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La 6e réforme de l’État
03/02/2012

Aussi s’accorde-ton plus généralement à considérer que, de toute manière, l’éventuelle dislocation de l’État belge dans ses dimensions actuelles nécessiterait la conclusion d’un accord entre toutes les parties concernées et que la Communauté internationale ne reconnaîtrait aucune déclaration d’indépendance de quelque entité fédérée que ce soit, sans une formalisation préalable et complète de toutes les question afférentes – ceci inclurait donc un volet sur le tracé frontalier, sur les questions de nationalité, sur la répartition de la dette, sur la scission de la sécurité sociale, sur les questions d’approvisionnement en énergie, sur l’accès maritime et portuaire, etc., etc.

À titre indicatif, on peut relever que la partition de la Tchécoslovaquie avait requis la conclusion de pas moins de 31 traités distincts, traités qui étaient accompagnés d’environ 2.000 arrangements administratifs annexes, dédiés à des questions de détail(21) ; or, la situation de notre pays ne me paraît a priori pas plus simple, et c’est un euphémisme.

Plusieurs années seraient donc sans doute nécessaire pour préparer de tels accords, années au cours desquelles note pays devrait malgré tout continuer à être géré, … mais années aussi au cours desquelles notre Royaume constituerait une cible particulièrement vulnérable pour les marchés financiers et les agences de notation. Économiquement parlant, ces négociations interminables risqueraient donc de coûter très cher tant à l’État lui même (au niveau de sa dette publique, qui pourrait s’envoler), qu’à ses entreprises et ses travailleurs (peu importe d’ailleurs que ceux-ci soient flamands, wallons ou bruxellois).

Plus l’éventualité de telles négociations proprement kafkaïennes approche, plus les appels à la raison se multiplieront peut-être, spécialement en provenance des milieux économiques ; et si vous me permettez cette question, pensez-vous vraiment que les différentes parties impliquées dans ces pourparlers, chacune élue par des électeurs échaudés par la fièvre communautaire, seraient vraiment en mesure, pour ne prendre que cet exemple, de régler de commun accord le statut des communes de la périphérie bruxelloise ?

Car le temps des solutions de compromis alambiquées “à la belge” qui, dans un cadre étatique commun, avaient été possibles et porteurs de résultats si pacificateurs, ce temps sera alors révolu : les questions seraient désormais strictement binaires, du genre : Rhode-Saint-Genèse fera-t-elle partie de l’État A ou de l’État B ? C’est catégorique, tranché, sans nuance possible. Tertio non datur, une troisième voie n’existe pas.

Pourrions-nous trouver un accord sur des sujets si polarisants ? Poser la question, c’est, me semble-t-il, y répondre.

Faudrait-il alors en conclure que la sagesse économique et la virulence potentielle des marchés nous recommanderont de poursuivre notre cohabitation au sein d’un seul et même État, sachant que sa scission exigerait de nous la conclusion d’un accord qu’en raison de nos divergences profondes, nous ne serions précisément plus en mesure de trouver ? Je vous avais dit qu’en droit constitutionnel belge, l’ombre de Magritte n’était jamais très loin…

Je passe au point final de mes réflexions ad futurum  pour dire un mot à propos des grandes vertus que j’incline à reconnaître à la notion de prospective.

Je suis résolument convaincu qu’en ces moments où nous sentons bien que des changements importants nous attendent, nous devons tourner notre regard vers l’avenir. Pour moi, l’avenir, c’est tout prioritairement le développement futur de l’espace francophone au cours des dix prochaines années, espace qui s’inscrit dans un cadre étatique belge.

 

Ce laps de dix années correspond, vous le savez mieux que moi, à la durée de vie de la nouvelle loi spéciale de financement, telle qu’elle a été convenue à l’occasion du récent accord institutionnel et telle qu’elle entrera en vigueur prochainement.

Ainsi, où seront la Wallonie et Bruxelles, toutes deux entités fédérées du Royaume de Belgique, en termes économiques à l’horizon 2024 ? Voilà une interrogation importante. Dans ce contexte, je note aussi qu’en termes de prérogatives et de possibilités d’action, ce seront les institutions régionales qui ont et qui auront un rôle de plus en plus prépondérant à jouer (notamment parce que les Communautés ne disposent pas d’un pouvoir fiscal propre).

Ceci ne préjuge cependant pas de l’intérêt – à mes yeux primordial – de maintenir des liens effectifs et forts entre les deux Régions, liens dont l’importance stratégique à terme pour les francophones ne doit pas être démontrée et qui justifient à mon sens pleinement l’existence d’une structure institutionnelle commune.

Enfin, en ayant évoqué précisément la fiscalité et en concentrant mon analyse sur notre Région, la Région wallonne, de quels leviers disposera-t-elle à cet égard pour favoriser son redressement et sa relance économique ?

Ces questions s’adressent à nous tous ; nous qui sommes, à des degrés divers et à des places différentes, impliqués dans la gestion, l’analyse ou l’enseignement des affaires publiques. Politiques, fonctionnaires, journalistes, membres de cabinets ministériels, académiques, tous peuvent jouer un rôle dans cette activité de prospective, et c’est un service précieux que nous pourrons rendre à notre Région, la Région wallonne – non seulement à sa population actuelle mais aussi à ses futurs jeunes diplômés qui accéderont au marché du travail en 2024, voire à ceux de nos concitoyens qui entameront leur scolarité en 2024 (et qui ne sont donc même pas encore nés).En langue allemande, il y a une phrase qui dit : Eine Arbeit fängt in dem Moment an, in dem man beginnt an sie zu denkenUn travail est entrepris dès l’instant où l’on commence à y penser »). Nous tous pouvons donc débuter ce travail de prospective et de préparation du futur dès maintenant – si, dans nos têtes, nous entamons la réflexion. Chacun de nous sera, je suis sûr, guidé par un idéal que nous nous aurons tous en commun, par delà des sensibilités diverses qui font la richesse d’une société démocratique : cet idéal, c’est d’assurer le meilleur déploiement, le meilleur rayonnement de notre Région à l’avenir.

Cette ambition est à la fois simple et exigeante ; il se pourrait aussi qu’elle nécessite la prise de mesures impopulaires. Or, nous devons nous soumettre à cette exigence, car elle sera l’étalon à l’aune duquel la valeur de notre action sera mesurée. Pour le dire avec le très beau mot de Paul Valéry :

« Nous valons ce que nous exigeons de nous-mêmes. »

Drapeaux Bel Fla Wal

 

(21) Vernon Bogdanor, The New British Constitution, Oxford, Hart Publishing, 2009, p. 96 : « The ‘velvet’ divorce between the Czech Republic and Slovakia in 1993 was preceeded by no fewer than 31 traties and over 2,000 separate agreements. » – Sur la partition de la Tchécoslovaquie, on lira aussi avec profit le beau travail de Maya Hertig, Die Auflösung der Tschechoslowakei, Analyse einr friedlichen Staatsteilung (thèse, Fribourg/Suisse), Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2001, 537 pages ; Maya Hertig est actuellement professeur de droit international public à l’Université de Genève.

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