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Forêts : mieux vaut la diversité

13/05/2016

Monique Carnol étudie le fonctionnement des sols et elle mesure entre autre la biomasse microbienne, c’est-à-dire la quantité de micro-organismes présents dans les sols. Ceux-ci sont des acteurs essentiels de la décomposition de la matière organique. Considérée comme un indicateur biologique  de la qualité des sols, la biomasse microbienne fait partie des 16 fonctions étudiées récemment dans une vaste étude européenne, afin de déterminer le rôle de la diversité forestière à l’échelle du paysage. Elle montre que la monoculture ne peut répondre seule aux multiples rôles que l’on attend aujourd’hui de la forêt, qui loin d’être une seule « usine à bois », influence de nombreuses fonctions environnementales dans l’air comme sous terre. 

Diversite forets2

De nombreuses études ont à ce jour montré qu’une diminution de la diversité des espèces d’arbres avait un impact négatif sur le fonctionnement de l’écosystème au niveau local. Mais jusqu’à présent, cet impact n’avait pas pu être démontré à l’échelle plus large du paysage. Une vaste étude européenne, récemment publiée dans PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences)(1), vient de franchir ce pas, grâce à la modélisation de données relatives à 16 fonctions, mesurées dans 209 parcelles forestières à travers quelque six pays européens, des zones les plus nordiques aux zones les plus méditerranéennes (Finlande, Pologne, Allemagne, Roumanie, Italie, Espagne). « Le choix des parcelles a été déterminant et a lui-même fait l’objet d’une publication séparée. L’idée était de partir sur des écosystèmes adultes. La difficulté était donc de sélectionner des sites qui présentaient une richesse d’arbres différente (de 1 à 5) mais où les autres paramètres – type de sol, climat, historique – pourraient permettre de mesurer isolément l’impact de cette diversité des espèces d’arbres », explique Monique Carnol, chargée de cours à la Faculté des Sciences de l’Université de Liège et directrice du Laboratoire d’écologie végétale et microbienne. 

Biodiversité et biomasse microbienne 

Partie prenante de cette recherche, Monique Carnol a étudié l’une des 16 fonctions sélectionnées, la biomasse microbienne. « La biomasse microbienne est la mesure de la quantité de micro-organismes présente dans le sol. Comme on ne peut pas peser ces micro-organismes, on mesure leur biomasse indirectement en quantité de carbone contenue dans les cellules », explique la chercheuse. Ces micro-organismes sont responsables de fonctions très importantes comme le recyclage de la matière organique, tels que les feuilles et les branches qui jonchent le sol. «  Cette matière organique ne peut pas être utilisée directement comme nutriment par les végétaux : elle doit d’abord être décomposée en matière minérale, ce qui est fait principalement par les micro-organismes. Ils vont par exemple décomposer l’azote ‘organique’ contenue dans les protéines pour en faire des nitrates et de l’ammonium, que les végétaux vont alors pouvoir absorber », poursuit la chercheuse. La mesure de la biomasse microbienne permet ainsi de donner une indication sur la capacité des sols à dégrader la matière organique, processus auquel participent également les vers de terre, dont la présence constitue un des autres paramètres pris en compte dans cette étude européenne. « Une des grandes forces de cette recherche, c’est d’avoir pris en considération des paramètres aériens, comme la production de bois ou la résistance aux pathogènes, aussi bien que souterrains. Ainsi, la séquestration de carbone a lieu en aérien par la photosynthèse, mais aussi en souterrain par l’accumulation de la matière organique dans les sols. Ce deuxième type de paramètres a longtemps été négligé parce qu’on  s’est d’abord beaucoup intéressé à la production de bois. Étudier le sol est aussi plus complexe ; nous sommes moins nombreux à travailler sur ces matières. Mais aujourd’hui, l’intérêt est de plus en plus grand pour les sols car, on se rend compte que le sol est une ressource non renouvelable à l’échelle des générations humaines et que c’est donc un paramètre central pour la gestion durable », explique Monique Carnol. 

Il en ressort que la diversité des espèces d’arbres a bel et bien un impact sur la biomasse microbienne, un résultat qui n’allait pourtant pas de soi. « On peut se dire intuitivement qu’une plus grande diversité d’arbres, mènerait à une plus grande diversité des litières (feuilles et racines mortes) et par conséquent une plus grande biomasse microbienne. Mais une plus grande diversité des nourritures (litières) pourrait simplement changer ou augmenter le nombre de types d’organismes présents, sans modifier leur quantité. Il y avait aussi la possibilité que l’effet de la richesse des arbres soit noyée par la variabilité intrinsèque au sein d’une parcelle », raconte Monique Carnol. 

