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Le Bisphénol-A, très peu serait encore trop?

15/06/2016

La France l’a banni de tout contenant alimentaire. La Belgique s’est limitée à ceux destinés aux enfants de moins de 3 ans… Cet agent perturbateur endocrinien, c’est le Bisphénol-A (BPA) qui entre dans la composition de récipients en plastique, de cannettes et autres conserves mais aussi de ciments dentaires et de papiers thermiques.  En 2015, l’EFSA (European Food Safety Authority) a fixé la dose quotidienne « de sécurité » pour la santé à 4 μg/kg. Une étude (1) de l’Université de Liège vient de démontrer que 2 semaines d’exposition de ratons nouveau-nés à une dose 160 fois plus faible que ce seuil suffisent à perturber un système essentiel de neurotransmission dans le cerveau. 

L’hypothalamus et l’hypophyse, localisés dans le cerveau, sont responsables du déclenchement de la puberté, chez l’humain comme chez le rat. Ce déclenchement est notamment influencé par différents facteurs environnementaux dont les perturbateurs endocriniens ( PE). Cette question est au centre des recherches du Pr Bourguignon, Professeur émérite d’endocrinologie pédiatrique au GIGA Neurosciences de l’Université de Liège, et du Professeur Anne-Simone Parent. Celle-ci dirige actuellement l’équipe au sein de laquelle les effets du diéthylstilbestrol (DES), un PE cancérigène banni depuis une quarantaine d’années mais qui reste une substance de référence, ont fait l’objet des premiers travaux de Delphine Franssen. Depuis une quinzaine d’années et toujours actuellement, la communauté scientifique attribue aux PEs la survenue précoce ou avancée de la puberté.  Contre toute attente, il s’est avéré qu’une dose d’1 µg/kg/jour de DES retarde la puberté, à l’inverse d’une dose 10 fois supérieure qui l’avance. Ces effets contrastés du DES en fonction de la dose ont interpellé l’équipe et motivé celle-ci à étudier si de semblables effets opposés pouvaient concerner le BPA (Bisphénol-A). 

BPA free bottle

La dose ne fait pas le poison, elle fait l’opposition 

Chez plus de 95 % d’entre nous, on retrouve du BPA dans l’urine. Les nourrissons sont les plus exposés, aux alentours d’1 µg/kg/jour (microgrammes) alors que  l’exposition moyenne d’un adulte est de 40 à 60 ng/kg/jour (nanogrammes, soit 10-9 gramme). Ces quantités représentent respectivement 50 et 2 fois plus que la dose très faible de 25 ng/kg/jour administrée aux ratons dans l’étude qui vient d’être publiée. Jamais dose aussi faible n’a été étudiée jusque ici. Après exposition à des doses relativement élevées de 5 mg/kg/jour, les travaux confirment une avance du timing pubertaire. Le fait nouveau : un retard de puberté apparaît après la très faible dose de BPA. Ces observations posent la question de savoir quelle partie du système endocrinien est impliquée dans les perturbations du timing pubertaire. Le déclenchement de la puberté est précédé, dans l’hypothalamus, par des changements dans la sécrétion intermittente (pulsatile) de l’hormone cérébrale (GnRH ou gonadolibérine) qui commande les ovaires ou les testicules via l’hypophyse. Les travaux mettent en évidence que ces changements sont accélérés ou ralentis en fonction de la dose de BPA. Le cerveau est donc bien une cible du BPA. Mais par quel mécanisme ?

Le timing pubertaire, une fenêtre sur les effets cérébraux du BPA

Delphine Franssen et l’équipe de chercheurs ont mis en évidence que l’exposition au BPA a un impact sur l’expression de l’ARN messager de gènes hypothalamiques impliqués dans la neurotransmission GABAergique. Le GABA est un neurotransmetteur qui joue un rôle essentiellement inhibiteur chez l’enfant, et peut contribuer au frein qui empêche la puberté de démarrer dans le cerveau. L’activité du GABA s’est avérée accrue par la faible dose de BPA et réduite par la forte dose. Ce constat a amené l ‘équipe liégeoise à interpeller celle de Daniel Zalko à Toulouse qui avait exposé des souris en période périnatale à des quantités similaires de BPA. Ces chercheurs retrouvent au niveau de l’ensemble du cerveau des effets analogues à ceux observés à Liège dans l’hypothalamus. Dans le cerveau du fœtus, le GABA joue un rôle stimulant qui est sans doute crucial pour son développement et son fonctionnement ultérieur. 

