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Le lac Kivu, un eldorado à surveiller
29/04/2016

Un écosystème complexe et singulier

Le projet EAGLES a permis de mettre en lumière d’autres zones d’ombre à tout le moins singulières. « Le Kivu est l’un des lacs émettant le moins de méthane vers l’atmosphère. Un contraste avec ses eaux profondes qui stockent des quantités énormes de ce gaz, relève Alberto Borges. Une raison vient de la stratification du lac. Cette stratification permet l’accumulation de méthane au fond et ralentit très fortement le transport de méthane vers la surface. Ce transport est tellement lent que des bactéries vont dégrader le méthane, par conséquent lorsque les eaux viennent en contact avec l’atmosphère les concentrations en méthane sont extrêmement faibles et par conséquent les émissions vers l’atmosphère sont très faibles aussi. En fait, n’importe quel petit étang même dans votre jardin émet plus de méthane que le lac Kivu ! » Le transport des eaux du fond vers la surface est provoqué par des sources sous-lacustres apportant à diverses profondeurs des eaux chargées en  sels et en gaz (essentiellement du CO2) provoquant ce qu’on appelle un « upwelling » c’est-à-dire un transport vertical des eaux . Ce transport des eaux, de l’ordre du centimètre par an, reste très lent, mais emporte avec lui toutes les substances qui y sont dissoutes. Une remontée de méthane, de CO2 et de nutriments devrait donc en bout de course s’observer en surface. Cependant, à l’interface des eaux profondes anoxiques et des eaux de surface oxygénées, se développent des communautés microbiennes variées exploitant les ressources du gradient oxique-anoxique. C’est en étudiant ces communautés que les chercheurs allaient satisfaire leur curiosité. « Le méthane est une molécule très énergétique. On le brûle d’ailleurs pour produire de l’électricité. Un peu de la même manière, des bactéries le métabolisent pour vivre : ce sont donc des méthanotrophes, formant une communauté très active. La diffusion du méthane étant très lente, il est dégradé bien avant d’atteindre la surface. »

Une autre particularité qu’il était intéressant de comprendre dans le cadre du réchauffement climatique était la quantification de son émission de CO2 dans l’atmosphère. « Il est normal qu’un petit lac produise du CO2 car il reçoit beaucoup de matière organique de son bassin versant (région terrestre qui draine les pluies et alimente le lac en eau et substances minérales et organiques). Mais en parallèle, ce gaz est aussi fixé dans la matière organique par la photosynthèse du phytoplancton qui finit par sédimenter. Ce processus permet d’absorber le CO2 présent dans l’atmosphère au contact de la surface. Dans les grands lacs, la fixation de CO2 l’emporte sur la production de CO2, et ils agissent comme un puits de carbone. Dans le lac Kivu les sources géologiques de CO2 (sources sous-lacustres) atteignent la surface pour être libérée dans l’atmosphère, ce qui fait du lac une source et non un puits de CO2», conclut Alberto Borges.

Changements concentration

Une fin en queue de poisson ?

Le projet EAGLES marque pour l’équipe la fin de plus de douze ans de recherches sur le lac Kivu. L’enjeu, largement rencontré, était de parvenir à établir un état des connaissances ainsi que des prédictions permettant une articulation élaborée entre exploitation de méthane, évolutions climatiques, protection d’un écosystème et maintien de la pêche locale. Pourtant, si les banques de données ont largement été complétées au cours de ces campagnes, beaucoup de champs de la recherche ont rencontré des difficultés et contretemps divers et mériteraient d’être peaufinés. C’est le cas notamment de la paléolimnologie, de l’estimation des pêches, mais aussi du développement des modèles prévisionnels régionaux. « C’était l’un des objectifs de départ, constate Jean-Pierre Descy. Développer un modèle permettant de simuler le fonctionnement de la masse d’eau selon la météo, conditionnant la productivité de l’écosystème. On peut simuler les phénomènes de mélange, mais nous ne sommes pas encore parvenus à simuler de façon suffisamment fine la réponse écologique à ces changements climatiques. Les raisons sont diverses. Notamment, l’équipe de modélisateurs a dû prélever elle-même une série de données météorologiques qu’elle espérait préexistantes pour pouvoir étalonner ses outils. Toujours est-il que nous avons manqué de temps, et nous ne savons pas encore si nous pourrons continuer nos recherches. » Ce qui va continuer, dans le cadre de la mise en opération des plates-formes d’extraction de méthane, c’est une surveillance minimum de l’impact de l’exploitation du méthane. L’acquisition de toutes ces données biologiques, écologiques et géochimiques offre une grande connaissance sur le fonctionnement du lac et fournit un outil important à la vigilance d’équipes locales pour en évaluer les potentielles perturbations. Cependant, les campagnes de surveillance du lac ne comporteront que le suivi en routine de différents indicateurs, ce qui ne permettra pas d’approfondir la compréhension de l’histoire du lac Kivu, de son fonctionnement et de son avenir.

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