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Mer du Nord : importantes émissions de méthane

14/06/2016

Une équipe de chercheurs belges a repéré une importante concentration de méthane dans les eaux de surface de la mer du Nord, principalement près des côtes belges et anglaises. Pour en comprendre l’origine, il faut retourner 16000 ans en arrière, à une époque où forêts et tourbières reliaient l’Angleterre et l’Irlande au reste du continent européen. Aujourd’hui coincée dans les sédiments, cette matière organique produit du méthane, facilement émis dans l’atmosphère depuis les zones les moins profondes du bassin. Cette étude novatrice - publiée dans Scientific Reports (1) -  intègre les milieux côtiers dans la quantification du cycle du méthane. Une quête rendue complexe par les nombreux puits et sources de cet hydrocarbure d’origine à la fois naturelle et anthropique. Une meilleure appréhension du méthane, deuxième gaz à effet de serre après le dioxyde de carbone, pourrait pourtant être une clé prometteuse pour ralentir efficacement le réchauffement climatique. 

Une équipe de chercheurs a mesuré un taux important de méthane dissous dans les eaux de surface de la mer du Nord. Cette forte concentration a principalement été observée le long des côtes belges et anglaises. « Nous avons enregistré jusqu’à 1000 nanomoles de méthane (CH4) par litre, ce qui représente en masse 16 milligrammes par mètre cube, explique Alberto Borges, de l’Unité d’Océanographie Chimique de l’Université de Liège et premier auteur de la publication(1) qui vient de paraître dans le journal Scientific ReportsLe chiffre peut sembler dérisoire, mais les eaux de surface des océans ont en moyenne 3 nanomoles de méthane par litre. Une concentration plus de 300 fois moins importante. Et puis, le méthane a un tel potentiel de réchauffement que ça en fait une source importante. » Ces mesures ont été récoltées au cours de 6 campagnes étalées entre 2010 et 2011. Des campagnes qui ont permis de mettre en lumière une variation saisonnière de la concentration de méthane, et donc une influence directe des saisons plus chaudes sur l’augmentation de son émission. 

Mer du nord1

De la tourbe coincée dans les sédiments

 Il faut remonter dans le temps pour comprendre la singularité de cette source de méthane. Un jet de pierre dans le passé de notre planète. Un saut de puce de 16000 ans, à une époque où la mer du Nord et l’ensemble de la mer celtique sont recouvertes de forêts et de tourbières. Il faut alors dépasser la pointe le plus à l’ouest de l’actuelle Irlande pour enfin voir l’océan Atlantique. « C’était une période de glaciation importante. Le niveau de la mer était bien plus bas qu’aujourd’hui. Il a ensuite progressivement monté. Mais il y a encore 7000 ans, la Baie Sud de la Mer du Nord était toujours émergée. »

Au fil des millénaires, alors que l’océan regagnait sur ces terres, des couches de sédiments se sont accumulées, recouvrant et piégeant ces grandes tourbières. « Il y a donc de grandes quantités de matières organiques piégées dans les sédiments, poursuit l’océanographe. Cette matière organique est dégradée par des communautés bactériennes. Dans les milieux oxygénés, les bactéries qui détruisent la matière organique consomment l’oxygène. Thermodynamiquement, c’est le plus efficace. Donc tant qu’il y a de l’oxygène, les bactéries aérobies sont les plus compétitives. » Mais dans un milieu où l’oxygène n’est pas renouvelé comme des les couches plus profondes des sédiments, elles finissent par en épuiser l’oxygène et laissent la place à d’autres bactéries qui se développent en anaérobie (absence d’oxygène). De nouvelles réactions se mettent alors en place pour dégrader la matière organique. En bout de chaîne arrive la fermentation, le processus de dégradation le moins efficace. Cette fermentation produit du méthane. C’est ce qui se passe dans les systèmes digestifs du bétail, des termites, c’est aussi ce qui se passe dans les zones humides saturées de matière organique comme les marais, les plaines d’inondation des rivières, ou ces tourbières piégées dans les fonds marins. (Lire Premier bilan des émissions de GES par les rivières africaines)

