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Détecter le déficit en cholestérol chez les vaches Holstein

17/05/2016

Le déficit en cholestérol cause la mort précoce des veaux chez les vaches Holstein. Pour éviter qu’un nombre croissant d’animaux soit atteint de cette pathologie, il faut détecter les animaux porteurs de la mutation génétique qui en est responsable et éviter de les utiliser pour la reproduction. L’équipe de Carole Charlier, chef de projet à l’Unité de recherche de Génomique animale au GIGA de l’Université de Liège, a identifié cette mutation et a mis au point un test pour détecter les animaux porteurs. En cause le gène APOB qui n’engendre pas une protéine « normale ».

Depuis la rentrée académique, l’équipe de Carole Charlier n’a pas chômé. Contactée en septembre par des éleveurs de vaches Holstein afin de mettre au point un test de détection de la mutation responsable d’une maladie létale chez les veaux de cette race, l’équipe liégeoise a atteint cet objectif et bien mieux encore. « Le déficit en cholestérol appelé CDH pour « cholesterol deficiency haplotype » en anglais est une pathologie qui mène à la mort du veau entre 3 semaines et 6 mois après sa naissance », explique Carole Charlier, chef de projet à l’Unité de recherche de Génomique animale au GIGA de l’ULg. « Les animaux  atteints présentent des diarrhées sévères, un fort amaigrissement et une quasi absence de graisse. Les analyses sanguines montrent en effet une hypolipidémie, notamment un taux de cholestérol très bas. Et il n’y a pas de traitement pour cette maladie à ce jour », précise la chercheuse. Sachant que la race Holstein est la race de vache laitière la plus répandue dans le monde, on peut imaginer le désarroi des éleveurs face à cette maladie qui affecte la production du cheptel. D’autant que le CDH n’est pas la seule maladie qui affecte la reproduction des vaches Holstein (lire l’article Ces mutations qui affectent la fertilité des bovins).

Veau

Une base de données unique en Europe

Pour éviter que les vaches Holstein donnent naissance à des veaux malades, il faut trouver la mutation responsable de cette maladie et éviter d’utiliser les animaux porteurs de cette mutation pour la reproduction. « C’est une équipe allemande qui a décrit cette maladie et cette même équipe a présenté la localisation de la mutation responsable de cette pathologie lors d’un congrès au mois de juillet », reprend Carole Charlier. « Ils avaient localisé cette mutation au niveau du chromosome 11 mais ne l’avaient pas encore identifiée. A partir de là, ils ont développé un test haplotypique indirect, c’est à dire un test qui permet d’identifier un morceau de chromosome  qui devrait porter la mutation. Ce test n’est pas fiable à 100% mais est utile pour identifier les animaux potentiellement porteurs de la mutation ». Une fois ces informations rassemblées, l’équipe de Carole Charlier s’est attelée à identifier la mutation responsable du CDH. Pour ce faire ils disposent d’un outil clé : une base de données, générée au sein de la plateforme de Génomique du GIGA par Wouter Coppieters et son équipe, reprenant le séquençage de 750 génomes entiers de vaches Holstein. « Cette base de données a été constituée durant ces 2 dernières années dans le cadre du projet DAMONA mené par le Professeur Michel Georges et financé grâce à un ERC Advanced Grant », souligne la scientifique. Au départ d’une liste de taureaux reproducteurs susceptibles d’être porteurs de la mutation responsable du CDH, les chercheurs ont mis le doigt sur 4 taureaux faisant partie de la base de données DAMONA. Ils ont alors analysé le morceau du chromosome 11 où l’équipe allemande avait localisé la mutation en question. « Nous n’avons rien trouvé à cet endroit-là », indique Carole Charlier. « Mais à 1 million de paires de bases de cette localisation se trouve le gène de l’apolipoprotéine B (APOB). Or, chez l’homme, on sait que des mutations de type ‘perte de fonction’ dans ce gène provoquent des symptômes similaires à ceux observés chez les veaux atteints de CDH », explique la chef de projet. Y aurait-t-il une mutation du gène APOB qui expliquerait l’apparition du déficit en cholestérol chez les vaches Holstein ? C’est ce que les chercheurs ont tenté de savoir.

