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La mer Noire a perdu plus d’un tiers de sa zone habitable
01/09/2016

Pourtant, le niveau d’oxygène n’augmente pas à nouveau. Au contraire, il stagne quelques années qui connaissent des hivers particulièrement froids, avant de baisser à nouveau. Cette fois-ci, c’est le réchauffement de l’air qui reprend le flambeau, en influençant la ventilation. En effet, si les hivers sont moins froids, le volume d'eau dense généré est moindre, ce qui réduit l'apport d'oxygène lorsque ces eaux plongent au niveau de la halocline.  « Le phénomène risque d’ailleurs de s’accentuer. Avant, cette formation d’eau froide avait lieu chaque année. Or, les chiffres récoltés sur les dix dernières années attestent d’une formation d’eau froide de plus en plus intermittente. Nous sommes actuellement en train d’analyser nos résultats, mais il semblerait que cette ventilation autrefois annuelle n’ait plus lieu qu’une fois tous les deux ou trois ans. Nous ne pouvons encore déterminer les conséquences de ce phénomène, mais en tout cas, nous sommes les témoins d’un système qui change de fonctionnement. » 

Outre un brassage moins important et occasionnel, ce réchauffement cache un second effet menant à une désoxygénation. L’eau froide a pour propriété chimique d’arriver moins vite à saturation que l’eau chaude. Plus l’eau est froide, plus elle peut contenir de gaz dissous, ce qui inclut forcément l’oxygène. En se réchauffant, l’eau de surface est de moins en moins capable d’accumuler de l’oxygène. Dès lors, non seulement l’oxygène ne colonise plus la mer Noire en profondeur, mais en plus, c’est sur toute la colonne d’eau que sa concentration diminue. La désoxygénation par l’augmentation de la chaleur de l’eau constitue par ailleurs un problème global, qui concerne l’ensemble des océans. Le problème est aujourd’hui pris très au sérieux par la communauté scientifique. 

colonne d'eau mer noir

Des implications à quantifier

L’étude visait avant tout à quantifier les processus physiques liés à la colonne d’eau par la récolte et l’analyse de données. Leur dynamique semble aujourd’hui bien comprise tant spatialement que temporellement. La grande inconnue reste l’influence que ces variations auront sur l’écosystème. Les modèles qui permettent d’étudier les différents scénarios en mer Noire doivent aujourd’hui intégrer ces nouvelles données d’halocline, de thermocline et d’oxycline, pour prédire avec plus de précision leur impact réel. Des pistes peuvent cependant être lancées. « Il est évident que la mer Noire fait face à une forte compression de sa zone habitable. C’est dans cette couche que tout l’écosystème se construit, des phytoplanctons jusqu’aux prédateurs, qui évoluent dans des eaux plus profondes. Toute la chaîne trophique s’organise dans la colonne d’eau en fonction de la présence de lumière ou de nutriments. Là où les interactions entre ces groupes trophiques s’organisaient sur 140 mètres, ils devront trouver un nouvel équilibre sur 90 mètres. Il y aura une incidence écologique et économique. La pêche devra probablement s’adapter en fonction de cette réorganisation. C’est pourtant une activité de premier plan dans la région. » Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimnetation et l'agriculture)  elle représente en effet 376 000 tonnes de capture sur l’année 2013. À peine deux fois moins que pour l’ensemble de la mer Méditerranée. 

Un outsider toxique 

Une dernière dynamique méritera enfin d’être surveillée. Pour rappel, la décomposition de la biomasse consomme de l’oxygène. Quand il n’y a plus d’oxygène, cette biomasse continue de se dégrader, entraînant la consommation des sulfates par les bactéries et la production du sulfure d’hydrogène (H2S), un gaz hautement toxique. La stratification permanente de la mer Noire agit comme un couvercle sur les eaux profondes, dans lesquelles s’est accumulé ce sulfure d’hydrogène pour progressivement atteindre des concentrations inouïes. Rien ne prouve à l’heure actuelle que la remontée de l’oxycline influence un comportement similaire du sulfure d’hydrogène. « La profondeur à laquelle apparaît le H2S ne correspond d’ailleurs pas tout à fait à la profondeur à laquelle disparaît l’oxygène. Il y a toute une série de processus intermédiaires dans une zone médiane, suboxique et dépourvue de sulfure d’hydrogène. Nous nous sommes focalisés sur l’oxygène et notre étude nous a donc permis de remarquer une remontée de la limite supérieure de cette zone intermédiaire, mais pas de sa limite inférieure. On peut supposer  que la stratification de la mer Noire restera globalement stable. Mais il est possible qu’avec une remontée du H2S, des instabilités climatiques ou géologiques permettent une percée de sulfure d’hydrogène dans la couche oxygénée. Ce qui pourrait avoir des répercutions importantes sur la vie aquatique. Pour en avoir le cœur net, pour résoudre la dynamique du H2S, nous devons maintenant modéliser ces processus et quantifier, inventorier sa concentration. » 

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