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La Cour pénale internationale respecte-t-elle les droits humains ?

24/06/2016

La Cour pénale internationale (CPI) poursuit les personnes accusées ou suspectes des crimes les plus graves, comme le génocide ou les crimes contre l’humanité. Doit-elle respecter les traités de défense des droits humains, conçus pour limiter le pouvoir des Etats ? Une thèse de doctorat (1) de Christophe Deprez, assistant à l’Université de Liège, démontre cette obligation et examine dans quelle mesure la CPI respecte vraiment ces droits fondamentaux. 

CPI

L’applicabilité des droits humains à la CPI se heurte à un problème de nature juridique : les traités internationaux qui protègent les droits humains (2) ont pour objectif de limiter le pouvoir exercé sur les individus par les Etats, et non par des organisations internationales comme la CPI, qui ne sont pas en mesure de les ratifier. Dans la première partie de sa thèse, Christophe Deprez s’attache dès lors à dégager des explications juridiques pour appuyer l’obligation de respect des droits humains par la CPI. Il en identifie trois: le droit international coutumier, les principes généraux du droit et le Statut de Rome (texte fondateur de la CPI).

« Ces trois fondements souffrent toutefois du même défaut d’incertitude, souligne Christophe Deprez. Dans son article 21 (3), le Statut de Rome oblige la CPI à interpréter et appliquer le droit de manière compatible « avec les droits de l’homme internationalement reconnus », mais on se garde bien de définir quels sont ces droits ! Le droit coutumier des droits humains s’est progressivement développé au départ d’instruments conventionnels de portée mondiale, principalement la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, mais cette source demeure fragile, de plus en plus décriée par les partisans d’un droit international volontariste »

Face à ces incertitudes, l’auteur de la thèse poursuit sa recherche en se penchant sur la jurisprudence de la CPI afin d’identifier les droits fondamentaux reconnus comme obligatoires par les juges de La Haye. Il concentre sa recherche sur la thématique de la privation de liberté et identifie un « noyau dur » de droits endossés par la CPI : l’interdiction des détentions arbitraires, le droit d’être informé des raisons de sa privation de liberté, le droit d’être présenté à un magistrat sans délai suite à son arrestation, le droit de contester les fondements de sa détention, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré en attente de son jugement, le droit à une réparation pour privation de liberté irrégulière ou injustifiée. L’auteur relève que la CPI « semble de même tenir pour internationalement reconnu le droit (prétorien) du détenu aux visites familiales comme corollaire de son droit au respect de la vie privée et familiale ».

Violations liées à la détention préventive

Reste à savoir si la CPI respecte ces droits humains fondamentaux qu’elle reconnaît. C’est l’objet de la deuxième partie de la thèse de Christophe Deprez. « En résumé, le bilan de la Cour est parfois incertain, parfois encourageant, parfois critiquableLa pratique de la CPI est conforme aux droits humains dans certaines matières, comme le droit d’être informé des raisons de la privation de liberté. Les violations les plus flagrantes sont liées à la détention préventive. Celle-ci ne se justifie que dans quelques cas particuliers : si la personne accusée risque de fuir avant son procès, de commettre des infractions, de détruire des preuves…  De manière générale, les Etats peinent à intégrer qu’il s’agit d’une exception. On retrouve les mêmes difficultés au niveau de la CPI. Le cas le plus frappant est celui du Congolais Jean-Pierre Bemba : lors du prononcé de son jugement, le 21 mars 2016 (3), il était en détention préventive depuis un peu moins de huit ans, ce qui est énorme pour une personne qui était présumée innocente jusqu’à ce stade. Bemba et son équipe de défense avaient déposé de nombreuses requêtes de mise en liberté à peu près chaque mois, accepté de payer des cautions, sans résultat ».

Consciente de ces manquements, la CPI a conclu en 2014 un accord avec la Belgique pour fixer les conditions d’une mise en liberté provisoire sur le territoire belge de personnes détenues en attente de décisions de la Cour. La Belgique était le premier État à accepter de recevoir des détenus dans ce cadre (le seul à ce jour), mais l’accord n’a encore donné lieu à aucune application pratique. « Il montre cependant que la CPI est consciente que le respect des droits humains est une obligation et qu’elle doit y consacrer les moyens nécessaires », note Christophe Deprez. 

Selon Christophe Deprez, les références au respect des droits humains sont davantage prononcées dans le cadre statutaire de la CPI que dans les tribunaux pénaux internationaux mis sur pieds pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (4). « Le Statut de Rome trace, pour la première fois dans le contexte répressif international, une distinction entre les droits de toutes les personnes concernées par une enquête (article 55) et ceux des personnes proprement accusées (article 67) », écrit l’auteur. « Le Statut de Rome (article 85) garantit aussi une réparation à la personne détenue injustement, ce qui n’était pas prévu par les tribunaux pénaux internationaux. Mathieu Ngudjolo, acquitté en 2012 après quatre années de détention, a récemment déposé une demande d’indemnisation sur base de cet article. Un montant lui sera sans doute alloué ». 

Tendance eurocentriste    

Christophe Deprez relève que les juges s’inspirent beaucoup d’organes de protection des droits humains pour façonner leurs verdicts.  Ils privilégient cependant la Cour européenne des droits de l’homme comme source d’inspiration en matière de droits humains et sous-exploitent les travaux de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Une tendance étonnante pour une Cour qui n’a quasiment traité à ce jour que des cas concernant des ressortissants africains. « La prééminence européenne se vérifie de façon manifeste dans le contexte de la CPI. Les exemples sont pléthoriques où les juges fondent leur raisonnement sur de nombreux arrêts de la Cour de Strasbourg sans mentionner le moindre équivalent issu d’un autre système de protection, régional ou universel », écrit Christophe Deprez.  

LOGO CPILa CPI a pour vocation de juger les auteurs des crimes les plus graves… Faut-il vraiment s’échiner à garantir le respect de tous les droits humains des pires criminels ? « Les droits humains n’ont pas pour objectif d’empêcher ou freiner la répression des crimes, mais de mettre des balises pour qu’on n’aille pas au-delà d’une juste répression », souligne Christophe Deprez.« Ils sont une limite au pouvoir exercé sur les individus. Il ne servirait à rien d’avoir fixé ces limites si on pouvait les repousser quand elles sont utiles, il serait incohérent d’assouplir les exigences de respect de ces droits face aux crimes les plus graves. Poursuivre les gens dans l’excès serait entretenir le cycle de violence au lieu de pacifier les relations. L’équilibre sociétal exige une certaine réserve qui est permise par le respect des droits humains. La CPI semble être réceptive à ces balises. Il faut s’en réjouir, mais puisqu’il subsiste des points d’achoppement, il faut veiller à ce que la Cour se rapproche à l’avenir du respect total des normes qu’elle entend défendre ».

(1) La justice pénale internationale à l'épreuve des droits humains : étude de la privation de liberté devant la Cour pénale internationale · Deprez, Christophe · ULg.

(2) Comme la Convention européenne des droits de l’homme ou le Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques.

(3) L’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba a été déclaré coupable de deux chefs de crimes contre l'humanité (meurtre et viol) et de trois chefs de crimes de guerre (meurtre, viol et pillage) le 21 mars 2016.

(4) Les tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda sont des organes subsidiaires du Conseil de sécurité de l’ONU, alors que la CPI est une organisation internationale indépendante. 


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