L’expression du gène APOB mise à mal

En cherchant des mutations classiques, c’est à dire la modification d’un seul ou de quelques nucléotides, dans la séquence du gène APOB, Carole Charlier et son équipe n’ont rien remarqué d’anormal. « Par contre, au niveau de l’exon 5 de ce gène, il y avait une signature particulière : l’insertion d’une séquence répétée », révèle la chercheuse. « Nous avons caractérisé cette séquence et nous avons trouvé que cet élément répété fait partie d’une famille d’éléments mobiles connue sous le nom d’« élément rétroviral endogène ou rétrovirus endogène ». Les séquences répétées représentent 50% du génome des mammifères. Il en existe différentes classes et sous-catégories parmi lesquelles on compte les éléments transposables. « L’élément répété trouvé au niveau du gène APOB fait partie de cette dernière catégorie », révèle Carole Charlier. « Il s’agit de l’insertion d’un élément complet de 7000 paires de bases. Cette insertion devrait engendrer l’arrêt total de la transcription du gène et abolir sa fonction ».

Grâce à la collaboration de la Faculté de Médecine vétérinaire de l’Ulg (Drs Arnaud Sartelet et Emilie Knapp), l’équipe de Carole Charlier a pu obtenir du matériel biologique (ADN et tissus) d’un veau souffrant de CDH. « Nous avons fait séquencer son transcriptome à partir de cellules de son foie pour vérifier l’impact de la mutation sur l’expression du gène APOB », explique la scientifique. C’est ainsi qu’ils ont eu la confirmation que le gène APOB de ce veau n’engendrait pas une protéine « normale ». La transcription du gène était interrompue alors que seuls 3% de la protéine avaient pu être formés.

Ces découvertes ont permis aux chercheurs liégeois de développer un test qui interroge de manière directe la mutation afin de pouvoir valider ou invalider les résultats obtenus via le test haplotypique indirect existant. Ce test permettra dorénavant aux éleveurs d’éviter d’utiliser des animaux porteurs de la mutation pour la reproduction. « Cette mutation est assez fréquente au sein de la population Holstein. Elle touche 6 à 8% des animaux. Mais avec les inséminations artificielles, si on utilise des reproducteurs porteurs de la mutation, on peut vite multiplier considérablement le nombre d’animaux porteurs de la mutation et ainsi le nombre de veaux atteints », souligne Carole Charlier.

Veaux infectes CDH Holstein

Zoom sur les éléments transposables dans le génome des vaches

L’objectif du test 100% fiable pour détecter les vaches et taureaux porteurs de la mutation responsable du CDH atteint, Carole Charlier et son équipe n’en sont pas restés là. Normalement, les rétrovirus endogènes sont fortement réprimés par les mécanismes de défense de l’organisme. S’ils ne sont pas réprimés par ces derniers, ils peuvent se transposer dans le génome, être transcrits, aller s’intégrer ailleurs dans le génome et causer différents impacts sur les individus qui les portent. D’où un système de défense du génome habituellement très efficace contre ces mutations. Les chercheurs de l’ULg ont voulu savoir quelle était la distribution génomique de ces éléments, leur fréquence et leur spécificité chez les vaches Holstein et Blanc-bleu belges.

Dans ce contexte, Chad Harland, doctorant néo-zélandais au sein de l’Unité de recherche de Génomique animale, a développé un outil bioinformatique (LocaTER) permettant de détecter, dans le génome, des éléments du même type que celui trouvé sur le gène APOB. Résultat : 1200 évènements polymorphes de ce type ont été mis au jour. « Certains sont spécifiques des bovins Blanc-bleu belges, d’autres sont spécifiques des vaches Holstein. Enfin, certains sont partagés par les 2 races et sont donc vraisemblablement apparus dans le génome des bovins il y a plus longtemps », précise Carole Charlier. Les scientifiques ont montré que, comme cela avait été démontré chez la souris notamment, les éléments de transposition du génome des bovins sont soumis à de fortes pressions de sélection purificatrice. « Lorsqu’un élément de la sorte se mobilise, il va s’insérer de manière aléatoire n’importe où dans le génome : dans les régions intergéniques, dans les introns  ou dans les exons. L’orientation de son insertion a un impact sur les conséquences de cette insertion sur la fonction du gène touché », explique Carole Charlier. En effet, si l’élément en question s’insère dans le sens de transcription d’un gène, il va perturber et/ou arrêter la transcription de ce gène. Si l’insertion se fait dans le sens inverse de la transcription, son impact sur la fonction du gène sera plus variable. « En regardant à la fois la distribution et la position de ces 1200 éléments dans le génome des vaches Holstein et Blanc-bleu belges, on a pu montrer qu’il y a moins d’insertions au niveau des gènes que ce à quoi on s’attendrait si on part du principe que ces insertions se font de manière aléatoire dans le génome. De plus, lorsque ces éléments sont insérés dans un gène, il y a deux fois plus de chance qu’ils soient insérés dans le sens contraire du sens de transcription », révèle Carole Charlier. Ces observations confirment l’œuvre d’une sélection purificatrice : les éléments insérés dans des gènes dans le sens de transcription ont été éliminés au fil de l’évolution à cause de leur impact négatif sur les individus porteurs de ces mutations

