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La 6e réforme de l’État
03/02/2012

En même temps, il faut bien se rendre compte que si effectivement la NVA et le Vlaams Belang devaient obtenir la majorité des sièges au groupe linguistique néerlandais, la situation serait empreinte d’une singulière gravité et on se mouvrait sur des crêtes extrêmes au sommet desquelles même des hommes politiques chevronnés pourraient aisément perdre l’équilibre.

Comme cinquième et avant-dernier point de ma réflexion prospective, j’aimerais saisir l’occasion pour dissiper un certain nombre de fausses idées, idées qui sont fréquemment répandues et qui pour cette raison sont à mon sens assez nuisibles.

À propos de chacune des ces idées, on peut d’ailleurs se poser la question suivante : qui a intérêt à leur propagation et à leur survie ? C’est là un exercice de réflexion qui est tout à fait intéressant.

Première fausse idée, très fréquente, celle-là : en cas de partition du pays, Bruxelles sera nécessairement enclavée en Flandre et les francophones se trouveraient obligatoirement confrontés à un ensemble territorial discontinu en deux morceaux, sans lien territorial entre les deux.

Affirmer ce genre de choses, c’est aller fort vite – trop vite – en besogne. En effet, le sort des six communes périphériques autour de Bruxelles, communes qui permettraient précisément de créer ce lien territorial entre les deux territoires majoritairement francophones du pays, sera l’un des enjeux principaux d’une négociation de partition ; rien n’est joué à cet égard. Il est certes exact que ces communes sont situées en région flamande. Mais il est tout aussi exact qu’elles sont par ailleurs dotées d’un régime juridique qui est à bien des égards distinct des autres communes flamandes, de sorte que leur adjonction à un nouvel Etat flamand ne va aucunement de soi.

Ainsi, les négociateurs francophones pourraient faire valoir que ces communes ont un statut spécial, distinct du reste de la Flandre, en matière

linguistique (ce sont des communes à facilités pour les francophones),
scolaire (il y a des écoles primaires en langue française),
électoral (les citoyens de ces communes peuvent émettre leur suffrage en faveur d’un candidat qui se présente pourtant à Bruxelles),

De plus, il existe évidemment un argument non juridique en faveur de la thèse francophone, et qui est d’ordre démographique : ce sont des communes dont il est notoire – et administrativement démontrable – qu’elles totalisent une population majoritairement francophone(12).

Leve-Belgie

 

Aussi, il n’existe aucune règle de droit international qui voudrait que l’on suive systématiquement, en cas de dislocation d’un État, les frontières administratives préexistantes : ces frontières ont certes une valeur indicative, mais lorsqu’il existe des éléments objectifs qui permettent de démontrer qu’un autre tracé frontalier serait mieux indiqué, notamment en ce qu’il tiendrait mieux compte de l’intérêt des populations concernées, le débat sera de nouveau totalement ouvert(13). Mon éminent collègue Éric David de l’ULB ne dit rien d’autre quand il relève : 

« [l]e droit international ne prévoit pas que les frontières des États successeurs (autres que leurs frontières avec les États tiers) doivent correspondre aux délimitations administratives internes établies par l’État prédécesseur »(14),

même s’il est exact que

« la pratique tend plutôt à maintenir les anciennes délimitations intérieures comme frontières extérieures du nouvel État.»(15),

Mais, encore une fois, et je me réfère de nouveau aux travaux d’Éric David, le droit international est caractérisé en ce domaine par une absence à la fois 

« de règle formelle et d’uniformité de la pratique »(16).

Donc, en un mot : la discontinuité territoriale entre la Wallonie et Bruxelles, c’est à voir – et si j’étais consultant en matière institutionnelle pour le gouvernement flamand (ce que je ne suis pas), je leur dirais sans doute qu’il serait bon de claironner un peu moins haut sur ce point car il ne faut pas partager la peau de l’ours avant de l’avoir tué – ...et j’ajouterais aussi que c’est bien connu qu’il y a peu d’ours en périphérie.

Deuxième mythe tenace, lui aussi d’inspiration flamande (c’est sauf erreur de ma part à Louis Tobbak qu'en revient la paternité) : c’est de concevoir pour Bruxelles un avenir de district européen. À mon sens, c’est là rêver en plein jour.

En effet, on aperçoit de suite la difficulté de l’idée : voilà que les institutions européennes seraient en charge des missions d’un véritable État. Elles devraient donc directement administrer un territoire et auraient des citoyens qui ne posséderaient d’ailleurs, mis à part la citoyenneté européenne, aucune autre nationalité (puisque ce territoire ne relèverait, par hypothèse, plus d’aucun autre État) : il faudrait donc créer, pour faire fonctionner ce district, une police européenne, un code civil européen, un code pénal européen, un code de commerce européen, un code de la nationalité européenne, un code de procédure pénale européenne, un code judiciaire européen, code de la sécurité sociale européenne, un code de travail européen avec des règles sur la concertation entre partenaires sociaux pour les entreprises situées à Bruxelles, etc…

Je ne vais pas ici vous fatiguer davantage avec cette idée chimérique, …mais tout simplement inviter ceux qui y croiraient toujours à consulter confidentiellement deux, trois hauts fonctionnaires à la Commission ou au Conseil : vous verrez, leur jugement sera sans appel. Et comme il faudrait, pour prendre cette décision de créer le district, une révision des traités – et donc l’unanimité – je leur conseillerais à ces “eurodistrictophiles invétérés” de débuter leurs consultations avec des représentants anglais ou tchèques. Vous verrez, ce seront des rencontres empreintes de très longs silences (17)

(11) Sur ce point, voy. notamment Cour const., arrêt 101/2008 du 10 juillet 2008, considérant B.18.2.
(12) Cette démonstation peut notamment être faite à l’aide de la langue dans laquelle sont délivrées les cartes d’identité dans ces communes.
(13) Sur ces questions, qui renvoient à la notion juridique d’uti possidetis, il s’indique notamment de consulter deux thèses de doctorat : il s’agit du travail d’Anouche Beaudouin, Uti possidetis et sécession, thèse (Nanterre, 2009), Paris, Dalloz, 2011, 667 pages, et de celui de Gaël Abline, Sur un nouveau principe général du droit international: l’uti possidetis, thèse (Angers, 2006), non publiée, 639 pages. Le premier travail mérite en raison de sa qualité une mention spéciale.

(14) Éric David, « Une éventuelle scission de la Belgique au regard du droit international », in : L’après-Belgique ?, Actes de la journée d’étude organisée le 2 avril 2011 par le Cercle Condorcet de Liège, en collaboration avec l’Université de Liège, Liège, Cercle Condorcet, 2011, pp. 13-48, ici p. 21.     
(15) Idem, p. 23.
(16) Idem, p. 25.
(17) D’ailleurs, le jour où les Bruxellois auront compris que l’idée du district européen sert de facto à mettre une majorité francophone de 90 pour-cent à Bruxelles sous tutelle d’un Parlement européen qui va les régir directement mais au sein duquel ils n’auront droit qu’à deux députés sur 700, eux-mêmes ils ne voudront plus de ce district.

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