La concurrence mémorielle
Même si elle est fondée sur les sentiments les plus nobles, les aspirations démocratiques les plus élevées – il s’agit de combattre la négation des pages les plus noires du siècle passé, les lois mémorielles assurent-elles pour autant la paix civile ? On peut en douter, expliquent Jérôme Jamin et Geoffrey Grandjean. Contestées dans leur efficacité, on les accuse aussi d’entraver la liberté de la recherche. Il était donc utile de rassembler en un même ouvrage l’analyse de plusieurs chercheurs qui travaillent sur cette question… Une pléthore de mémoiresLa sociologue Régine Robin (Professeure associée au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal) aborde la concurrence mémorielle dans le cadre français. Après s’être penchée sur les polémiques autour du communautarisme et du port du foulard à l’école, elle constate que « la France semble avoir perdu le grand récit de ses origines à partir des années 1960, sous les coups de boutoir de la modernité, des retombées de la guerre d’Algérie ou encore de l’entrée des sciences humaines dans les interrogations et questionnements de l’école ». Selon elle, ce pays a dû faire face à une fragmentation de sa mémoire par l’émergence d’autres mémoires, dans un contexte de débat permanent autour de la présence accrue sur son territoire de populations immigrées. Gare aux visions simplificatrices !D’un point de vue théorique, la concurrence mémorielle renvoie souvent à la compétition complexe et parfois douloureuse entre des groupes sociaux (entre eux ou vis-à-vis d’une autorité) pour défendre et promouvoir le souvenir de certains faits historiques. Elle se manifeste particulièrement au niveau de l’usage du mot génocide, un terme qui connaît depuis quelques années une « inflation boursouflée ». Comme le souligne l’historien Philippe Raxhon, professeur à l'Université de Liège, la transmission de la mémoire de la Shoah fut douloureuse et donc lente, conséquence d’une expérience inédite dans l’histoire, en contrepoint d’une historiographie sur le sujet qui s’élabora elle aussi progressivement dans les décennies d’après-guerre et surtout à partir de la fin des années 70. On doit donc parler, à ce propos, d’un éveil de la mémoire, éveil stimulé sans aucun doute aussi par la remontée des populismes d’extrême droite couplée à l’antisémitisme et au négationnisme, eux-mêmes réactivés par une certaine perception des problèmes du Proche et du Moyen-Orient. |
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