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(Les) Etre(s) au singulier et au pluriel
7/14/16

Moi à travers l'autre, l'autre à travers moi

Avec l'avènement de l'ère moderne et de la philosophie humaniste, l'homme qui se trouvait jusque là «fondu dans la masse» se révèle au grand jour comme un sujet à part entière. Après des siècles de soumission aux dogmes et aux schèmes imposés, l'individu s'est progressivement libéré des contraintes collectives pour révéler sa singularité Cette émancipation dont les prémisses se dessinent à partir du siècle des Lumières se traduit dans de nombreux domaines, notamment celui des beaux-arts. Se considérant désormais comme des auteurs et non plus comme des artisans, les artistes peintres se plaisent à signer leurs œuvres. L'émergence d'un sujet à la fois authentique et pluriel se manifeste également dans le domaine de la littérature avec la figure de l'antihéros.    

S'il a donc mis du temps à s'extraire de la foule, l'individu représente aujourd'hui un des piliers porteurs de notre société occidentale contemporaine à tel point que l'individualisme et le repli sur soi sont devenus des syndromes de notre époque. «Il y a toujours eu dans l'histoire de l'homme des rites de passage. Le baptême, la communion, le service militaire, le mariage sont autant de repères qui balisent la vie d'un individu et qui ont un impact sur la façon dont il se construit et se comporte.», explique Jean-Marc Defays. 

Ce phénomène d'émancipation exacerbée n'est pas sans conséquence. « A partir du moment où ces repères disparaissent petit à petit, l'individu souverain se sent désemparé.» Pour contrebalancer cette absence de cohésion, il va rechercher une altérité qui lui apportera une forme de complémentarité. Le sujet morcelé va alors « replonger dans l'indistinction de la masse où il renonce -plus ou moins partiellement et/ou temporairement- à sa singularité, à son autonomie, à son libre arbitre. Il y devient autre que lui-même pour être le même que les autres, à moins que ce ne soit les autres qui lui permettent de découvrir ou d'exprimer certains aspects de sa personnalité, peut-être moins singuliers, peut-être plus authentiques. »(8)

Ce retour sécurisant à l'unité collective s'illustre à travers des manifestations répondant aux dictats de notre société consumériste de masse comme « la frénésie des supporters dans les stades de foot, les déchainements des fans lors d'un concert de leur idole, l'exaltation des militants à l'occasion de rassemblements politiques, la ferveur des fidèles lors de cérémonies religieuses, la furie des acheteurs à l'ouverture des soldes dans les magasins [...] Autant de situations où l'individu n'est plus lui-même, au sens propre et figuré, où il agit comme il ne le ferait pas s'il était seul.» (9)

Le phénomène de mode est aussi une forme plus douce et implicite mais non moins révélatrice de cette tendance qu'a l'individu à se chercher et à se projeter dans l'autre pour être accompli. La mode est selon Jean-Marc Defays « ce qu'a pu générer la société contemporaine pour suppléer le manque de repères.» Néanmoins, son caractère fluctuant et éphémère peut précipiter l'homme dans un gouffre sans fin puisqu'il doit sans cesse traquer «ce qui est à la mode» pour se sentir bien. 

Tel un Frankenstein en mal d'identité, l'individu doit donc pouvoir trouver un équilibre pour gérer son être en perpétuel changement. Comme le personnage monstrueux de Mary Shelley, l'individu doit composer avec les différentes facettes de sa personnalité mais il a aussi besoin de l'autre pour exister.      

Comme démontré par les auteurs, les langues, les groupes et les individus sont constamment travaillés et traversés par des mouvements d'unicité et de pluralité, de singularité et de diversité. Ils «ont autant besoin de systèmes que de chaos, de hasard que de nécessité, de créativité que d'organisation, et ainsi se font-ils et se défont-ils au rythme des exigences du même et du différent, du moi et de l'autre, du pertinent et du redondant, avec des moments de confusion, de conflits, et d'autres plus harmonieux et constructifs.»(10) Ce ballet incessant de forces centripètes et centrifuges rythme l'histoire de l'humanité depuis sa création.  

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(8) Ibidem, p.221
(9) Ibidem, p.223
(10) Ibidem, p.240.

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