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Les chefs d’orchestre insoupçonnés de l’expression des gènes
06/09/2016

Pendant très longtemps, le monde scientifique s’est contenté d’étudier la synthèse de l’ARN, se disant que l’organisme produisait ou non des ARN en fonction de ses besoins en protéines. Ce qui lui avait échappé dans ce modèle, c’est qu’une fois que ces ARN avaient rempli leur rôle il fallait les éliminer pour qu’ils ne soient pas utilisés pour produire des protéines. « Pendant tout ce temps, on a cru que la dégradation des ARN se limitait à l’élimination des ARN aberrants, c’est-à-dire contenant des erreurs suite à la transcription. Mais depuis une dizaine d’années, on se rend compte que la dégradation spécifique des ARN fait partie intégrante de l’arsenal cellulaire qui permet de contrôler précisément les nivaux de protéines », poursuit le chercheur. Sur base d’études sur la levure et d’études transcriptomiques, on sait aujourd’hui qu’il existe des liens entre synthèse et dégradation de l’ARN mais on n’avait pas encore identifié - de manière satisfaisante - de protéine qui pourrait connecter les deux processus. Mais c’était avant les résultats de la présente étude…

EGR noyau

Entre facteurs et messager, à la vie à la mort !

Les chercheurs liégeois et leurs collègues ont identifié une classe de protéines qui est impliquée à la fois dans la naissance et la mort des ARN messagers. « On retrouve les facteurs de transcription aux deux extrémités du cycle des ARN messagers », indique Franck Dequiedt. En outre, les scientifiques ont montré que les facteurs de transcription ERG,  contrôlent la transcription de certains gènes ainsi que la dégradation des ARN messager issus de ces gènes. « Dans la plupart des cas, la dégradation des ARN messagers est contrôlée par les mêmes facteurs de transcription que ceux qui ont initié leur synthèse », précise le chercheur. « Ce qui est très intéressant pour la cellule puisqu’avec un nombre réduit de protéines, elle peut ainsi contrôler la synthèse et la dégradation de ses ARN messagers ». 

Mais ces deux processus se déroulent dans des compartiments cellulaires différents : un dans le noyau et l’autre dans le cytoplasme. Comment les facteurs de transcription traversent-ils la membrane nucléaire pour pouvoir dégrader les ARN messagers dans le cytoplasme ? « Nous ne l’avons pas démontré formellement mais nous pensons que le facteur de transcription sauterait en quelque sorte sur l’ARN messager en cours de synthèse. Une fois prêt, l’ARN couplé à des protéines prend une forme particulière sous laquelle il traverse la membrane nucléaire. Le facteur de transcription serait incorporé à ce complexe et exporté dans le cytoplasme où il se charge de la dégradation de l’ARN messager dont il a contrôlé la synthèse », explique Franck Dequiedt. Les chercheurs liégeois travaillent actuellement à vérifier cette hypothèse. De plus, comme les facteurs de transcription sont présents à la naissance et à la mort de l’ARN on peut raisonnablement supposer qu’ils sont présents tout au long de la vie de l’ARN. « Ils pourraient potentiellement coordonner toutes les étapes intermédiaires entre la synthèse et la dégradation des ARN. C’est également l’objet de recherches au sein de l’équipe de Franck Dequiedt au jour d’aujourd’hui. « Nous sommes en train de montrer qu’ils contrôlent l’épissage, l’export et probablement aussi la traduction de l’ARN ». 

Les facteurs de transcription ERG et cancer

Donc, les facteurs de transcription ne sont pas uniquement des petites mains discrètes qui oeuvrent à l’initiation de la synthèse des ARN. Ils sont de véritables chefs d’orchestre qui coordonnent les différentes étapes pour arriver à un contrôle efficace et réactif de l’expression des gènes. Ces découvertes sont très importantes, notamment lorsqu’on sait que pour comprendre le rôle d’un facteur de transcription, les scientifiques empêchent son expression et font des analyses transcriptomiques.  « On regarde alors dans la cellule, dans le tissu ou dans l’organisme quelles sont les variations dans les niveaux d’ARN messager des différents gènes. Et on peut en déduire quels gènes sont contrôlés par le facteur de transcription en question », explique Franck Dequiedt. « Nos découvertes montrent qu’on ne peut pas s’en tenir à ça. Si on empêche l’expression d’un facteur de transcription, pour toute une série de gènes les niveaux globaux  d’ARN ne changeront pas puisque la synthèse d’ARN et la dégradation d’ARN de ces gènes diminueront ou augmenteront toutes les deux ».  Il faut donc être vigilant lors de l’utilisation de telles méthodes dans le cas des facteurs de transcriptions et être conscients qu’ils ont d’autres rôles que de contrôler les niveaux d’ARN produits.

Enfin, les facteurs de transcription de la famille ERG sont oncogènes. « Ils ont clairement été identifiés comme facteur causal dans des cancers tels que celui de la prostate, des leucémies, etc. Et l’explication de leur rôle d’oncogène pour l’instant se limite à leur contrôle de la transcription de certains gènes. Mais leur rôle oncogénique pourrait être dû à leur rôle sur la dégradation des ARN messagers ou sur l’épissage ou à d’autres fonctions encore inconnues à ce jour », conclut Franck Dequiedt. 

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