Que peuvent bien avoir en commun un pain, un bac de glace et un baril de poudre à lessiver ? La réponse se trouve dans leur composition : ces trois produits utilisent des enzymes provenant de psychrophiles. Comprenez : d’organismes capables de vivre à de très basses températures. Depuis quelques années, la recherche étudie ceux-ci de plus près en raison de leurs nombreuses propriétés et de leur vaste champ d’application. Georges Feller, responsable du Laboratoire de Biochimie (Centre d’Ingénierie des Protéines) de l’ULg, vient de publier un article (1) dans lequel il dresse la liste des dernières avancées en la matière. Tant dans nos produits de grande consommation que dans la recherche fondamentale, les psychrophiles sont bien plus présents qu'on ne l’imagine.
Ils ne craignent ni la neige, ni le gel, ni les températures polaires. Mieux : ils s’y sentent parfaitement à l’aise. On peut les retrouver dans tous les frigos et congélateurs du monde. Mais c’est en Antarctique et en Arctique qu’ils ont officiellement élu domicile. Généralement invisibles à l’œil nu, ils peuvent toutefois prendre la forme de poissons ou d’algues. On peut en retrouver aussi bien dans des pots de glace, des barils de poudre à lessiver, voire même dans des produits cosmétiques.
« Ils », ce sont les psychrophiles. Derrière ce nom à la prononciation rébarbative se cachent des organismes capables de vivre dans des conditions climatiques très froides. Tout le contraire de leurs « cousins », les thermophiles, qui eux ont besoin d’une température élevée pour exister et se multiplier.
Pendant longtemps, ces derniers ont monopolisé les attentions de la plupart des laboratoires. Les scientifiques pensaient alors qu’ils se présentaient comme la principale source d’innovation en matière de biotechnologie. La tendance s’est ensuite progressivement inversée. Les spécialistes se sont mis à observer de plus près les psychrophiles et ont alors découvert que ces « adeptes du froid » étaient en réalité très abondants et diversifiés et que leur étude pouvait déboucher sur une multitude d’applications. « Tout ça grâce à la Nasa !, raconte Georges Feller, responsable du Laboratoire de Biochimie (Centre d’Ingénierie des Protéines) de l’Université de Liège. Cette agence gouvernementale américaine a financé beaucoup de programmes dans le cadre du développement de l’exobiologie, c’est-à-dire l’étude de l’apparition de certaines formes de vie sur d’autres planètes. Or, si ces formes de vie existent, elles se développent dans des milieux soit très chauds, soit très froids. Le sous-sol de Mars, par exemple, est gelé. Du coup, les recherches dans ce domaine ont été stimulées. »
Georges Feller connaît bien les psychrophiles. Il s’intéresse à eux depuis plus de 20 ans. Lui et son équipe comptent à leur actif une quinzaine d’expéditions en Antarctique pour collecter des échantillons. Leur idée, ce n’est pas tellement de savoir si ces organismes sont présents sur Mars, Jupiter ou Pluton, mais plutôt d’étudier la manière dont certaines molécules peuvent être utilisées dans des applications concrètes. « Nous nous intéressons aux enzymes proches d’enzymes que l’on connaît déjà. Nous essayons de les comparer et de comprendre pourquoi les premières sont capables de fonctionner à moins de zéro degré, pour pouvoir ensuite peut-être s’en servir afin de remplacer les secondes », explique-t-il. En collaboration avec le docteur Rosa Margesin, professeur de microbiologie à l’université de Innsbruck (Autriche), il vient de publier un article dans lequel il passe en revue les multiples utilisations de ces microorganismes.
(1) Georges Feller et Rosa Margesin, « Polar microorganisms and biotechnology » in Polar Microbiology: Life in a deep freeze, Washington, ASM Press, 2012.