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La 6e réforme de l’État
03/02/2012

Je passé au troisième et dernier mythe que je souhaite vous présenter. C’est celui qui consiste à affirmer que l’indépendance de la Flandre entraînerait d’office la disparition de l’État belge.

Autrement dit, et à le suivre, ce mythe revient à soutenir que le jour où la Flandre accèderait à la qualité de sujet souverain aux yeux du droit international, le sujet “Belgique” serait automatiquement et concomitamment voué à disparaître. Dès lors, et toujours selon ce mythe, les territoires restants de l’ancienne Belgique, c’est-à-dire ceux qui ne feront pas partie du nouvel État flamand, seraient nécessairement contraints de procéder, eux aussi, à la création de nouvelles institutions et de se faire reconnaître par la communauté internationale.

Il faut bien mesurer le caractère assez déséquilibré d’une telle idée. En effet, elle revient en définitive à affirmer que la classe politique flamande aurait à elle seule le droit – et en quelque sorte donc aussi le monopole – de décréter quand devra prendre fin l’existence de l’État belge.

Or, l’existence de cet État, son nom et sa continuité en tant que sujet du droit des Gens, ont une valeur certaine sur la scène internationale : il suffit de songer au fait qu’il dispose de relations diplomatiques établies avec presque tous les États de la planète, même avec la Corée du Nord ; de plus, la Belgique a le privilège d’être reconnue par l’intégralité des États du monde (il n’y en a pas un seul qui ne nous reconnaît pas) ; il y a, à l’évidence, notre appartenance à de nombreuses organisations internationales, dont bien entendu avant tout les Nations-Unies, le Conseil de l’Europe et – élément capital – l’Union européenne, en ce compris notre participation à sa zone euro et à sa banque centrale. Pour notre économie, chacun en conviendra, ce sont là des paramètres essentiels.

Or, à suivre la légende, les francophones seraient, au moment de l’accession de la Flandre à l’indépendance, dans l’incapacité de conserver ce nom et d’en poursuivre l’existence juridique sur le plan international.

Du point de vue académique, une telle affirmation me semble manquer de certitude.

Au moment où un État flamand sera reconnu en la qualité d’un nouveau sujet de droit international, il se pourrait que l’État belge disparaisse (tel serait notamment le cas si les francophones étaient en faveur d’une telle solution). La disparition, à ce moment, de l’État belge est donc une possibilité – mais seulement une parmi d’autres. En effet, s’il existait au sein de la population francophone une volonté pour faire perdurer l’existence du sujet de droit international dénommé “Belgique”, il se pourrait tout aussi bien que la Communauté internationale accepte cette volonté démocratiquement légitimée et considère que le sujet de droit international “Belgique” continue à exister, tout en étant dorénavant doté d’une population et d’un territoire réduits, …et à propos de ce territoire, je vous ai déjà dit que rien ne permettait à ce jour d’affirmer qu’il serait d’office écartelé en deux morceaux séparés.

D’ailleurs, sur la scène internationale, de nombreux précédents existent : en 1918, le Danemark est bel et bien resté le Danemark après l’indépendance de l’Islande ; en 1922, le Royaume-Uni est bien resté le Royaume-Uni après l’indépendance de l’Irlande ; en 1971, le Pakistan est bien resté le Pakistan après l’indépendance du Bangladesh ; en 1993, l’Ethiopie est bien restée l’Éthiopie après l’indépendance de l’Érythrée ; et l’année dernière, en 2011, le Soudan est bien resté le Soudan après l’indépendance du Sud-Soudan. Mais surtout, et ce précédent est tout à fait significatif car il a trait à notre propre pays, en 1830, les Pays-Bas sont bien restés les Pays-Bas après l’indépendance …de la Belgique.

Ainsi, en 1992, lors du démembrement de la Yougoslavie, les provinces de la Serbie et du Monténégro avaient souhaité continuer la personnalité juridique de l’ancien État yougoslave.

