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Les chefs d’orchestre insoupçonnés de l’expression des gènes

06/09/2016

Les facteurs de transcription sont connus depuis longtemps pour coordonner la transcription de l’ADN en ARN messager. De récentes études montrent que leur rôle ne se cantonne pas à ces étapes précoces de l’expression des gènes. Dans une étude publiée dans Nature Structural & Molecular Biology, l’équipe de Franck Dequiedt met en évidence l’implication des facteurs de transcription dans la dégradation de l’ARN messager à l’extérieur du noyau cellulaire.

L’ADN contient toutes les informations nécessaires au bon fonctionnement d’un organisme. Mais détenir l’information ne fait pas tout. Encore faut-il que celle-ci soit correctement transmise aux différents acteurs qui agissent sur le terrain cellulaire pour traduire ces informations en actions concrètes. Pour passer de l’ADN aux protéines qui exécutent ces actions concrètes, une série d’étapes est nécessaire. C’est ce qu’on appelle l’expression des gènes. Au laboratoire « Protein Signaling and Interactions » de l’Unité Molecular Biology of Diseases du GIGA de l’Université de Liège, l’équipe de Franck Dequiedt s’intéresse aux mécanismes moléculaires qui contrôlent l’expression des gènes. « Nous étudions les acteurs moléculaires qui font que les protéines s’expriment à certains moments », précise Franck Dequiedt. Depuis de nombreuses années, le modèle qui prévaut et qui est enseigné aux étudiants est celui de l’expression des gènes se déroulant en une série d’étapes qui se succèdent: synthèse de l’ARN pré-messager à partir de l’ADN, maturation en ARN messager, export vers le cytoplasme, passage dans les ribosomes et traduction en protéine. « Depuis de nombreuses années, on représente cela sous une forme linéaire où les étapes se suivent », explique le chercheur. « Mais on se rend de plus en plus compte que cela ne reflète pas la réalité. Des études récentes mettent en évidence qu’il y a des connexions entre ces différentes étapes ». Dans une étude publiée dans Nature Structural & Molecular Biology (1), en collaboration avec des chercheurs de l’ULB et américains, l’équipe de Franck Dequiedt a mis le doigt sur une de ces connexions…et pas la moindre !

ADN gene

Un savoir en pleine (r)évolution

Une des premières étapes de l’expression des gènes s’appelle la transcription. Elle se déroule dans le noyau de la cellule et consiste en la transcription de régions codantes de l’ADN en molécules d’ARN. Il s’agit en quelque sorte de produire une copie de la partie de l’ADN concernée afin que celui-ci reste intact. Cette copie est mobile et lisible par la machinerie de traduction qui permettra d’obtenir des protéines à l’issue du processus. « L’étape de transcription est principalement coordonnée par les facteurs de transcription », indique Franck Dequiedt. « Ce sont eux qui permettent d’orchestrer quand, où et à quel niveau les gènes sont exprimés ». Les connaissances du rôle de ces acteurs cruciaux se cantonnaient jusqu’ici aux phases précoces de l’expression des gènes. « On savait qu’ils étaient importants pour le recrutement de l’ARN polymérase, enzyme qui catalyse la réaction de transcription, ainsi que pour l’enclenchement de la transcription », précise le Directeur de l’Unité Molecular Biology of Diseases du GIGA. « Mais dans un schéma où les étapes de l’expression des gènes s’enchevêtrent davantage, des études ont déjà donné des indices sur le fait que les facteurs de transcription pouvaient agir sur d’autres choses comme la vitesse de transcription ou encore l’épissage qui permet de « nettoyer » l’ARN de parties superflues ». Ces découvertes sur un rôle élargi des facteurs de transcription sont importantes mais n’ont pas révolutionné le « statut » des facteurs de transcription car ces étapes se déroulent toujours dans le noyau de la cellule. Ce que Franck Dequiedt et ses collègues ont mis en évidence dans leur récente étude, c’est que les facteurs de transcription, ici ERG (E-26 related gene), peuvent aussi influencer des étapes plus tardives de l’expression des gènes qui se déroulent dans le cytoplasme, c’est-à-dire à l’extérieur du noyau. « C’était difficile de s’imaginer que les facteurs de transcription pouvaient traverser la membrane nucléaire », souligne le chercheur. 

Le lien entre synthèse et dégradation de l’ARN messager

Sous la loupe de l’équipe de Franck Dequiedt : une famille de facteurs de transcription appelés ERG, choisis pour leur caractère prototypique. En effet, ils répondent très bien aux critères types des facteurs de transcription : ils ont un domaine pour reconnaître l’ADN, ils se lient à des séquences d’ADN bien définies, ils se lient sur des promoteurs, interagissent avec la machinerie d’initiation de la transcription, etc. « Nous avons montré que, en plus du rôle de coordinateur de toutes les étapes de transcription, ces facteurs de transcriptions peuvent se retrouver dans le cytoplasme associés à des ARN matures, prêts à être traduits, et ils coordonnent la dégradation de ces ARNs », révèle le spécialiste.  

