Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège


Une usine portable de fabrication de médicaments

29/08/2016

Produire des médicaments rapidement grâce à une unité portable. Telle était la demande du Département de la Défense US aux chercheurs du MIT. Les développements technologiques réalisés pour répondre à cette demande, et auxquels Jean-Christophe Monbaliu, chercheur en chimie de l’Université de Liège, a participé, vont permettre une véritable révolution de l’industrie pharmaceutique.

pills

Imaginez, une unité de production portable permettant de fabriquer, en un temps record, des milliers de doses de médicaments pour répondre aux besoins dans des zones de conflits, en cas d’épidémie ou encore, tout simplement, pour faire face à une rupture de stock. Non, ce n’est pas le scénario d’une fiction qui sortira prochainement au cinéma. L’industrie pharmaceutique va bientôt connaître une vraie révolution en terme de production des médicaments grâce au travail d’une équipe de chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (MIT) dont a fait partie Jean-Christophe Monbaliu. A son arrivée à l’Université de Liège en 2013, ce chimiste organicien crée le CiTOS (Center for Integrated Technology and Organic Synthesis). Il s’intéresse depuis sa thèse de doctorat aux nouvelles façons de créer de la matière. « Ce qu’on utilise aujourd’hui, et depuis des siècles d’ailleurs, pour produire des médicaments ce sont des réacteurs batch », explique-il. « Ce sont des réacteurs macroscopiques généralement en verre ou en métal au sein desquels on peut transformer la matière – l’exemple type en est le ballon en verre que l’on trouve classiquement au laboratoire. Il y a des images de ce type de technologie qui datent de l’Egypte ancienne ». Ces réacteurs macroscopiques utilisés pour fabriquer des produits chimiques depuis si longtemps sont peu onéreux à entretenir et permettent de faire un grand nombre de transformations différentes avec un seul de ces réacteurs. Mais ils présentent également de nombreux désavantages. « Ils nécessitent de gérer des inventaires particulièrement importants de réactifs et de produits parfois toxiques ou explosifs. On s’expose donc à un risque industriel important », précise Jean-Christophe Monbaliu. De plus, la fabrication de certains médicaments peut impliquer plusieurs étapes de transformation, ce qui allonge le temps de production. Il arrive que cela prenne jusqu’à une année complète. C’est donc très consommateur en termes de personnel et de temps. Enfin, les réactions qui se déroulent au sein des réacteurs batch ne sont pas efficaces. « La réaction se fait mais le mélange et le transfert de chaleur ne sont pas optimaux », souligne le chercheur. « Le transfert de la chaleur des parois du réacteur vers les réactifs est très lent, ce qui engendre des réactions moins bien gérées. Résultat : il y a une variabilité non négligeable dans la qualité du matériel qui est produit ». Dans le cas de réactions qui produisent de la chaleur, le transfert de celle-ci vers l’extérieur laisse également à désirer. La chaleur n’étant pas évacuée, elle entraîne une accélération de la réaction. On peut alors observer un phénomène d’emballement, pouvant lui-même mener à une explosion.  

reacteurs batch mesofluidique

Une unité mobile pour les situations d’urgence

Conscient des limites des réacteurs macroscopiques batch,  Jean-Christophe Monbaliu continue d’investiguer depuis la fin de sa thèse, notamment lors de différents post-doctorats à Gand et aux Etats-Unis, d’autres technologies pour transformer la matière. Il se concentre plus particulièrement sur une technologie appelée la microfluidique étendue aux procédés en flux-continu. « Contrairement aux procédés batch, les procédés de chimie en flux-continu utilisent des micro- et/ou des mésoréacteurs. Tout est une question de taille », explique le chimiste. « Dans la micro ou mésofluidique, on travaille dans des réacteurs particuliers qui peuvent prendre différentes formes mais qui ont tous le point commun d’être composés de canaux dans lesquels les réactifs circulent et qui ont une taille de 100 à 1000 microns de diamètre ». Autre différence avec la plupart des réacteurs batch : les réacteurs micro ou mésofluidiques sont alimentés en continu en réactifs. La transformation se déroule dans les canaux où ces réactifs circulent. Les bénéfices de cette technologie sont très intéressants pour la transformation de matière. En effet, elle permet d’obtenir très rapidement des mélanges homogènes, de contrôler très efficacement la manière dont les réactifs se mélangent ainsi que le transfert de chaleur. 

Dispositif production medicamentsOn comprend dès lors les avantages de cette technologie d’un point de vue « efficacité de la réaction » mais ces petits réacteurs font-ils le poids en termes de production ? « Malgré la petite taille de ces réacteurs, comme ils sont opérés en continu, on peut rapidement produire des quantités industriellement intéressantes », précise Jean-Christophe Monbaliu. En outre, étant donné qu’il n’y a qu’une très faible quantité de réactifs présents par unité de temps dans ce type de réacteur, l’aspect sécuritaire est amélioré. « En cas d’explosion, l’impact sur l’environnement est fortement réduit, tout en conservant la possibilité de produire des quantités importantes », poursuit le chercheur. Ceux-ci ont un avantage supplémentaire lié à  leur petite taille : ils sont compatibles avec la notion d’unité de production mobile, déplaçable à la demande.

