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L’orientation sexuelle sous toutes ses coutures

13/04/2016

Fort de ses recherches et lectures en matière d’influence de la biologie sur l’orientation sexuelle, Jacques Balthazart résume dans un article scientifique (1) les connaissances à ce sujet. Il y décrit ce qui est connu sur base de modèles animaux ainsi que ce que l’on sait actuellement de l’influence des hormones, de la génétique et de l’épigénétique sur l’orientation sexuelle chez l’être humain.

Le livre de Jacques Balthazart a fait grand bruit à sa sortie en 2011 et ne cesse de faire parler de lui depuis lors. Il faut dire que « La biologie de l’homosexualité : on naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être » (lire l’article Naît-on homosexuel ?) a le mérite d’être clair sur le message du chercheur qui ne plait pas à tout le monde. Jacques Balthazart, directeur émérite du groupe de recherche Neuroendocrinologie du comportement du GIGA de l’Université de Liège, étudie la question depuis de très nombreuses années, à la fois sur des modèles animaux dans son laboratoire et dans la littérature. « Une des différences la plus marquée qui existe dans le comportement sexuel de l’homme et de la femme c’est l’orientation sexuelle : la grande majorité des femmes est intéressée par des hommes et la grande majorité des hommes est attirée par des femmes », explique Jacques Balthazart. « C’est qu’il y a donc de grosses différences entre les deux sexes à ce niveau là, à l’exception d’une petite partie de le population, entre 2 et 10%, qui est homosexuelle et donc intéressée par des partenaires du même sexe ». Frappé par le fait que l’on continue d’attribuer cette différence sexuelle au fruit de l’éducation ou d’un choix délibéré, le scientifique a eu envie de coucher sur papier, de manière accessible à tous, les connaissances actuelles sur la biologie de l’homosexualité. « On entend régulièrement que c’est le résultat d’un rôle défaillant de la mère, de l’absence d’un père, d’un complexe d’Oedipe mal résolu etc. Mais à côté de cela, il y a des milliers d’articles scientifiques qui montrent une influence soit des hormones précoces, soit de la génétique soit même de l’épigénétique », poursuit Jacques Balthazart.

Oreintation sexuelle

Les hormones embryonnaires au cœur de l’influence

Dans le cadre d’un volume spécial de Philosophical Transactions of the Royal Society B (1) sur les multiples origines des différences sexuelles dans le cerveau, la coordinatrice de ce volume a demandé à Jacques Balthazart de réaliser une revue de littérature sur les facteurs biologiques influençant l’orientation sexuelle. « Dans cet article j’explique ce qu’on sait chez l’animal et qui pourrait avoir un impact chez l’être humain, ainsi que ce qu’on sait chez l’être humain », indique le scientifique.  

Au sein de son laboratoire, Jacques Balthazart étudie comment les hormones sexuelles mâle (testostérone) et femelle (oestradiol) agissent sur le cerveau pour contrôler le comportement sexuel. Pour cela, le chercheur et son équipe ont utilisé divers modèles animaux tels que la caille, le canari, le rat ou la souris. « On s’est rendu compte que les hormones agissent pendant la vie très précoce, c’est-à-dire in utéro/ovo ou pendant les premiers jours de vie, pour définir de façon irréversible la façon dont les mâles et les femelles réagiront aux hormones sexuelles à l’âge adulte. C’est ce qu’on appelle les effets organisateurs des hormones sur le cerveau », explique le scientifique. Les hormones vont ainsi induire la structure du cerveau de sorte qu’il soit organisé pour avoir des comportements sexuels plutôt mâle ou plutôt femelle. Grâce à de multiples expériences, les chercheurs ont pu démontrer qu’il est possible d’inverser à volonté l’orientation sexuelle d’animaux tels que le rat en manipulant les hormones sexuelles au moment de la naissance ou un peu avant. Les femelles montrent alors des comportement sexuels mâles et les mâles présentent des comportement sexuels femelles lorsqu’ils sont en âge de se reproduire.

A l’ouest des Etats-Unis, il existe un modèle animal bien connu pour étudier l’homosexualité. Il s’agit d’une population de mouton au sein de laquelle on observe que 8 à 10% des béliers sont strictement homosexuels. « Cela a été mis au jour suite à des problèmes de fertilité chez ces moutons » précise Jacques Balthazart. « Les recherches sur cette population de moutons montrent que les béliers homosexuels ne présentent pas de problèmes hormonaux mais que leur noyau sexuel dimorphique - responsable du comportement sexuel et situé dans l’aire préoptique du cerveau - est de plus petite taille que chez les autres mâles mais de taille comparable à celui des femelles ». Or la taille de ce noyau est régulée essentiellement par les hormones embryonnaires…Si l’embryon est exposé à un niveau de testostérone élevé, il développera un noyau de taille mâle.  S’il y a peu de testostérone à ce stade du développement, la taille de son noyau sexuel dimorphique sera réduite comme chez les femelles.