Pendant très longtemps, le monde scientifique s’est contenté d’étudier la synthèse de l’ARN, se disant que l’organisme produisait ou non des ARN en fonction de ses besoins en protéines. Ce qui lui avait échappé dans ce modèle, c’est qu’une fois que ces ARN avaient rempli leur rôle il fallait les éliminer pour qu’ils ne soient pas utilisés pour produire des protéines. « Pendant tout ce temps, on a cru que la dégradation des ARN se limitait à l’élimination des ARN aberrants, c’est-à-dire contenant des erreurs suite à la transcription. Mais depuis une dizaine d’années, on se rend compte que la dégradation spécifique des ARN fait partie intégrante de l’arsenal cellulaire qui permet de contrôler précisément les nivaux de protéines », poursuit le chercheur. Sur base d’études sur la levure et d’études transcriptomiques, on sait aujourd’hui qu’il existe des liens entre synthèse et dégradation de l’ARN mais on n’avait pas encore identifié - de manière satisfaisante - de protéine qui pourrait connecter les deux processus. Mais c’était avant les résultats de la présente étude…

EGR noyau

Entre facteurs et messager, à la vie à la mort !

Les chercheurs liégeois et leurs collègues ont identifié une classe de protéines qui est impliquée à la fois dans la naissance et la mort des ARN messagers. « On retrouve les facteurs de transcription aux deux extrémités du cycle des ARN messagers », indique Franck Dequiedt. En outre, les scientifiques ont montré que les facteurs de transcription ERG,  contrôlent la transcription de certains gènes ainsi que la dégradation des ARN messager issus de ces gènes. « Dans la plupart des cas, la dégradation des ARN messagers est contrôlée par les mêmes facteurs de transcription que ceux qui ont initié leur synthèse », précise le chercheur. « Ce qui est très intéressant pour la cellule puisqu’avec un nombre réduit de protéines, elle peut ainsi contrôler la synthèse et la dégradation de ses ARN messagers ». 

Mais ces deux processus se déroulent dans des compartiments cellulaires différents : un dans le noyau et l’autre dans le cytoplasme. Comment les facteurs de transcription traversent-ils la membrane nucléaire pour pouvoir dégrader les ARN messagers dans le cytoplasme ? « Nous ne l’avons pas démontré formellement mais nous pensons que le facteur de transcription sauterait en quelque sorte sur l’ARN messager en cours de synthèse. Une fois prêt, l’ARN couplé à des protéines prend une forme particulière sous laquelle il traverse la membrane nucléaire. Le facteur de transcription serait incorporé à ce complexe et exporté dans le cytoplasme où il se charge de la dégradation de l’ARN messager dont il a contrôlé la synthèse », explique Franck Dequiedt. Les chercheurs liégeois travaillent actuellement à vérifier cette hypothèse. De plus, comme les facteurs de transcription sont présents à la naissance et à la mort de l’ARN on peut raisonnablement supposer qu’ils sont présents tout au long de la vie de l’ARN. « Ils pourraient potentiellement coordonner toutes les étapes intermédiaires entre la synthèse et la dégradation des ARN. C’est également l’objet de recherches au sein de l’équipe de Franck Dequiedt au jour d’aujourd’hui. « Nous sommes en train de montrer qu’ils contrôlent l’épissage, l’export et probablement aussi la traduction de l’ARN ». 

Les facteurs de transcription ERG et cancer

Donc, les facteurs de transcription ne sont pas uniquement des petites mains discrètes qui oeuvrent à l’initiation de la synthèse des ARN. Ils sont de véritables chefs d’orchestre qui coordonnent les différentes étapes pour arriver à un contrôle efficace et réactif de l’expression des gènes. Ces découvertes sont très importantes, notamment lorsqu’on sait que pour comprendre le rôle d’un facteur de transcription, les scientifiques empêchent son expression et font des analyses transcriptomiques.  « On regarde alors dans la cellule, dans le tissu ou dans l’organisme quelles sont les variations dans les niveaux d’ARN messager des différents gènes. Et on peut en déduire quels gènes sont contrôlés par le facteur de transcription en question », explique Franck Dequiedt. « Nos découvertes montrent qu’on ne peut pas s’en tenir à ça. Si on empêche l’expression d’un facteur de transcription, pour toute une série de gènes les niveaux globaux  d’ARN ne changeront pas puisque la synthèse d’ARN et la dégradation d’ARN de ces gènes diminueront ou augmenteront toutes les deux ».  Il faut donc être vigilant lors de l’utilisation de telles méthodes dans le cas des facteurs de transcriptions et être conscients qu’ils ont d’autres rôles que de contrôler les niveaux d’ARN produits.

Enfin, les facteurs de transcription de la famille ERG sont oncogènes. « Ils ont clairement été identifiés comme facteur causal dans des cancers tels que celui de la prostate, des leucémies, etc. Et l’explication de leur rôle d’oncogène pour l’instant se limite à leur contrôle de la transcription de certains gènes. Mais leur rôle oncogénique pourrait être dû à leur rôle sur la dégradation des ARN messagers ou sur l’épissage ou à d’autres fonctions encore inconnues à ce jour », conclut Franck Dequiedt. 

(1)  Xavier Rambout, Cécile Detiffe, Jonathan Bruyr, Emeline Mariavelle, Majid Cherkaoui, Sylvain Brohée, Pauline Demoitié, Marielle Lebrun, Romuald Soin, Bart Lesage, Katia Guedri, Monique Beullens, Mathieu Bollen, Thalia A Farazi, Richard Kettmann, Ingrid Struman, David E Hill, Marc Vidal, Véronique Kruys, Nicolas Simonis, Jean-Claude Twizere & Franck Dequiedt. The transcription factor ERG recruits CCR4-NOT to control mRNA decay and 2  mitotic progressionNature Structural & Molecular Biology, juin 2016


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