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Un virus félin qui n’en fait qu’à sa tête

10/05/2016

Le parvovirus félin (FPV) s’attaque aux cellules du tube digestif et aux cellules précurseurs de la moelle osseuse des chats. Il provoque la panleucopénie féline, une maladie qui engendre généralement peu de symptômes chez les chats adultes en bonne santé, mais qui peut se traduire par un trouble du développement du cervelet chez des chatons infectés juste avant ou juste après la naissance.  Cependant, durant l’épidémie de parvovirose féline de 2013, les vétérinaires ont observé des symptômes nerveux totalement inhabituels chez des chats adultes infectés par le FPV. Ils ont demandé au service d’autopsie de l’Université de Liège d’investiguer. Conclusion de l’enquête ? Il n’est pas improbable que le virus ait évolué et soit devenu capable de réactiver le cycle cellulaire (au moins ses premières phases) chez les neurones, mécanisme dont ils ont besoin pour se multiplier. Une constatation qui pourrait changer notre perception des parvovirus en général et suscite des interrogations quant à l’utilisation de ce type de virus à des fins thérapeutiques, notamment dans la lutte contre le cancer.

Tapis dans l’ombre, invisibles à l’œil nu, les virus sont partout. Heureusement pas tous dangereux, ils ont pourtant tous le même objectif : infecter un organisme qui leur permettra de se multiplier. En effet, contrairement aux bactéries, les virus sont incapables de se multiplier d’eux-mêmes. Ils ont besoin de soumettre des  d’un autre organisme afin d’utiliser leur machinerie bien rôdée pour répliquer leur génome

FPV Chat GD

La famille des parvovirus compte un certain nombre de virus qui utilisent des animaux ou l’homme pour se multiplier. Parmi eux, il y a le parvovirus félin ou FPV. Comme son nom l’indique, il s’attaque aux félins et dans nos contrées plus particulièrement au chat domestique. Il cause chez ce dernier une maladie appelée panleucopénie féline. « Le FPV infecte les cellules en division, en particulier les cellules du tube digestif et les cellules précurseurs de globules blancs dans la moelle osseuse », explique Mutien Garigliany, du service de pathologie animale (FARAH - Faculté de Médecine vétérinaire) de l’Université de Liège. « Ce virus provoque généralement peu de symptômes chez les chats adultes en bonne santé.  Mais il fait chuter le taux de globules blancs ce qui peut être dangereux pour un chat plus fragile qui aura alors du mal à se défendre contre d’autres infections », poursuit le chercheur. De plus, chez les chatons où de nombreuses cellules sont encore en division, le FPV s’en prend aux cellules nerveuses, principalement au niveau du cervelet. « On peut ainsi observer des symptômes nerveux chez de jeunes chatons suite à l’infection, mais classiquement pas chez l’adulte, dont les neurones ne se divisent plus », précise Mutien Garigliany.

 

Une mutation unique dans cette souche de FPV

La panleucopénie féline est une maladie très courante, bien contrôlée par la vaccination. Mais, comme la grippe intestinale chez l’homme par exemple, il existe des variations annuelles d’incidence avec des poussées régulières de parvovirose. En 2013, une épidémie quelque peu particulière de panleucopénie féline a attiré l’attention des vétérinaires de terrain. « Ils ont remarqué une accumulation de cas de chats adultes qui présentaient des symptômes nerveux suite à l’infection, ce qui est totalement inhabituel chez les chats de cet âge »,  indique le scientifique. « Ils nous ont donc demandé de vérifier si le FPV avait infecté les tissus nerveux de ces chats ». Les chercheurs ont utilisé des marqueurs du virus FPV afin de mettre en évidence dans quels tissus il se multipliait chez les chats présentant les symptômes nerveux. Ces analyses ont confirmé la présence de FPV dans les neurones cérébraux de ces chats. « C’était très étonnant puisque les parvovirus ont besoin d’infecter des cellules qui sont en division ce qui n’est pas le cas de ces neurones », reprend le vétérinaire. « Nous avons donc envisagé différentes hypothèses que nous avons investiguées avec des collègues de l’ULg et de l’ULB ». Tout d’abord, les scientifiques voulaient vérifier si ce parvovirus avait un génome différent de la souche classique responsable de la panleucopénie féline. « C’est un virus à ADN qui est relativement stable mais qui évolue quand même. Nous avons mis au point de nouvelles techniques de séquençage pour amplifier tous les virus présents dans les tissus cérébraux des chats analysés. Cela nous a permis de mettre au jour une mutation unique dans cette souche de virus FPV », révèle Mutien Garigliany. Cette mutation n’est présente dans aucun autre virus de ce type dans le monde. « Nous avons également vérifié si ces symptômes nerveux pouvaient être liés à une co-infection du FPV et d’un autre virus mais, chez la plupart des cas, il n y avait pas de co-infection. Ceci permet de conclure que les symptômes étaient probablement bien dus à la présence du FPV », continue le chercheur. Suite à ce constat, il serait intéressant d’isoler ce virus porteur d’une mutation unique et de l’étudier plus en détail, ou d’insérer cette mutation dans une souche classique du virus FPV et de voir comment elle se comporte in vitro. « Cela pourrait faire par exemple prochainement l’objet d’une thèse de doctorat chez l’une des équipes impliquées dans cette étude », indique Mutien Garigliany. 

