés véhiculés par (certains de) nos voisins du Nord quant aux Wallons paresseux, profiteurs, grévistes, socialistes…

L’ouvrage se termine enfin sur ce chapitre, pointant une question délicate : « Existe-t-il une identité wallonne ? » Nous sentons-nous d’abords Wallons, Belges, Liégeois, Namurois, ou Carolos ? Si la Flandre semble depuis toujours animée d’un désir émancipateur et revendicatif sur le plan culturel, la Wallonie semble à ce titre plus effacée. « L’identité wallonne est récente. Elle se cherche, elle est en cours de construction, estime Bruno Demoulin. Elle se superpose aussi avec d’autres attachements. Elle a pu se sentir menacée. Mais la culture est sans aucun doute son ciment. »

Et, finalement, au bout de ces 400 pages, comment définir la culture wallonne ? « Multiple, sans frontière, généreuse, ouverte, tolérante, influencée par plusieurs sources mais qui a su conserver son authenticité et ses particularismes, conclut l’historien. Sans oublier son sens de la dérision et de l’autodérision, qui caractérise les Wallons, et surtout les créateurs. C’est grâce à eux et à la culture que la Wallonie pourra, comme elle l’a déjà fait par le passé, se relever et renaître. »

(1) Bruno DEMOULIN et al., Histoire culturelle de la Wallonie, Bruxelles, Fonds Mercator, 2012.
(2) Publié aux éditions Privat de Toulouse.
(3) Publiée aux éditions La renaissance du Livre, 1975.
(4) Publié aux éditions Privat de Toulouse en 2004.
(5) Bruno DEMOULIN et al., Liège et le palais des Princes-Évêques, Bruxelles, Fonds Mercator, 2008.


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