Le piège de la colonne d’eau

Cette production de méthane génère des poches de gaz qui sont progressivement libérées dans la colonne d’eau. Seules les eaux à proximité des côtes en présentent des quantités anormalement élevée. Pourtant, cette biomasse n’est pas cantonnée à la côte belge, mais bien à l’ensemble des terres jadis émergées. « D’autres poches de gaz associées à de la tourbe ont été identifiées plus au nord de la Mer du Nord, comme au niveau du Dogger Bank. Mais les eaux y sont plus profondes. En été, les eaux de surface se réchauffent alors que les couches inférieures restent froides. Cette différence de densité liée à la température crée une stratification, un couvercle à travers duquel les eaux ne se mélangent pas. Ce qu’on appelle la thermocline. Le méthane reste bloqué dans les couches profondes, est transporté latéralement et n’est pas émis vers l’atmosphère. »

En se rapprochant des côtes belges et anglaises, cette tourbe affleure entre 10 et 30 mètres de profondeur, ce qui est assez proche de la surface. Les courants des marées y sont importants et brassent les différentes couches d’eau. En d’autres mots, il y a bien un réchauffement des eaux de surface, mais il ne stratifie pas la colonne d’eau. Cette chaleur est redistribuée de la surface jusqu’au fond. Plutôt que l’émergence d’une couche chaude et une couche froide, il y a donc de l’eau tiède de la surface jusqu’au fond. Le méthane libéré des sédiments se retrouve très facilement en surface et peut être émis vers l’atmosphère. Ce phénomène devrait d’ailleurs s’accélérer avec le réchauffement climatique. Non seulement les eaux plus chaudes activent la production bactérienne de méthane, mais en plus, elles favorisent la vitesse de son émission. 

C’est l’une des premières fois qu’une étude met en lumière le comportement du méthane dans des zones d’eau mélangées en permanence et riches en matières organiques, telles que la côte belge. Elle inaugure un nouveau pan de recherche dans le cycle du méthane et y inclut les milieux côtiers et les zones peu profondes en général. « On savait que les côtes jouaient un rôle important dans le cycle marin du méthane, mais il reste difficile à quantifier. Une côte n’est pas l’autre, ce sont des milieux particulièrement hétérogènes. Mais on estime aujourd’hui que les seules zones côtières constitueraient une source de méthane 5 à 10 fois plus importante que l’ensemble des océans profonds. » Une avancée qui permettra d’affiner les connaissances des contributions des différentes sources de méthane, qui manquent encore de précision, tant son cycle est compliqué à quantifier. 

concentration CH4 Mer du Nord

Un problème écologique global…

L’émission du méthane, en terme de masse, est bien moins importante que celle du dioxyde de carbone (CO2). Mais en terme de réchauffement, les molécules de CH4 sont vingt-cinq à trente fois plus efficaces que le CO2. Une qualité pour le moins compétitive qui permet au méthane de se glisser à la deuxième place des gaz à effet de serre, après le CO2. Il est à lui seul responsable d’un tiers du réchauffement climatique lié à l’activité humaine. En outre, le méthane est un gaz qui a de nombreuses sources et de nombreux puits. Si bien que son cycle esquive assez habilement les tentatives de quantification. Il est donc difficile de s’appuyer sur des estimations claires pour en établir précisément les sources d’émission et agir en fonction. Une donnée, par contre, est assez robuste : le bilan, l’accumulation du méthane dans l’atmosphère. « C’est assez simple à calculer, relativise Alberto Borges. On connait le volume de l’atmosphère. En mesurant la concentration de méthane dans l’atmosphère au cours du temps, on peut déterminer son accumulation. »

Les études sur le méthane visent donc à articuler ce bilan avec les sources et les puits identifiés, pour toujours mieux discerner les causes à cette conséquence connue. Le tableau ressemble presqu’à un bilan comptable, intégrant des entrées, les sources naturelles et anthropiques, et des sorties, les puits, qui consomment le gaz. Chaque nouvelle donnée identifiée doit être intégrée au bilan. « Ce sont donc des approximations, commente le chercheur, mais elles sont de plus en plus précises et permettent de comprendre les grandes lignes du cycle du méthane et d’identifier les activités les plus polluantes. Par exemple, le quatrième rapport du GIEC, qui date de 2007, estime l’émission par des sources naturelles à 143 millions de tonnes de méthane par an. Les deux tiers provenant des zones humides comme les marais ou les plaines d’inondation. Mais ces sources naturelles fonctionnent de la même manière depuis des millénaires, et donc ne contribuent pas à l’augmentation de CH4 dans l’atmosphère. Ce qui nous intéresse davantage encore, ce sont les sources anthropiques, qui contribuent à l’augmentation des gaz à effet de serre. Elles sont estimées à 358 millions de tonnes annuelles. 106 millions proviendraient de l’extraction des énergies fossiles, 81 millions du bétail, 61 millions des décharges, 60 millions de la culture de riz, et enfin, 50 million de la combustion de la biomasse, comme les feux de forêts, par exemple. » 