Quand le milieu hormonal est chamboulé par la maladie

Chez l’être humain, cette différence de taille du noyau sexuel dimorphique a été observée déjà en 1993. « C’est vieux mais encore assez méconnu, surtout en France où on ne parle pas de l’influence de la biologie sur l’homosexualité », reprend le Professeur. « Cette zone du cerveau a été analysée histologiquement chez l’humain à partir du cerveau de personnes décédées lors de l’épidémie de SIDA. Mais l’observation de cette différence ne constitue pas une preuve formelle car il est difficile d’être sûr de l’orientation sexuelle de quelqu’un avant sa mort et certains disent que la taille réduite du noyau sexuel dimorphique est une conséquence et non une cause de l’homosexualité ». Chez le rat et chez le mouton, les scientifiques ont prouvé qu’il s’agit d’une conséquence de l’action des hormones prénatales et que la taille de ce noyau est corrélée à l’orientation sexuelle de ces animaux. Il est donc tentant de penser que les mêmes mécanismes pourraient sévir chez l’être humain…

D’autres arguments de l’influence des hormones embryonnaires sur l’orientation sexuelle humaine viennent s’ajouter à cela. Il existe notamment des maladies qui affectent le milieu hormonal embryonnaire et qui sont associées à une modification de l’orientation sexuelle. Par exemple,  l’hyperplasie des glandes surrénales consiste en un développement anormal de ces glandes qui ne sécrètent alors plus de cortisol mais produisent à la place des androgènes. « Les filles atteintes sont donc exposées pendant leur vie embryonnaire à des taux d’hormones masculines beaucoup plus élevés que normal. Il en résulte une masculinisation des structures génitales. Certaines naissent avec une fusion des lèvres ou un clitoris de la taille d’un pénis etc. », explique Jacques Balthazart. Bien souvent ces anomalies sont corrigées à la naissance et les enfants sont élevés comme des petites filles. Mais, côté comportement, on observe qu’elles ont tendance à jouer à des jeux plutôt masculins et qu’à l’âge adulte, l’incidence de l’homosexualité féminine chez ces jeunes filles est de l’ordre de 20 à 40% selon les études. « On peut donc penser que cet excès d’androgènes pendant la vie prénatale amène à une masculinisation des préférences sexuelles », poursuit le scientifique.  « Et plus l’incidence de la sécrétion d’androgènes prénataux est importante plus la proportion d’homosexualité augmente. C’est un des arguments de l’influence des hormones sur l’orientation sexuelle chez les humains. »

Enfin, toute une série de caractéristiques de l’être humain sont influencées par les hormones prénatales et peuvent être corrélées à l’orientation sexuelle des individus. Une série de choses sont masculinisées par la testostérone prénatale. La longueur relative du 2ème et 4ème doigt de la main droite, par exemple. « Les hommes ont en général un 2ème doigt plus court que le 4ème », indique Jacques Balthazart. « Et les femmes homosexuelles ont statistiquement un 2ème doigt plus court que le 4ème également, ce qui suggère qu’elles ont été exposées à un excès de testostérone. Bien sûr cela ne fonctionne pas au niveau individuel mais c’est confirmé au niveau statistique ».

FIG 2 Orientation sexuelle

Malheureusement il est très compliqué d’obtenir la preuve formelle de l’influence des hormones embryonnaires sur l’orientation sexuelle. En effet, il y a énormément de variance puisque les perturbations hormonales peuvent survenir à différents stades de la vie embryonnaire. Cette preuve pourrait éventuellement être obtenue grâce à un suivi des personnes depuis le stade embryonnaire jusqu’ à leurs 25 ans. « Dans l’idéal, il faudrait faire des prises de sang à des embryons et observer l’orientation sexuelle qu’ils prendraient à l’âge adulte. C’est à la fois éthiquement inacceptable et personne n’a les moyens de faire une telle étude », précise le scientifique.

La concordance d’orientation sexuelle chez les jumeaux

En parallèle à l’étude de l’influence des hormones sur l’orientation sexuelle, de nombreuses recherches se focalisent sur l’influence de la génétique sur l’homosexualité. « On sait que cette influence existe car si on regarde des lignées familiales où un premier individu s’avère être homosexuel, la probabilité que d’autres membres de la famille soient homosexuels également est augmentée par rapport à la moyenne observée au sein de la population », explique Jacques Balthazart. On pourrait  tout naturellement se dire que c’est une question d’éducation ou d’environnement familial mais c’est sans compter sur un certain nombre d’études réalisées sur des jumeaux dizygotes et monozygotes. « La concordance dans l’orientation sexuelle des jumeaux est bien meilleure chez les « vrais » jumeaux que chez les  « faux » jumeaux », souligne le Professeur. « Il y a 65% de concordance de l’orientation sexuelle chez les jumeaux monozygotes contre 18% de concordance chez les dizygotes ». Mais la génétique n’explique donc pas tout puisqu’il n’y a « que » 65% de concordance chez deux personnes qui ont un génome quasi identique…Qu’il s’agisse des hormones, de la génétique ou de l’épigénétique, les facteurs biologiques ne permettent pas séparément d’expliquer à 100% l’origine biologique de l’homosexualité mais ils constituent ensemble un faisceau d’arguments montrant que l’influence biologique est certainement très importante.

