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Forêts : mieux vaut la diversité
13/05/2016

Multifonctionnalité des écosystèmes forestiers

Du reste, l’étude publiée dans PNAS ne s’intéresse pas à l’effet de la diversité forestière sur chacune de ces fonctions en particulier, mais à son impact plus systémique sur la « multifonctionnalité », c’est-à-dire sur la capacité de la forêt à assurer conjointement différents fonctions, comme la préservation de la qualité des sols, la production de bois, la séquestration de carbone ou encore la biodiversité de la végétation herbacée. « La force de cette étude est aussi d’être parvenue à modéliser l’ensemble des paramètres récoltés. Ces paramètres ne se s’expriment pas tous avec la même unité : les variables ont donc dû être dans un premier temps standardisées afin de pouvoir être intégrées ensuite dans un même modèle », poursuit Monique Carnol. Avec, à la clef, la conclusion suivante : pour assurer de multiples fonctions, les forêts doivent être constituées de plusieurs espèces d’arbres, ce qui est loin d’être aujourd’hui la règle. « La recherche suggère que différentes répartitions des espèces servent différents objectifs de gestion. Des patchs de monocultures dans le paysage, mélangés à des patchs de forêts diversifiées permettent d’atteindre certaines fonctions à niveau élevé. Une seule espèce permet en effet d’obtenir un niveau élevé de certaines fonctions comme la production de bois, mais d’autres fonctions seraient alors moins importantes, voire absentes. D’un  autre côté, dans des forêts plus diversifiées, on aurait beaucoup de fonctions mais pas nécessairement à un niveau élevé. C’est cela qui doit être discuté par rapport aux objectifs de  gestion forestière », analyse Monique Carnol. 

Dans un autre article publié récemment dans Nature Communications, (2) cette équipe européenne de chercheurs s’est par ailleurs penchée sur les deux mécanismes principaux qui sous-tendent cette relation diversité-fonction : la complémentarité et la sélection. Déjà étudiés précédemment sur les prairies pour des fonctions individuelles, ils n’avaient pas encore été élucidés pour les forêts dans le cadre de multiples fonctions. « Lorsque différentes espèces ne partagent pas les mêmes ressources, elles sont plus productives, plus performantes. Par exemple, si j’ai deux espèces d’arbres, dont l’une a un enracinement superficiel et l’autre un enracinement en profondeur, elles vont exploiter les ressources de manière plus efficace puisqu’elles ne sont pas en compétition mais qu’elles sont au contraire complémentaires. Deuxièmement, quand on a une communauté plus diversifiée, on a automatiquement plus de chances d’avoir une espèce qui est plus performante, par exemple pour produire du bois : c’est l’effet de sélection », explique Monique Carnol. 

sampling diversite forets2

Les chercheurs ont identifié un troisième mécanisme, moteur important dans la relation biodiversité-multifonctionnalité des forêts européennes. Ce mécanisme a été nommé « Jack-of-all-trades », d’après l’expression « Jack of all trades, master of  none » (bon à tout, bon à rien) : entendez « qui trop embrasse mal étreint. » « Dans une forêt mélangée, on a beaucoup de services au niveau moyen (aucun n’est au maximum) tandis que dans une monoculture, certains services peuvent être excellents mais d’autres plus limités. Certaines espèces d’arbres vont ainsi être très performants pour produire du bois mais pas nécessairement pour favoriser la biodiversité des oiseaux. Donc, si à l’échelle du paysage, on veut favoriser la diversité des oiseaux, il faut des parcelles mélangées », illustre encore la chercheuse. Dans un contexte où la forêt est désormais sommée d’assurer un rôle écologique et social et non plus seulement productif et économique, ces données pourraient avoir une influence déterminante sur la gestion forestière. « L’intérêt croissant pour la multifonctionnalité s’inscrit dans un objectif de gestion durable. Il n’est plus question d’épuiser le sol sur 50 ans. Sans compter que de nombreuses données montrent aujourd’hui que la biodiversité a aussi un impact positif en termes de production », précise encore Monique Carnol. Jack, en l’occurrence, n’est pas nécessairement à plaindre : en matière d’environnement, être bon dans tout et n’exceller en rien est un gage de durabilité et de stabilité. Une autre manière de dire est qu’il est plus prudent de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier arboricole. 

(2) van der Plas, F. et al. Jack-of-all-trades effects drive biodiversity–ecosystem multifunctionality relationships in European forests. Nat. Commun. 7:11109 doi: 10.1038/ncomms11109 (2016). 

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