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L’hépatite E, un virus (un peu moins) méconnu

31/05/2016

De toutes les hépatites caractérisées jusqu’à présent, la « E » est sans doute la moins connue, tant du grand public que des scientifiques. Même s’il arrive qu’elle tue, elle est asymptomatique dans la majorité des cas. Dans les pays industrialisés, elle touche les hommes, mais surtout les animaux, porcs en tête. S’agit-il vraiment du même virus ? Qui contamine qui ? Quels sont les modes de transmission ? Le laboratoire de virologie vétérinaire de l’Université de Liège, dirigé par Etienne Thiry, tente de répondre à ces questions.  

Tout le monde (ou presque) a déjà entendu parler de la A, de la B ou de la C. Tout le monde (ou presque) ignore par contre que les différentes formes d’hépatites se déclinent au-delà des trois premières lettres de l’alphabet. Ainsi il existe une hépatite D, assez virulente mais sans doute obscure pour le grand public car elle évolue dans l’ombre de l’hépatite B, dont elle est indissociable. La liste ne se clôt pas là : cette famille de virus compte un petit nouveau, l’hépatite E. Un dernier-né totalement méconnu. Du moins de ce côté-ci de la planète. En Asie et dans les pays en voie de développement, il passe difficilement inaperçu. C’est en effet là que cette maladie provoque la majorité des 20 millions de nouvelles infections et 3,3 millions de cas aigus recensés chaque année, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). 

hepatite

Chez nous comme dans les autres pays industrialisés, l’hépatite E n’est pas absente mais son incidence est vraisemblablement sous-estimée. Peu d’études scientifiques ont été menées sur le sujet, peu de pouvoirs publics ont subsidié ce genre de recherches. Sans doute parce que l’infection qu’elle provoque est bien moins dévastatrice que celles de ses « cousines » : 56.600 décès enregistrés par an, contre 780.000 pour la B et 500.000 pour la C, selon l’OMS. 

Un peu partout en Europe, des chercheurs commencent toutefois à s’emparer de cette thématique. En Belgique, c’est le cas de l’Institut scientifique de santé publique (ISP) qui est un laboratoire de référence au niveau des hépatites humaines, mais aussi de… la faculté de médecine vétérinaire de l’ULg. Cherchez l’erreur ? « C’est vrai que cela peut sembler étrange que des vétérinaires s’impliquent dans cette maladie humaine, concède Étienne Thiry, directeur du laboratoire de virologie vétérinaire et maladies virales animales. C’est là qu’intervient le concept international "One Health", qui vise à explorer les interactions entre les maladies animales et humaines quand elles se transmettent à l’homme. Comme par exemple pour la grippe aviaire ». 

Au départ, tout le monde pensait que l’hépatite E ne se transmettait que d’homme à homme,  par voie fécale-orale, principalement à travers de l’eau contaminée. Désormais, le doute s’installe. Et si les animaux en étaient les responsables ? S’agit-il d’un virus humain ou d’un virus animal ?

Tout dépend de quel  on parle. L’hépatite E se décline sous quatre « ensembles génétiques » distincts. Le 1 et le 2 sont présents uniquement chez l’homme et principalement en Asie, ainsi qu’en Afrique. Ils provoquent une maladie sévère, particulièrement fulgurante chez la femme enceinte, qui peut aboutir au décès. Par contre, le 3 et le 4 semblent plus inoffensifs, les signes cliniques sont bien moins graves. On retrouve le génotype 3 chez l’homme, essentiellement en Europe et en Amérique du Nord. En Belgique, une étude réalisée en Flandre (mais sur un échantillon restreint) montre que 14% des personnes étaient infectées.  

Fait troublant : ce génotype 3 a aussi été identifié dans les mêmes zones géographiques chez le porc et, dans une moindre mesure, chez les sangliers et les cervidés. De là à penser qu’il y aurait une dimension zoonotique, soit une transmission de l’animal à l’homme, il y a un pas… qu’il n’est pas (encore ?) possible de franchir. 

« Que se passe-t-il entre le porc et l’homme ? C’est la question à laquelle nous essayons de répondre depuis 5 ans, en collaboration avec l’ISP, résume Étienne Thiry. Pour l’instant, on ne sait pas exactement si le virus est d’abord apparu chez l’homme ou chez le suidé ». Le laboratoire liégeois, aidé par un spécialiste américain, a analysé des données phylogéniques afin d’établir l’arbre généalogique du virus, en partant des connaissances actuelles pour remonter le plus loin possible dans le temps. Ce ne fut pas simple, car il appartient à la famille très complexe des Hepeviridae que l’on retrouve aussi bien chez le chameau que les rongeurs et les chauves-souris. Les chercheurs ont néanmoins réussi à remonter à environ 1 million d’années pour retrouver un ancêtre commun aux hepevirus de mammifères et d’oiseaux. La dichotomie s’est opérée par la suite, mais nul ne sait qui du porc ou de l’homme fut le premier infecté.   