Nous devons nous interroger davantage sur les effets dommageables du BPA dans le cerveau fœtal, avec des conséquences possibles sur les troubles du neuro-développement comme l’autisme, dont la prévalence est en augmentation. La science, ici encore, nous renvoie aux dispositions règlementaires. En France, le BPA est désormais interdit dans tous les contenants alimentaires, sans distinction d’âge du consommateur. En Belgique, cette disposition ne vaut que pour les enfants de moins de 3 ans et ne concerne donc pas la femme enceinte et le fœtus qu’elle porte. Ne doit-on pas voir dans les travaux relatés ci-dessus et d’autres publications des justifications à appliquer à la femme enceinte et au fœtus le principe de précaution qui a prévalu chez le jeune enfant ? Mais, diront certains, peut-on extrapoler ces données chez le rat aux enjeux de la santé humaine ? 

L’être humain, réellement à risque ?

 On sait que le BPA est détectable dans les urines de la majorité de la population. Certaines études chez l’humain suggèrent un lien avec les modifications du timing de la puberté. De plus, il ne faut pas négliger l’effet « mélange » avec d’autres substances chimiques de notre environnement. Nous sommes exposés à des centaines de composés chimiques. L’effet « mélange » signifie que l’association de plusieurs substances à des doses faibles ou très faibles qui n’entraînent pas d’effet individuellement, devient active du fait de la combinaison de ces substances. Par ailleurs, Les facteurs environnementaux auxquels l’homme est confronté ne se limitent pas aux perturbateurs endocriniens. Ainsi, les variations quantitatives et qualitatives des apports nutritionnels pourraient avoir des conséquences qui sont d’autant plus sévères qu’ils sont combinés à l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Dans ce contexte, Delphine Franssen a montré que la combinaison d’un déficit nutritionnel prénatal et d’une exposition postnatale précoce au DES engendrait des effets additifs avec une perte totale de la réceptivité du système GnRH à la leptine. La préoccupation autour des effets combinés de « stresseurs » différents est la plus grande pour le fœtus et le nouveau-né, avec des conséquences pour la vie entière. Tant chez le rat que chez l’être humain, la vie fœtale et la période périnatale sont des moments-clé où l’organisme met en place les mécanismes d’adaptation à l’environnement. Si ces mécanismes sont perturbés au sein de l’organisme en développement, l’impact peut se faire ressentir toute la vie...

Biberon BPA FREE

Des enjeux limités au cerveau? 

Au-delà des effets du BPA sur le développement pubertaire, de nombreuses études suggèrent que l’exposition précoce au BPA pourrait être associée à un risque accru d’obésité, d’anomalies du neurodéveloppement ou de troubles du comportement. Ces pathologies présentent un coût élevé en termes de prise en charge. Il a été montré que l’exposition aux perturbateurs endocriniens en Europe contribue substantiellement à l’augmentation de l’incidence des maladies qui touchent le système reproducteur, le métabolisme et le neurodéveloppement avec un coût évalué à près de 160 milliards d’euros par an. 

De plus, il s’avère que les produits mis sur le marché pour remplacer le BPA pourraient également être des perturbateurs endocriniens. En avril dernier, l’EFSA (autorité européenne chargée de la sécurité alimentaire) a annoncé que le dossier du BPA allait être revu. On attend donc les conclusions avec impatience tout autant que les propositions que la Commission Européenne doit formuler depuis décembre 2013 pour les critères d’identification des perturbateurs endocriniens. Il est à espérer que la « puissance » ne fera pas partie des critères retenus. En effet, à la suite d’autres travaux, ceux menés dans le laboratoire liégeois soulignent l’inadéquation voire l’incongruité de la recherche de dose « seuil » de toxicité en fonction de la puissance d’un agent chimique comme le BPA.

(1) Delayed neuroendocrine sexual maturation in female rats after a very low dose of Bisphenol A through altered GABAergic neurotransmission and opposing effects of a high dose, Franssen Delphine et al. Endocrinology 0013-7227, 2016.


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