Des neurones qui ont repris un cycle de division cellulaire

Que fait le FPV dans des tissus où les cellules ne se divisent plus ? Pour trouver une piste de réponse à cette question, les chercheurs sont partis de l’hypothèse que ces cellules avaient peut-être repris le chemin du cycle de division cellulaire. « Et cela, soit d’elles-mêmes, soit sous l’impulsion du virus », précise Mutien Garigliany. « Le Professeur Luc Poncelet de l’ULB a utilisé un marqueur p27 de « repos » cellulaire et a pu constater que ce marqueur avait disparu chez les neurones infectés par le FPV », explique le scientifique. « Les neurones sont donc effectivement ré-entrés au moins dans les premières phases du cycle de division cellulaire, ce qui permet la réplication du FPV ». A ce stade, les chercheurs n’ont pas la réponse de savoir si cela est induit par le virus ou non. « Pour pouvoir se multiplier, ce virus composé d’ ADN et d’une capside a besoin d’utiliser la machinerie d’une cellule en division », rappelle Mutien Garigliany. Il n’est donc pas improbable que le virus ait évolué et soit devenu capable de réactiver cette machinerie chez certaines cellules, ici chez les neurones. « La mutation que nous avons identifiée chez cette souche de virus touche une protéine dont le rôle dans le contrôle du cycle cellulaire est établi pour d’autres parvovirus. Nous suggérons donc, sans pouvoir le démontrer à ce stade, un lien de cause à effet entre cette mutation et l’acquisition du tropisme neuronal que nous avons mis en évidence », précise le chercheur. 

Detection protéines FPV

Parvovirus et lutte contre le cancer, prudence !

Cette hypothèse, qui reste à vérifier, pourrait avoir une importance capitale pour d’autres recherches sur les parvovirus. Des scientifiques étudient en effet l’intérêt d’utiliser certains parvovirus pour lutter contre le cancer. « Vu le tropisme de ce virus pour les cellules qui se divisent rapidement, les cellules cancéreuses sont un terrain rêvé pour le virus qui, au gré de ses multiplications, tue ces cellules », poursuit le vétérinaire. 

Mais la prudence reste de mise car la frontière entre l’activation du cycle cellulaire et la destruction des cellules cancéreuses reste perméable. Les récents résultats de l’étude de Mutien Garigliany et ses collègues, publiés dans BMC Veterinary Research (1), en sont un bon exemple. Si les parvovirus évoluent et acquièrent la capacité de réactiver la division cellulaire, ils peuvent potentiellement faire plus de dégâts que de bien en touchant des tissus sains comme le système nerveux central, en plus de la tumeur. « Un virus bien connu qui présente cette capacité à pousser les cellules à se diviser est le papillomavirus responsable du cancer du col de l’utérus »(2), indique le scientifique. Les choses ne sont donc pas aussi simples qu’elles pourraient paraître et l’utilisation de virus comme outils thérapeutiques doit être extrêmement prudente. L’intérêt de la présente étude est donc au moins double : comprendre les cas inhabituels de panleucopénie féline qui se sont déclarés durant l’épidémie de 2013 et approfondir les connaissances sur les interactions entre les parvovirus et les cellules qu’ils infectent.

(1) Mutien Garigliany · Gautier Gilliaux · Sandra Jolly · Tomas Casanova · Calixte Bayrou · Kris Gommeren · Thomas Fett · Axel Mauroy · Etienne Lévy · Dominique Cassart · Dominique Peeters · Luc Poncelet · Daniel Desmecht. Feline panleukopenia virus in cerebral neurons of young and adult cats. BMC Veterinary Research. 12/2016; 12(1). DOI: 10.1186/s12917-016-0657-0 

(2) lire à ce sujet Les origines du cancer du col de l'utérus 


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