Au cours de ses post-doctorats, ce dernier oriente sa formation vers l’ingénierie chimique et vers l’application de la microfluidique à la chimie organique. En 2012, il rejoint le prestigieux Massachussetts Institute of Technology (MIT) à Cambridge aux USA pour participer à un projet (« Pharmacy on Demand ») financé par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) qui dépend directement du département de la défense US. L’objectif du projet : donner un avantage stratégique à la sécurité nationale en lui créant une unité mobile de production de médicaments. Rien que ça. « Cette unité de production portable devait permettre de produire des médicaments dans des zones difficilement accessibles, dans des zones de conflits, ou tout simplement de répondre à une augmentation soudaine de la demande sur le marché pour un médicament particulier en cas d’épidémie ou de rupture de stock », indique Jean-Christophe Monbaliu.  

Des médicaments prêts en 15 minutes !

Lorsque le jeune scientifique commence à travailler sur ce projet, des études avaient été publiées sur l’application de la technique microfluidique à la chimie organique et au développement de médicaments mais aucune n’avait été jusqu’au stade de la réalisation d’un prototype si avancé. « Le prototype que nous avons mis au point permet la synthèse de quatre médicaments très différents couramment utilisés : un antianxiolytique, un antidépresseur, un antihistaminique et un anesthésique local », révèle Jean-Christophe Monbaliu. « Au-delà de la synthèse de ces médicaments, cette unité permet la purification et la formulation du médicament ». Tout ça grâce à un appareil de la taille d’un frigo ! Pour faire simple : on y verse des réactifs bruts et à la sortie on obtient une solution qui contient un principe actif directement injectable chez l’être humain. « Nous avons poussé à l’extrême les techniques de microfluidique et de chimie en flux-continu pour avoir une unité de production très compacte et très rapide ». Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Science(1).

Typiquement, pour fabriquer les quatre médicaments en question, les firmes pharmaceutiques et leurs réacteurs batch ont besoin de plusieurs jours, au mieux. Le prototype créé par Jean-Christophe Monbaliu et ses collègues écrase le temps de réaction à 15-30 minutes…Le gain de temps est donc phénoménal ! Cette nouvelle technologie devrait bientôt être à l’origine d’une révolution pour l’industrie pharmaceutique, mais pas uniquement. Elle ne devrait pas remplacer les réacteurs macroscopiques batch mais plutôt les complémenter. « Pour 50 à 60% des réactions étudiées à ce jour, il y a un bénéfice de les faire en microfluidique mais pour les autres il n’y a pas vraiment d’avantage », précise le chercheur. « Cette nouvelle technologie permettra de faire nettement mieux et efficacement ce qu’on faisait auparavant. De manière plus raisonnée, plus contrôlée, plus sûr ». 

Une révolution au rythme de la miniaturisation

Cet outil vient élargir l’horizon du chimiste puisqu’il lui permet de considérer des conditions de réactions jusqu’ici tout à fait inaccessibles. « Comme on a un très bon contrôle de ce qui se passe au sein de ces réacteurs microfluidiques, on peut se permettre de faire de l’intensification des réactions. On peut chauffer plus fort. Les réactifs circulent et passent rapidement au sein des réacteurs, ce qui fait qu’il y a juste la réaction désirée qui se produit et pas de réactions secondaires », souligne Jean-Christophe Monbaliu. 

Pourquoi a-t-il fallu attendre des siècles pour voir une nouvelle technologie pallier les lacunes des réacteurs batch ? Tout comme en informatique, il a fallu attendre que l’état de la technique évolue pour avoir accès aux outils très particuliers nécessaires à la mise en œuvre des procédés microfluidiques. Comme par exemple des méthodes d’usinage qui permettent de graver des microcanaux. Chose qui est devenue de plus en plus abordable il y a une dizaine d’années. « Derrière l’unité de production portable construite au MIT, il y a un grand nombre de développements technologiques importants qui ont été effectués. Que ce soit en terme d’ingénierie ou en terme de chimie et de la façon dont un procédé à plusieurs étapes est réalisé », souligne Jean-Christophe Monbaliu. 

procede continu

Cette unité ne sera jamais commercialisée mais la technologie développée pour la construire est partiellement commercialisée par une start up du MIT. « Cela va bénéficier à l’industrie pharmaceutique et à toutes les autres applications en chimie », explique le scientifique. « Il y a une prise de conscience depuis 2007 de la nécessité de développer de nouvelles technologies pour produire des médicaments de manière beaucoup plus flexible. Le développement de procédés continus de microfluidique est une priorité pour l’industrie pharmaceutique ». Plus rapide, plus efficace, plus compacte, permettant un contrôle plus fin et de répondre à des variation de la demande sur le marché, la microfluidique ne peut que séduire les industriels. « On pourrait même étendre ce concept à la fabrication de médicaments pour les maladies orphelines », indique le chimiste. « C’est une des pistes à suivre maintenant car ces médicaments coûtent tellement cher à produire et le nombre de patients est tellement faible que les sociétés pharmaceutiques ne veulent pas investir dans ce domaine ». Cette nouvelle technologie pourrait donc amener ces sociétés à reconsidérer la préparation de médicaments orphelins. 

(1) A. Adamo, R. L. Beingessner, M. Behnam, J. Chen, T. F. Jamison, K. F. Jensen, J.-C. M. Monbaliu, A. S. Myerson, E. M. Revalor, D. R. Snead, T. Stelzer, N. Weeranoppanant, S. Y. Wong, P. Zhang. On-demand continuous-flow production of pharmaceuticals in a compact, reconfigurable system. Science, 2016; 352 (6281): 61 DOI: 10.1126/science.aaf1337 


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_426090/fr/une-usine-portable-de-fabrication-de-medicaments?part=2&printView=true - 25 avril 2024