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La mer Noire a perdu plus d’un tiers de sa zone habitable
01/09/2016

Plusieurs diagnostics pour vérifier la présence d’oxygène 

Pour diagnostiquer cette remontée d’oxygène, Arthur Capet a dû tenir compte de deux sources de variabilités qui, si elles n’étaient pas discernées, pouvaient biaiser les conclusions. D’une part, la variabilité temporelle, qui devait effectivement permettre de voir l’évolution dans le temps de la présence d’oxygène dans la mer, et d’autre part la variabilité spatiale. « La pénétration d’oxygène n’est pas homogène selon les régions. Notamment près des côtes, où l'interaction entre le courant et le fond induit un mélange vertical accru, ou encore près du détroit du Bosphore. Il fallait tenir compte de chaque endroit où les mesures étaient prises pour envisager de manière significative cette évolution dans le temps. À cela s’ajoutait une autre difficulté. Les courants dominants en mer Noire créent des forces  qui soulèvent la structure verticale au centre du bassin et l'abaisse en périphérie. Ce qui signifie qu’à une même profondeur, l’eau sera moins dense près des côtes qu’au centre du bassin. » Pour le dire autrement, la halocline, plutôt que de former une frontière horizontale, ressemble plus à un dôme. Pour pallier cette difficulté supplémentaire, le chercheur a quantifié la concentration en oxygène en exprimant d’une part la profondeur en mètres, et d’autre part en termes de densité. Ce qui permettait ensuite de pouvoir dégager une moyenne homogène pour l’ensemble du bassin et établir un profil vertical global fidèle de la colonne d’eau.  

Diagramme-oxygene-Mer-Noire

Les moteurs d’une remontée stupéfiante 

Plusieurs bases de données historiques contenaient des informations sur la distribution d’oxygène en mer Noire, récoltées lors de plusieurs campagnes. En compilant ces chiffres et ceux récoltés par les bouées ARGO http://www.argodatamgt.org/, qui dérivent librement et envoient des informations satellites sur l’évolution de la température, de la salinité et de l’oxygène, c’est plus de 4000 profils différents, prélevés entre 1955 et 2015, qui ont pu être comparés. En proposant une moyenne de tous ces diagnostics et en inventoriant la quantité d’oxygène en mer Noire, l’observation finale était sensible et sans équivoque. La pénétration de l’oxygène décline tout au long de la seconde moitié du vingtième siècle, descendant à 140 mètres en 1955 pour péniblement atteindre les 90 mètres en 2015. 

Deux causes à cette baisse progressive se sont succédées. Une plus grande abondance de nutriments dans un premier temps, le réchauffement climatique ensuite. Jusqu’au début des années 1990, la force de ventilation liée à la dynamique des eaux froides ne diminuait pas. Certaines années, elle augmentait même lors d’hivers moins cléments. On aurait donc dû observer une plus grande quantité d’oxygène dissous. Pourtant, sa concentration continuait de baisser dans toute la colonne d’eau. Il fallait chercher la cause ailleurs que dans une réaction physique liée au climat. « En réalité, contextualise Arthur Capet, cette carence s’explique par une forte eutrophisation du bassin à cette période. Elle correspond à un essor économique important de l’ex-URSS, qui développe d’immenses fermes et un important élevage de bétails. Cet essor, de surcroît, n’était pas accompagné de considérations environnementales. » Les engrais et les déchets organiques liés à l’élevage échouaient dans les fleuves et terminaient leur course en mer Noire. Ils constituaient un apport massif en nitrates et en phosphates, des nutriments qui ont pu favoriser la production primaire. « De la même manière que les engrais favorisent la pousse des plantes, ils influencent la production d’algues. Ces mêmes algues, pour rappel, consomment de l’oxygène lorsqu’elles sont détériorées ou consommées. Une plus grande biomasse entraîne donc une plus grande consommation d’oxygène. » En 1990, cet apport en nutriments baisse fortement. Il semble une fois de plus lié à un contexte géopolitique et économique, puisqu’il coïncide avec la chute de l’empire soviétique et les difficultés économiques rencontrées dans la région. C’est également l’époque où des premières mesures environnementales d’envergure sont appliquées.

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