 

Or, la Communauté internationale ne leur a pas fait cette faveur mais a considéré que l’ancienne Yougoslavie avait pris fin et que l’on avait affaire à la création d’un nouvel État (même si celui-ci s’appelait lui aussi Yougoslavie). Je ne tais donc pas du tout ce précédent.

Mais l’on doit aussi relever la situation spécifique dans laquelle il s’inscrit : nous sommes en 1992, un an après la bataille de Vukovar, qui a fait 2000 morts. Srebrenica viendra trois ans plus tard. Le président de cet État qui demande à être le successeur de l’ancienne Yougoslavie n’est personne d’autre que Slobodan Milošević, dont on connaît le sombre bilan en termes de respect des droits de l’homme et qui fera plus tard l’objet d’un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité. Évidemment, on comprend assez aisément que, dans un tel contexte, la Communauté internationale n’ait pas été très encline à accorder des faveurs particulières à cet État et à leurs dirigeants.

Mais le tableau serait incomplet si je n’évoquais pas également devant vous un important avis que l’Assemblée générale des Nations-Unies a rendu en 1947 et qui est toujours valable aujourd’hui. Cet avis, précisément relatif à la question de succession d’États, affirme notamment « que chaque cas doit être considéré comme un cas d’espèce. »(18)  Donc, le champ des possibles est entièrement ouvert.

Aussi peut-on lire la phrase suivante dans cet avis :

« En règle générale, il est conforme aux principes de présumer qu’un État qui est membre des Nations-Unies ne cesse pas d’en être membre du simple fait que ses frontières ont subi  des modifications.» (19)

De plus – et je cite toujours – l’Assemblée générale relève : 

« Lorsqu’un nouvel État est créé, quels que soient le territoire et la population qui le composent, que ceux-ci aient ou non fait partie d’un État membre de l’ONU, ce nouvel Etat ne peut dans le système prévu par la Charte, se prévaloir du statut de Membre de l’ONU que s’il a été officiellement admis comme tel conformément aux dispositions de la Charte. » (20)

Tout cela me paraît fort important à savoir, et vous mesurez sans peine l’intérêt stratégique de la subsistance potentielle d’un État belge. Au demeurant, la subsistance d’un tel État ne préjuge en rien de sa structure constitutionnelle interne, et il serait parfaitement concevable qu’il accorde une large autonomie aux Régions qui le composent.

Dernier élément à verser dans le débat : certains juristes soutiennent qu’en cas d’indépendance de la Flandre, la subsistance d’un État belge à dimensions réduites nécessiterait en toute hypothèse l’accord de la Flandre.

À vrai dire, je n’en suis pas si sûr ; ce sont là des questions fort complexes et il faut se garder de conclusions trop tranchées. Seule une chose me paraît certaine: si vraiment la subsistance d’un État belge à dimensions réduites nécessitait l’accord des autorités flamandes, il serait alors certainement également exact d’affirmer que, corrélativement, l’accession à l’indépendance de cet État flamand requerrait l’aval des autorités de la petite Belgique. C’est là une exigence d’élémentaire cohérence : il n’y a aucune raison de supposer que les dirigeants flamands soient en mesure de bloquer les décisions des francophones, mais que les francophones n’aient rien à dire quant aux décisions prises en Flandre.

 (18) Éric David, « Une éventuelle scission de la Belgique au regard du droit international », in : L’après-Belgique ?, Actes de la journée d’étude organisée le 2 avril 2011 par le Cercle Condorcet de Liège, en collaboration avec l’Université de Liège, Liège, Cercle Condorcet, 2011, pp. 13-48, ici p. 41.     
(19) Annuaire de la Commission de droit international [des Nations-Unies], 1962, II, p. 121, 2e colonne ; ce texte est également cité par Éric David, contribution prémentionnée, p. 41.
(20) Idem. C’est moi qui souligne.

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