Une chose est certaine, l’hépatite E de génotype 3 n’épargne pas les porcs. L’équipe liégeoise a effectué une enquête au sein des exploitations porcines belges, afin de déterminer combien d’animaux sont infectés. Verdict : 93% des exploitations porcines sont positives et 73% des porcs sont touchés. « On ne s’attendait pas à une telle prévalence ! Surtout si l’on compare aux 14% de séropositivité chez les hommes selon l’étude flamande, pointe Étienne Thiry. Du côté des suidés, on retrouve le virus quasiment partout, tandis que du côté humain l’incidence est faible. Comment ce virus passe-t-il de l’animal à l’homme ? »

sangliers hepatite

Pour le savoir, le laboratoire a d’abord étudié la présence de l’hépatite E dans la faune sauvage (1) en collaboration avec le service de santé et pathologie de la faune sauvage du Prof. A. Linden. Il a établi que 34% des sangliers étaient positifs, contre 1 à 3% des cerfs et des chevreuils. « Nous avons donc postulé – avec une confiance assez grande – qu’il existe deux réservoirs animaux identifiés en Belgique : le porc domestique et le sanglier ». À nouveau, il est impossible de déterminer avec exactitude qui a au départ infecté qui. « Même si elle est très difficile à démontrer, on peut poser l’hypothèse selon laquelle ce virus, qui existe depuis des centaines de milliers d’années, devait à la base être présent dans la faune sauvage. À l’origine, les suidés étaient pratiquement tous sauvages. Le porc est en quelque sorte un sanglier domestiqué. Mais ce virus est-il issu des suidés ou leur a-t-il été transmis par l’homme ? On ne peut pas répondre à cette question », répète Étienne Thiry.  

Lui et son équipe ont tout de même voulu déterminer si le virus du sanglier pouvait être inoculé au porc. Vu la prévalence de la maladie dans les exploitations, dénicher des animaux « indemnes » n’était pas une mince affaire. Ils ont dû se rendre en France, dans la commune bretonne de Ploufragan, où l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) possède une animalerie confinée, de niveau de biosécurité 3, où peut vivre un troupeau de porcs préservé des infections. « On a réalisé deux séries d’expériences, relate le professeur. D’abord pour démontrer que le virus du sanglier se transmet au porc, puis qu’il peut ensuite se transmettre de porc à porc. Il ne suffit pas de mettre en évidence une probabilité d’introduction, il faut aussi s’assurer qu’une fois que le virus s’est multiplié, il peut à nouveau être infectieux pour les autres et donc s’installer dans une population porcine. Voilà où on en est à l’heure actuelle ».  

Dans la nature, la transmission entre animaux est fécale-orale. Les cerfs sont sans doute des victimes collatérales, contaminés par les excréments de sangliers sans qu’il y ait ensuite de véritable perpétuation de l’infection, comme le démontre sa faible présence chez eux. Mais comment l’hépatite E passe-t-elle du porc à l’homme ? Même si tout est bon dans le cochon, personne ne va jusqu’à ingérer ses déjections…

« L’étape suivante est de continuer dans la collaboration One Health et d’élucider cette transmission », prévoit Étienne Thiry. Des études internationales avancent déjà quelques pistes. Par exemple, les personnes qui ont une exposition professionnelle aux porcs (éleveurs, vétérinaires, ouvriers dans les abattoirs…) semblent plus souvent positives que les autres. Ces résultats n’ont pour l’instant pas été confirmés en Belgique, faute de subsides pour financer la recherche. 

porc elevage

D’autres travaux scientifiques, notamment au Japon, démontrent que l’infection peut être causée par l’ingestion de foie cru. Normalement, le virus est inactivé dès 70 degrés, mais parfois la viande issue de la chasse est insuffisamment cuite. Dans le sud de la Corse et en France, c’est un saucisson qui est à blâmer : le figatelli, une salaison à base de foie de porc cru. Chez nous, les habitudes alimentaires étant différentes, il reste à déterminer quels facteurs pourraient intervenir dans la contagion. « Il faudra creuser à l’avenir la piste de l’alimentation à base de produits porcins, estime le professeur. Il s’agit logiquement de l’exposition principale à laquelle les personnes peuvent être soumises. Ce sont des études épidémiologiques à réaliser au niveau humain. Du côté vétérinaire, nous allons plutôt nous concentrer sur les aspects virologiques. En utilisant des techniques de séquençage de nouvelle génération, on va caractériser beaucoup plus finement le virus, afin de préciser la parenté entre celui isolé du porc et du sanglier, et celui de l’homme. Pour l’instant, on estime qu’ils sont presque identiques, sur base des connaissances que nous avons. Mais nous n’avons pas encore exploré l’ensemble du génome ». 

Ces analyses poussées permettront peut-être indirectement de comprendre le passage de l’animal à l’homme. Et de mettre au point un vaccin ? « Il en existe déjà un, humain, en Chine, explique Étienne Thiry. Côté animal, nous sommes prêts à investiguer ce problème. Un vaccin serait possible, mais je n’ai pas l’impression qu’il s’agira de l’approche privilégiée, car le coût serait très élevé. Il s’agirait plus de méthodes de contrôle sanitaires et hygiéniques. On avait fait cette proposition à la Région wallonne, qui n’est manifestement pas encore prête et n’a pas retenu notre projet ». 

 

Être une maladie asymptomatique n’aide pas à dénicher des financements… Tout au plus peut-on déceler chez le porc quelques signes d’inflammation au niveau du foie. Pour le reste la maladie est bénigne. Seuls les « meilleurs » virus réussissent à trouver un tel état d’équilibre entre eux-mêmes et leur hôte, car il n’est pas dans leur intérêt de tuer ceux qui les hébergent. Cela n’exclut pas qu’un jour une souche beaucoup plus virulente émerge. Ou que le virus s’aggrave au contact d’autres infections. Sous ses airs inoffensifs, l’hépatite E gagne malgré tout à être connue…

(1)Belgian Wildlife as Potential Zoonotic Reservoir of Hepatitis E virus, in Transboundary and Emerging Diseases (2015).


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