Analyser le génome de petites structures familiales

Au départ, la base de donnée DAMONA a été conçue pour identifier des mutations de novo. Si une mutation de novo se produit au sein des cellules de la lignée germinale – les cellules qui sont susceptibles de former les gamètes (ovule ou spermatozoïde) - d’un individu (père ou mère) donné, elle ne sera pas détectable chez celui-ci mais sera transmise au descendant conçu par le gamète muté et celui-ci la transmettra alors à la moitié de ses propres descendants. Au cours de son doctorat, Chad Harland a notamment pour mission d’identifier les mutations de novo classiques pour l’ensemble de la base de données DAMONA. Par mutations classiques, on entend des mutations qui impliquent la modification d’un ou de quelques nucléotides au sein d’une séquence donnée. Parmi les 750 individus répertoriés dans la base de données DAMONA, on retrouve 115 petites structures familiales constituées d’un couple « père –mère », d’un de leur descendant et de 4 à 5 individus descendant eux-mêmes de ce dernier. Carole Charlier et ses collègues ont utilisé ce jeu de données pour trouver des mutations de novo de type ‘nouvelle retrotransposition’ au sein de ces structures familiales. « Nous souhaitions voir la mobilisation des éléments de novo du même type que celui trouvé sur le gène APOB au sein de la lignée germinale », explique Carole Charlier. « Nous avons pu mettre en évidence cinq mutations de novo de ce type parmi les 115 structures familiales dont nous disposions ». Ces mutations se sont donc produites au sein d’un spermatozoïde ou d’un ovocyte d’un père ou d’une mère. Sur ces cinq mutations, quatre d’entre elles provenaient d’une lignée germinale mâle et une provenait d’une lignée germinale femelle. « Cela montre bien que la mobilisation de ce type d’événement peut se faire tant chez les mâles que chez les femelles » indique Carole Charlier. « Mais on s’est aussi rendu compte de manière inattendue que, chez sur les quatre mutations de novo qui étaient apparues chez des mâles, trois d’entre elles s’étaient produites dans la lignée germinale d’un même taureau. Plus étonnant encore deux de ces trois mutations avaient été transmises par un seul et même spermatozoïde », révèle la chercheuse. Ces résultats significatifs suggèrent que, à un moment donné, un élément rétroviral endogène s’est mobilisé dans la lignée germinale de ce taureau. La prochaine étape pour l’équipe de Carole Charlier sera de trouver s’il y a chez ce taureau en particulier (ou d’autres qui présentent le même type d’évènements) une altération des mécanismes de défense du génome qui sont supposés réprimer la mobilisation des éléments transposables.

Dans le cadre d’une autre projet européen, le séquençage du transcriptome de vaches de la race Holstein est également en cours. Carole Charlier et ses collègues ont déjà en tête d’utiliser ce nouveau jeu de données afin de pouvoir établir la corrélation entre la présence d’éléments transposables à un endroit du génome de ces animaux et le niveau de transcription des gènes dans ou à proximité desquels ces éléments se sont insérés. « Certains des éléments que nous avons trouvés dans le génome des vaches Holstein ou Blanc-bleu belges auront très probablement un gros impact au vu des gènes importants dans lesquels ils sont insérés », assure Carole Charlier. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’appel des éleveurs pour un test de détection du CDH aura eu un effet domino sur les recherches de l’équipe de Carole Charlier qui ne risque pas de s’avachir de sitôt !


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