La concurrence mémorielle
Or nos contemporains et les jeunes générations en particulier ont une demande de culture qui s’attache en priorité aux visions subjectives (que l’historien regarde avec méfiance précisément). On aurait donc tout intérêt à désenclaver l’histoire, Sophie Ernst entendant par là qu’ « on doit cesser de considérer l’enseignement d’histoire comme seul ou principal concerné ». La mémoire comme telle, en tant que récit subjectif porteur de significations, de valeurs et d’interrogations, a toute sa place dans d’autres disciplines, notamment les enseignements littéraires et artistiques. Et d’ajouter, non sans un brin de perfidie, que « bien des contradictions vécues par les enseignants d’histoire viennent de ce qu’ils finissent par porter presque à eux seuls toutes les demandes adressées à l’ensemble d’un curriculum de culture humaniste ». C’est une chose de faire comprendre comment des processus historiques se sont produits, comment des configurations sociales se sont mises en place et ont permis des enchaînements désastreux, et c’en est une autre d’éduquer des enfants et des adolescents à rejeter le racisme et l’antisémitisme. Etudes de casD’autres contributions intéressantes enrichissent La concurrence mémorielle. Ce sont des études de cas. Sébastien Boussois (Postdoctorant à l’IEE-Pôle Bernheim de l’Université Libre de Bruxelles) se penche sur les remises en cause, par de « nouveaux historiens israéliens », des fondements de l’historiographie traditionnelle en Israël. Giulia Fabbiano (Chercheuse associée au CADIS) s’intéresse aux « narrations du passé familial » produites par les descendants des harkis (c’est-à-dire ces Algériens ayant servi les Français pendant la guerre d’Algérie) et d’immigrés algériens nés pendant ou après cette guerre. Elle attire l’attention sur le fait que ces narrations ne sont pas nécessairement sources de concurrence. Louis Bouza Garcia (Doctorant l’Université Robert Gordon d’Aberdeen) traite de la « surenchère mémorielle » que semble aujourd’hui connaître l’espace public et politique européen, même si les mobilisations autour de ces enjeux restent relativement rares. En Europe, selon l’auteur, les acteurs politiques ont tendance à mettre en œuvre une « stratégie de l’oubli » pour privilégier le compromis et la construction d’une mémoire commune. Geoffrey Grandjean, enfin, s’attache à décrypter les propos que peuvent tenir les jeunes sur la thématique des génocides. Allant à la rencontre de vingt-deux focus groups (groupes de discussions) organisés avec sept écoles de l’enseignement secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il a notamment pu constater que les jeunes d’origine immigrée ne tendent pas plus que les jeunes Belges à relativiser les faits génocidaires. Néanmoins, précise-t-il, la concurrence mémorielle se matérialise entre la mémoire des faits qui se sont déroulés il y a une soixantaine d’années (le génocide des Juifs) et la mémoire de faits relevant d’une temporalité plus immédiate (comme le conflit israélo-palestinien). Et de conclure que cela « peut entraîner un certain repli sur soi ou à tout le moins sur sa communauté ». |
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