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La 6e réforme de l’État
03/02/2012

III. Les perspectives d’avenir à moyen et long terme pour les institutions étatiques belges

Je vais maintenant me placer après la réalisation de la 6e réforme de l’État pour livrer quelques réflexions sur les perspectives institutionnelles dans notre pays à moyen terme.

C’est évidemment un sujet sensible ; mais je le ferai sans langue de bois, en disant en toute sincérité ce que je pense.

J'articulerai ma réflexion autour d’un certain nombre de constats.

Premier constat – très basique, celui-là : les institutions étatiques sont faites par les hommes pour les hommes ; elles n’ont aucune légitimité autre que celle de l’adhésion de la population. Créatures des humains, entachées par essence d’insuffisances de divers ordres, elles ne sont pas faites pour l’éternité, et l’histoire du droit public le prouve. Il fut ainsi un temps où il existait un Royaume de Navarre, un Royaume des Deux-Siciles, une Union soviétique, un Emprire ottoman, …ou encore une République de Yougoslavie.

Les territoires des États peuvent eux aussi connaître des modifications : Calais fut naguère sous souveraineté britannique, Malmédy allemande et Maastricht belge.

Tout cela est un phénomène parfaitement courant dans la vie des structures étatiques ; à l’université, cela est d’ailleurs étudiés à la Faculté de droit, dans un cours qui s’appelle Théorie générale de l’État . Ce cours de Théorie générale de l’État comprend, très logiquement un chapitre consacré à la naissance et à la disparition des États, ou ces différentes occurrences sont analysées dans le calme et avec la distance nécessaire.

Or, du point de vue scientifique, il n’existe évidemment aucune raison de soutenir que ces enseignements vaudraient partout sur la planète sauf précisément dans notre État, et que la structure étatique belge serait, comme par miracle, exonérée des règles pourtant mondialement applicables. Il m’importait de souligner cela à titre liminaire, pour bien démontrer le champ des possibles dans un débat ad futurum comme celui-ci et qui vise le moyen ou le long terme.Deuxième constat : nous sommes un État qui souscrit au principe de la démocratie. La démocratie se définit comme la forme de gouvernement qui assure la direction des affaires publiques conformément à la volonté des populations qui en sont les destinataires.

Ce principe implique que les institutions politiques de l’État belge n’auront vocation à durer qu’aussi longtemps que perdure à leur égard une adhésion majoritaire des populations concernées. En d’autres termes : s’il existait un jour, après des élections tenues en liberté et sans fraude, une majorité dans l’un des deux grands groupes linguistiques de notre pays pour estimer la structure étatique actuelle doit être abandonnée, il découle du principe démocratique que l’autre groupe linguistique ne pourra pas, le cas échéant, se retrancher derrière son désir de préserver le statut quo mais qu’il serait obligé d’entamer des négociations. Tout cela sans précipitation, mais également sans retard intempestif.

Troisième constat : l’électorat flamand est, comme l’ont démontré les dernières années, depuis l’implosion de la Volksunie, caractérisé par une grande volatilité et indétermination, spécialement du coté droit du spectre politique. De nouveaux partis surgissent, des nouvelles vedettes montent en flèche, et deux scrutins plus tard, le parti et son charismatique leader sont condamnés à des scores médiocres, voire sont purement et simplement menacés de disparition (je songe ici à la Volksunie, à la Lijst De Decker, et même dans une moindre mesure au Vlaams Belang). Cela pour la volatilité.

Mais l’aspect le plus remarquable dans l’analyse de l’électorat flamand est sans conteste son indétermination : un grand nombre d’électeurs votent pour des partis dont ils désapprouvent pourtant, si on les interroge spécifiquement sur ce point, des aspects importants de leur programme. Ainsi, et aussi étonnant que cela puisse paraître, de nombreuses études de politologues flamands ont démontré que l’électorat du Vlaams Belang, parti ouvertement séparatiste, est pourtant l’un des plus belgicains de tout le spectre politique.

 

BartDeWinner

Cette observation peut dans une certaine mesure également être faite pour la NVA : encore récemment, un de mes collègues professeurs de droit qui enseigne à une Faculté de droit au Nord du pays me confiait avoir voté personnellement pour la NVA – et dans la phrase suivante, il m’expliquait vouloir absolument la préservation de la Belgique. Inquiété par mon regard – disons collégialement perplexe – il m’expliquait que, selon lui, le vote pour la NVA était indispensable pour faire avancer des réformes que (je cite) « l’Etat féodal et socialiste au Sud du pays » (c’est lui qui parle ici) a empêché depuis des décennies. Voilà donc un électeur, disons plutôt instruit, qui vote NVA pour des raisons stratégiques qui n’ont rien à voir avec des velléités séparatistes.  

Or, il faut évidemment être lucide : même s’il semble effectivement qu’un nombre non négligeable d’électeurs de la NVA ou du Vlaams Belang ne soit pas animé par des intentions séparatistes, les mandataires de ces partis, eux, le sont bel et bien. Autrement dit : même s’il n’existe qu’un pourcentage nettement minoritaire de séparatistes en Flandre, les récents sondages démontrent que ce constat n’empêche pas le Belang et la NVA de récolter ensemble 46 % des suffrages – et avec 46 % des suffrages, on a droit, comme je l’ai démontré, à la majorité absolue en termes de sièges au sein du groupe linguistique néerlandais de la Chambre, et aussi au Parlement flamand.

D’où mon quatrième constat : si, sur une question aussi importante, d’intérêt vital pour notre pays (j’emploie ici l’adjectif vital au sens premier du terme, c’est-à-dire ‘relatif à sa propre survie’), des doutes sur l’intention réelle de l’électorat flamand devaient exister, je ne verrais alors qu’une seule solution – à savoir la consultation directe de l’électorat, sur cette question unique, par référendum :

« Êtes-vous favorable au maintien de l’État belge ? Oui/non. »

Peut-être, mais je peux me tromper, cette éventualité lointaine de la tenue d’un référendum dont ils pourraient ne pas sortir vainqueurs conduira la NVA et le Vlaams Belang, d’ordinaire pourtant si résolument en faveur de mécanismes de démocratie directe, à adopter une attitude plus attentiste en la matière. Dans ce contexte, on relèvera aussi qu’en matière de référendum, l’effet de basculement de la clef d’Hondt n’existe pas. 

En somme, on peut donc estimer que les résultats actuels de la NVA et du Vlaams Belang ne constituent, en tant que tels, pas encore pas un indicateur fiable de la tendance séparatiste au Nord ; par voie de conséquence, il serait erroné d’accréditer la thèse selon laquelle l’État belge serait ipso facto voué à disparaître dès l’instant où ces deux partis auraient conquis la majorité des sièges au groupe linguistique néerlandais de la Chambre.

On notera d’ailleurs que même dans un scénario d’une majorité séparatiste au groupe linguistique néerlandais à la Chambre, il existerait, grâce aux voix francophones jointes aux autres partis flamands, toujours une majorité absolue globale (c’est-à-dire les deux groupes linguistiques réunis), pour former un nouveau gouvernement fédéral et le cas échéant, si la volonté politique y était, pour voter une loi qui organiserait la tenue d’un référendum sur l’avenir du pays. 

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