La part anthropique des sources de méthane s’élèverait donc à environ 70% de son émission totale. Selon le même rapport, les puits de méthane en absorberaient 515 millions de tonnes chaque année. Ces puits sont de différents ordres. La troposphère est le principal puits, avec 445 millions de tonnes chaque année. Le méthane relâché dans l’atmosphère se dégrade en effet rapidement par oxydation. On enregistre également une perte stratosphérique de 40 millions de tonnes et une oxydation par les sols de 30 millions de tonnes. « En comparant ces chiffres, on peut conclure qu’en 2007, l’atmosphère accumulait 14 millions de tonnes de méthane. Ce chiffre doit être aujourd’hui revu à la hausse et avoisine plutôt les 30 millions. » Nous sommes en effet revenus à une émission de méthane proche des années 80 pour plusieurs raisons, notamment l’extraction du gaz de schiste (Lire l’article « Une note salée pour le gaz de schiste »).  

Tourbe Mer du nord

…Mais un bilan teinté d’espoir

Ce chiffre, qui indique une croissance de la quantité d’un gaz à effet de serre outrageusement efficace, Alberto Borges l’observe avec une note d’optimisme. « Les plus grosses sources de méthane sont de l’ordre de la centaine de millions de tonnes alors que le bilan est de l’ordre de la dizaine. Les échelles ne sont pas les mêmes. Cette différence d’ordre de grandeur indique qu’une petite variation des sources ou des puits peut induire une variation relativement importante du bilan. Et comme ces sources sont très nombreuses, il est possible d’agir à plusieurs niveaux. A l’inverse, si on prend le dioxyde de carbone, par exemple, sa source principale est la combustion industrielle de ressources fossiles. On connait la cause, mais on n’a que très peu de leviers d’action. Dans le cas du méthane, c’est très différent. En tant que citoyens, nous pouvons avoir une influence importante sur certaines de ses sources. » La part du bétail, par exemple, est trois fois plus élevée que l’accumulation actuelle du méthane dans l’atmosphère. En diminuant d’un tiers notre consommation de viande, on parviendrait presque à inverser la tendance et à générer un bilan négatif. C’est-à-dire que le système consommerait plus de méthane qu’il n’en émettrait. Il est également possible d’imaginer une meilleure gestion du recyclage ou une réflexion sur des systèmes de production de riz produisant moins de méthane, et mieux encore, de rêver à une combinaison de ces différentes mesures.

L’impact serait d’autant plus rapide et significatif que le cycle du méthane est particulièrement dynamique. « C’est dû à sa composition moléculaire. Le méthane est constitué d’un atome de carbone et de quatre atomes d’hydrogènes. Les liens atomiques entre l’hydrogène et n’importe quel autre atome sont très énergiques. Le méthane est donc très réactif et s’oxyde rapidement dans l’atmosphère ». Une propriété qui fait une belle différence. Là où l’atmosphère a besoin de 100 ans pour éliminer une molécule de CO2, elle n’en prend que 10 pour une molécule de méthane. En une décennie, on peut dès lors récolter les bienfaits de mesures prises aujourd’hui. « En tant qu’individu, on a souvent l’impression que ces phénomènes sont tellement vastes que nous ne pouvons pas avoir de rôle significatif à jouer. Mais en mettant tous ces chiffres en perspective, on se rend compte que des scénarios peu contraignants pourraient permettre d’infléchir ou d’arrêter l’accumulation de méthane dans l’atmosphère. Le méthane est à mes yeux une des clés les plus prometteuses pour freiner à court terme et de manière efficace le réchauffement climatique. » 

(1) Alberto V. Borges, Willy Champenois, Nathalie Gypens, Bruno Delille, Jérôme Harlay, Massive marine methane emissions from near-shore shallow coastal areas, Scientific Reports, 6:27908, doi:10.1038/srep27908. 


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