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Lumière sur Mercure !

06/05/2016

Ce 9 mai, nous assisterons à un transit de Mercure devant le Soleil, c’est-à-dire au passage –observable– de la planète entre la Terre et notre étoile. Un événement rare alors que deux publications récentes apportent des éléments nouveaux sur l’histoire de la planète la plus proche du Soleil. 

Utilisant des données récoltées par la sonde américaine MESSENGER, des géologues de l’Université de Liège ont reconstitué des « échantillons » de Mercure en laboratoire afin de mieux comprendre la formation et l’évolution des roches qui la constituent. Depuis l’extraction du noyau jusqu’à l’éruption de laves très anciennes recouvrant sa surface, l’histoire magmatique de Mercure est révélée par des expériences en conditions extrêmes.   

Mercure large

« Lorsque la sonde MESSENGER tournait autour de Mercure, j’étais en post-doc au MIT, se souvient Bernard Charlier, qui développe aujourd’hui un laboratoire de pétrologie expérimentale à l’Université de Liège. J’ai ainsi eu accès aux premières données sur la composition de la surface de la planète. Nous avons alors, en 2013, publié une première analyse, basée sur ces données préliminaires. Mais il fallait aller plus loin et c’est ce que nous avons fait, ici à Liège cette fois. D’où les deux articles publiés récemment » (1). 

MESSENGER, il est vrai, a accompli un travail extraordinaire, réalisant une cartographie chimique de la planète, fournissant des données sur plusieurs dizaines de milliers de points d’analyse de la croûte de Mercure. « En 2013, nous nous étions basés sur 11 points d’analyse, poursuit Bernard Charlier. Les conclusions que nous présentons aujourd’hui se basent sur 49.000 points ! ».

Mercure : un témoin de la formation du système solaire

Les roches de surface de Mercure, des laves, ont été mises en place entre 3,7 et 4,2 milliards d’années. Par comparaison, la surface de la Terre est très récente, au maximum 200.000 ans même s’il y a quelques affleurements de roches datant de 4 milliards d’années. Avoir des roches très anciennes en surface donne évidemment des informations sur les stades initiaux de la formation de la planète. Au moment de sa formation, la planète se différencie en un noyau (du fer essentiellement) et une partie silicatée –le manteau– qui entoure celui-ci. La partie silicatée solidifiée refond partiellement produisant ainsi les laves qui formeront la croûte en surface.

Terre Mercure

Mercure en labo

Mercure est lointaine, inhospitalière et il n’est évidemment pas question d’aller y prélever des échantillons de roche (comme pour la Lune) ni même, du moins pour l’instant, d’y envoyer un robot capable de pratiquer de telles analyses sur le terrain (comme pour Mars). MESSENGER est resté en orbite autour de la planète tandis que divers instruments embarqués à son bord captaient différents types de signaux utiles. L’équipe de Liège, pour sa part, attendait surtout les données relevées par un spectromètre à rayons X dont l’objectif était d’analyser la composition de la surface de Mercure. Ses détecteurs mesuraient la fluorescence X émise par la surface sous l’effet du rayonnement solaire. Ces données entre leurs mains, les géologues pouvaient commencer leur travail d’interprétation. « Il a d’abord fallu réaliser un traitement statistique, précise Olivier Namur, chargé de recherches FNRS au laboratoire, pour garder les compositions les plus significatives ». Une fois les compositions de roche définies, les chercheurs les synthétisent en laboratoire. Ce matériel peut alors être fondu à différentes conditions de pression et température, dans un milieu appauvri en oxygène.  Ces expériences, observées au microscope et analysées à la microsonde électronique, permettent aux géologues d’identifier les équilibres entre les liquides, les métaux, les sulfures et les cristaux. 

Mercure microscope electronique

Ces informations permettent d’interpréter ce qui se passe dans la croûte, le manteau, et même le noyau de la planète, en fonction des températures et pressions auxquelles ils soumettent les poudres. Ces échantillons sont en quelque sorte comme des parcelles de Mercure prélevées à différentes profondeurs. « Les résultats que nous publions aujourd’hui proviennent d’expériences effectuées dans deux laboratoires allemands, à la Leibniz University of Hannover, où Olivier Namur termine son post-doctorat, et au Bayerisches Geoinstitut de Bayreuth, précise Bernard Charlier. Bientôt, nous pourrons réaliser les expériences ici, à Liège ». Grâce au soutien financier d’un crédit équipement du FNRS et d’un projet BRAIN financé par BELSPO, l’Université de Liège vient en effet de se doter de l’équipement nécessaire pour réaliser des expérimentations de ce type. Les poudres de roche y seront soumises à des températures allant jusqu’à 2.000°C et des pressions équivalentes à celles qui règnent à près de 150 km sous la croûte terrestre. 

