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Nanofils supraconducteurs quantiques

22/06/2016

Des propriétés et des phénomènes inconnus à notre échelle apparaissent à l’échelle atomique, ouvrant la voie à une nouvelle révolution industrielle. Doctorant au sein du  département de physique de l’Université de Liège, Xavier Baumans vient d’en faire l’expérience avec des supraconducteurs, établissant une limite en-deçà de laquelle des nanofils perdent définitivement leur qualité supraconductrice, même à très basse température. Pour y parvenir, Xavier Baumans et ses collègues ont repoussé la limite de fabrication des fils jusqu’à un atome de large ! Une innovation majeure, décrite dans Nature Communications, qui intéressera sans nul doute les concepteurs d’ordinateurs quantiques.

Assistant au Département de physique de l’Université de Liège (Pôle des matériaux, professeur Alejandro Silhanek), Xavier Baumans étudie le comportement de circuits électroniques supraconducteurs de très petite taille. « Très petit » signifie ici de 100 nanomètres (100 nm ou 100 millionièmes de mètre) jusqu’à… quelques atomes. Des circuits très prisés puisqu’ils interviennent dans la composition des ordinateurs quantiques. « Il y a de nombreuses années que les chercheurs ont prédit puis constaté un phénomène étrange, explique Xavier Baumans : si on réduit trop la taille des dispositifs, l’effet supraconducteur peut disparaître ! »  En fait, c’est un double phénomène qui a été observé : les fluctuations du paramètre d’ordre (le basculement entre le caractère supraconducteur ou non) sont de deux natures, thermiques et quantiques. Comme leur nom l’indique, ces dernières ne sont pas dues à la température mais à la taille, au fait qu’on est à l’échelle de l’atome. On ne sait donc pas les combattre car elles sont intrinsèques au système : même en réduisant la températureà un niveau proche du zéro absolu, elles sont toujours présentes.

Les observations réalisées jusqu’à aujourd’hui avaient cependant des limites. L’une est relative à la taille des fils étudiés : guère moins de 30 nm. Une autre est le fait que les observations ont été réalisées sur plusieurs échantillons différents : les chercheurs prenaient un fil de 90 nm, puis un autre de 60 et ainsi de suite, puis estimaient une fourchette dans laquelle le caractère supraconducteur disparaissait.

EM-nanofils

Tout en finesse

Le but de la recherche dont les résultats viennent d’être publiés (1) a donc été  de déterminer précisément à quelle taille le matériau perd ses propriétés supra et où se situe la transition entre fluctuations thermiques et fluctuations quantiques. Pour y arriver, et c’est une grande première, Xavier Baumans et ses collègues de l’ULg et de la KUL ont  d’abord repoussé la limite de fabrication des fils jusqu’à moins d’un nanomètre ! « Il faut savoir qu’un atome, s’enthousiasme le jeune chercheur, c’est un dixième de nanomètre ; un fil de 10 nm, c’est 100 atomes et un fil de 1 nm, c’est environ 10 atomes de large ! » Comment y parvient-on ? Grâce au phénomène d’électromigration, phénomène destructif mais retourné ici à l’avantage des chercheurs.


Il apparaît quand on applique un courant à des fils conducteurs, dans le cas présent un fil d’aluminium. Le passage du courant provoque une migration des ions métalliques à l’intérieur du fil et le phénomène s’autoalimente et s’emballe. Plus la taille du fil se réduit, plus le courant chauffe le fil puisqu’il est plus mince et donc les ions migrent plus, donc la taille se réduit encore et ainsi de suite. Ce phénomène limite la durée de vie des circuits électroniques. « Nous l’avons utilisé à notre avantage, explique Xavier Baumans, on l’a domestiqué en évitant l’emballement. Un petit courant va commencer à faire migrer les ions et à diminuer la taille du fil. Si on n’y prend pas garde, en quelques secondes, le fil peut casser. Grâce à un contrôle par ordinateur, nous parvenons à réguler le courant dans le fil de telle sorte que si on observe des indices d’emballement, on réagit en moins d’un millième de seconde en baissant la valeur du courant dans le fil ; ce faisant,  on réduit la migration et l’amincissement du fil. Il faut donc toujours maintenir un courant suffisant pour que les ions migrent (sinon il n’y a pas de diminution du fil) mais pas trop grand pour que la réaction ne s’emballe pas (sinon il y a cassure du fil). » C’est un apport important de la recherche : une maîtrise parfaite du processus d’amoindrissement en continu d’un fil conducteur. 

La limite des 10 nm

Une maîtrise qui a une conséquence immédiate, deuxième résultat important de la recherche : les mesures sont réalisées sur un seul échantillon ! L’expérience démarre avec un fil de taille bien supérieure à la limite estimée (c’est-à-dire qu’il est supraconducteur) puis on réduit la taille en plusieurs étapes, par paliers. « Nous sommes ainsi passés d’une largeur de fil d’environ 70 nm jusqu’à moins de 10 nm et on a fait mieux que cela puisqu’une fois, on a réduit la taille du fil à 1 atome de large, donc un dixième de nano ! » Les courbes de résultat montrent que le fil a une certaine résistance dans son état normal. Quand on atteint la température de transition, la résistance chute jusqu’à une valeur nulle (supraconductivité, cas du fil à 70 nm). 

fluctuations thermiques quantiques

Pour des largeurs inférieures, on voit que la température de transition n’est plus si bien définie. La résistance décroit moins vite. Plus le fil s’amincit, moins la résistance décroit vite jusqu’à arriver à un endroit où certes elle décroit, mais n’atteint plus jamais 0.  Donc le fil n’est plus jamais supraconducteur. Ce phénomène se produit pour une largeur d’environ 10 nm. « C’est la limite entre les fluctuations thermiques et quantiques, explique Xavier Baumans. A partir de cette limite, les fluctuations prépondérantes sont de type quantique. On a beau refroidir un maximum le circuit, cela ne sert à rien : le caractère supra va s’estomper et disparaître. Définitivement ».

La détermination précise de la valeur du seuil en deçà duquel cesse la supraconductivité est un troisième apport important du travail du chercheur liégeois. Car les circuits supraconducteurs sont prisés par les concepteurs des futurs ordinateurs quantiques. « Nos recherches servent d’abord d’avertissement, explique Xavier Baumans.  Le caractère supra est essentiel mais si on réduit trop la taille des circuits, cette caractéristique se perd… On a introduit une limite.  Même si j’imagine qu’on trouvera comment contourner cette limite. »

(1)Thermal and quantum depletion of superconductivity in narrow junctions created by controlled electromigration, Xavier D.A. Baumans et al. NATURE COMMUNICATIONS | 7:10560 | DOI: 10.1038/ncomms10560 | 


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