Multifonctionnalité des écosystèmes forestiers

Du reste, l’étude publiée dans PNAS ne s’intéresse pas à l’effet de la diversité forestière sur chacune de ces fonctions en particulier, mais à son impact plus systémique sur la « multifonctionnalité », c’est-à-dire sur la capacité de la forêt à assurer conjointement différents fonctions, comme la préservation de la qualité des sols, la production de bois, la séquestration de carbone ou encore la biodiversité de la végétation herbacée. « La force de cette étude est aussi d’être parvenue à modéliser l’ensemble des paramètres récoltés. Ces paramètres ne se s’expriment pas tous avec la même unité : les variables ont donc dû être dans un premier temps standardisées afin de pouvoir être intégrées ensuite dans un même modèle », poursuit Monique Carnol. Avec, à la clef, la conclusion suivante : pour assurer de multiples fonctions, les forêts doivent être constituées de plusieurs espèces d’arbres, ce qui est loin d’être aujourd’hui la règle. « La recherche suggère que différentes répartitions des espèces servent différents objectifs de gestion. Des patchs de monocultures dans le paysage, mélangés à des patchs de forêts diversifiées permettent d’atteindre certaines fonctions à niveau élevé. Une seule espèce permet en effet d’obtenir un niveau élevé de certaines fonctions comme la production de bois, mais d’autres fonctions seraient alors moins importantes, voire absentes. D’un  autre côté, dans des forêts plus diversifiées, on aurait beaucoup de fonctions mais pas nécessairement à un niveau élevé. C’est cela qui doit être discuté par rapport aux objectifs de  gestion forestière », analyse Monique Carnol. 

Dans un autre article publié récemment dans Nature Communications, (2) cette équipe européenne de chercheurs s’est par ailleurs penchée sur les deux mécanismes principaux qui sous-tendent cette relation diversité-fonction : la complémentarité et la sélection. Déjà étudiés précédemment sur les prairies pour des fonctions individuelles, ils n’avaient pas encore été élucidés pour les forêts dans le cadre de multiples fonctions. « Lorsque différentes espèces ne partagent pas les mêmes ressources, elles sont plus productives, plus performantes. Par exemple, si j’ai deux espèces d’arbres, dont l’une a un enracinement superficiel et l’autre un enracinement en profondeur, elles vont exploiter les ressources de manière plus efficace puisqu’elles ne sont pas en compétition mais qu’elles sont au contraire complémentaires. Deuxièmement, quand on a une communauté plus diversifiée, on a automatiquement plus de chances d’avoir une espèce qui est plus performante, par exemple pour produire du bois : c’est l’effet de sélection », explique Monique Carnol. 

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Les chercheurs ont identifié un troisième mécanisme, moteur important dans la relation biodiversité-multifonctionnalité des forêts européennes. Ce mécanisme a été nommé « Jack-of-all-trades », d’après l’expression « Jack of all trades, master of  none » (bon à tout, bon à rien) : entendez « qui trop embrasse mal étreint. » « Dans une forêt mélangée, on a beaucoup de services au niveau moyen (aucun n’est au maximum) tandis que dans une monoculture, certains services peuvent être excellents mais d’autres plus limités. Certaines espèces d’arbres vont ainsi être très performants pour produire du bois mais pas nécessairement pour favoriser la biodiversité des oiseaux. Donc, si à l’échelle du paysage, on veut favoriser la diversité des oiseaux, il faut des parcelles mélangées », illustre encore la chercheuse. Dans un contexte où la forêt est désormais sommée d’assurer un rôle écologique et social et non plus seulement productif et économique, ces données pourraient avoir une influence déterminante sur la gestion forestière. « L’intérêt croissant pour la multifonctionnalité s’inscrit dans un objectif de gestion durable. Il n’est plus question d’épuiser le sol sur 50 ans. Sans compter que de nombreuses données montrent aujourd’hui que la biodiversité a aussi un impact positif en termes de production », précise encore Monique Carnol. Jack, en l’occurrence, n’est pas nécessairement à plaindre : en matière d’environnement, être bon dans tout et n’exceller en rien est un gage de durabilité et de stabilité. Une autre manière de dire est qu’il est plus prudent de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier arboricole. 

(1) van der Plas, F. et al. Biotic homogenization can decrease landscape-scale forest multifunctionality. PNAS doi :10.1073/pnas. 1517903113 (2016).

(2) van der Plas, F. et al. Jack-of-all-trades effects drive biodiversity–ecosystem multifunctionality relationships in European forests. Nat. Commun. 7:11109 doi: 10.1038/ncomms11109 (2016). 


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