La structure profonde de Mercure

On savait déjà que le manteau de Mercure est très différent de celui des autres planètes car il ne contient pas de fer ; tout le fer a en effet été « pompé » dans le noyau qui est gigantesque (60% du volume de la planète, contre 15% pour la Terre). Le manteau de silicates ne fait lui que 400 km d’épaisseur. « Cette très faible épaisseur alliée à une composition riche en silice et magnésium est une contrainte importante pour expliquer la formation de la croûte secondaire, explique Olivier Namur. Pour fondre les roches du manteau, il faut des températures très élevées. C’est une conclusion de notre travail : les températures élevées dans le manteau et les degrés de fusion importants ont produit des laves qui sont très riches en magnésium. » Un autre résultat important détaillé dans les publications est en effet l’identification de la composition minéralogique du manteau: celui-ci est essentiellement composé de deux silicates de magnésium, l’olivine (Mg2SiO4) et l’orthopyroxène (MgSiO3).

Les chercheurs ont également pu identifier les conditions de production des laves dans le manteau. Les plus anciennes sont formées à la base du manteau, les plus  jeunes dans sa partie supérieure. « Nous avons ainsi identifié, précise Bernard Charlier, un refroidissement rapide du manteau de Mercure pendant les 500 premiers millions d’années. Le manteau devient alors trop froid et il n’y a plus aucune activité magmatique. C’est une caractéristique de Mercure : à partir de 3,7 milliards d’années, il ne se passe plus rien : la croûte est formée et il n’y a plus de magmatisme significatif sur la planète ! » 

Temperatures manteua Mercure

Temperature pression Mercure

Du soufre, encore du soufre

Une autre caractéristique, tout à fait exceptionnelle, mise en évidence dans les publications liégeoises, est la présence importante de soufre dans le manteau, autour du noyau, et à la surface de la planète. En général, les roches de surface des planètes du système solaire contiennent  entre 500 et 2000 ppm de soufre. Sur Mercure, c’est 10 à 40 fois plus, entre 2 et 4% ! Sur Terre, on ne retrouve de telles quantités que dans les gisements de soufre exploitables. Sur Mercure, c’est la norme !  Comment expliquer cela ? « Nous avons étudié comment le soufre se distribue (spéciation) et se comporte dans les magmas, explique Camille Cartier, post-doc au laboratoire. Ce phénomène est lié à la disponibilité d’oxygène dans les liquides silicatés. Il y a très peu d’oxygène dans les magmas de Mercure ce qui favorise fortement la solubilité du soufre. Il va en quelque sorte prendre la place laissée vacante par l’oxygène. Les molécules de S2- se substituent aux O2-. Sur Terre, vu l’abondance de l’oxygène, ce sont des oxydes qui se forment ;  dans les conditions de Mercure, ce sont des sulfures. 

Hemisphere nord Mercure

La forte présence du soufre sur Mercure a suscité d’intenses débats depuis les premières données fournies par MESSENGER : la partie extérieure du noyau de la planète est-elle une couche de sulfure ?  « Ce que nous avons montré, précise Olivier Namur, c’est que si une telle couche existe, elle est mince, sans doute pas plus de 80 km d’épaisseur, loin des 200 km que certains imaginaient. Nous avons en quelque sorte fixé une limite.» 

Mercure n’a donc pas livré tous ses secrets et le nouveau laboratoire de pétrologie expérimentale de l’ULg entend bien continuer, parmi d’autres recherches, à participer à les élucider. Les chercheurs attendent donc avec impatience le lancement de la mission européenne BepiColombo qui est destinée à prendre la relève de MESSENGER, même si elle n’atteindra Mercure qu’en 2024 !

(1) Namur O, Collinet M, Charlier B, Grove TL, Holtz F, McCammon C (2016) Melting processes and mantle sources of lavas on Mercury. Earth and Planetary Science Letters 439: 117-128. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012821X16000522

Namur O, Charlier B, Holtz F, Cartier C, McCammon C (sous presse) Sulfur solubility in reduced mafic silicate melts: Implications for the speciation and distribution of sulfur on Mercury. Earth and Planetary Science Letters.


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