FIG 3 Orientation sexuelle

Le chromosome X épinglé

En ce qui concerne les gènes de prédisposition à l’homosexualité, différents groupes de recherche se penchent sur la question mais rien n’est encore très clair jusqu’à présent. « Il semble qu’il ne s’agirait pas d’un seul gène responsable mais qu’ils sont multiples et pas très pénétrants, c’est-à-dire qu’ils ne déterminent pas de manière directe mais influencent l’orientation sexuelle », indique le chercheur. Cependant les scientifiques s’accordent pour dire que l’orientation sexuelle masculine est héritée de la mère. De fait, lorsqu’il y a un individu homosexuel mâle dans une famille, il y a de plus grandes chances que d’autres hommes soient homosexuels au sein de la branche maternelle. Partant de là, les chercheurs ont supposé que les gènes responsables de l’orientation sexuelle devaient se trouver préférentiellement sur le chromosome X. « Ils se sont rendu compte qu’au bout de ce chromosome, il y a une zone appelée XQ28 dans laquelle ils ont trouvé des marqueurs génétiques associés à l’homosexualité », relate Jacques Balthazart. « Une autre étude montre que cette zone abrite un gène, MAGE A11, qui contrôle la sensibilité à la testostérone chez l’homme. Ce gène pourrait être modifié chez certains individus et affecter la sensibilité de leur cerveau à la testostérone ». Mais tout cela reste à démontrer.

Les derniers facteurs biologiques influençant l’orientation sexuelle actuellement sous la loupe des scientifiques sont les facteurs épigénétiques. « L’épigénétique c’est la modification soit des histones, constituants protéiques des chromosomes, soit de composants de l’ADN qui change de manière permanente l’expression de certains gènes », explique le chercheur. « On sait que la synthèse des hormones sexuelles et leur action sont contrôlées par des facteurs épigénétiques. De plus, avant que ces hormones n’apparaissent chez l’embryon, des dizaines de gènes sont exprimés de manière différentielle chez le mâle et chez la femelle. Cela ne peut provenir que d’un contrôle génétique à partir des chromosomes sexuels qui induisent la modification de l’expression d’autres gènes par des mécanismes épigénétiques », affirme Jacques Balthazart. Chez l’être humain, au départ, les structures génitales sont indifférenciées au stade embryonnaire précoce. Ce n’est que sous l’action de la testostérone que les organes génitaux externes se forment. « Quand on regarde les taux de testostérone circulant chez les embryons, il y en a plus chez les mâles que chez les femelles mais il y a des superpositions entre ces taux. Les femelles qui en ont le plus sont au niveau des mâles qui en ont le moins », explique le Professeur. Si c’était l’unique chose qui contrôle le développement des structures génitales, il y aurait de nombreux individus qui naitraient avec des structures génitales intersexes or ce n’est pas le cas. « En réalité la testostérone n’agit qu’après avoir été transformée par une enzyme et cette transformation est régulée épigénétiquement de manière différenciée chez les mâles et chez les femelles. Il y a donc plus de testostérone sous forme active (5-alpha dihydrotestostérone) chez les mâles, indépendamment du taux de testostérone ». Ceci explique pourquoi malgré des taux de testostérone qui se chevauchent, on observe presque dans tous les cas une différence dans les structures génitales. Concernant la question de l’influence de l’épigénétique sur l’orientation sexuelle, des chercheurs américains ont récemment développé un modèle mathématique permettant d’analyser la contribution du phénomène épigénétique sur l’orientation sexuelle des mâles et des femelles. « Ce modèle pourrait permettre d’expliquer en partie les déviations qui peuvent se produire chez certains individus ».

Aucune preuve formelle mais de nombreux arguments

Enfin, un dernier facteur connu à ce stade contribue à l’explication de l’homosexualité masculine : le nombre de frères plus âgés nés de la même mère. « Plus une femme a d’enfants de sexe masculin, plus grande est la probabilité que les garçons qui naissent ensuite soient homosexuels », précise Jacques Balthazart. « Cette probabilité augmente de 33% par garçon né de la même mère. Ce sont des chercheurs canadiens qui ont mis ça en évidence. Ici aussi on a d’abord suggéré que c’était une question d’environnement familial mais les données accumulées à partir de 25.000 hommes homosexuels permettent d’écarter cet argument ». L’hypothèse la plus probable qui permettrait d’expliquer cet effet des frères plus âgés est que la mère développe des anticorps contre une protéine produite par les foetus mâles. Ces anticorps modifieraient le développement et donc la structure du cerveau de ces bébés. « Et l’effet de ces anticorps augmenterait au fur et à mesure des grossesses successives d’embryons masculins », poursuit le chercheur.

En conclusion, des tas d’études montrent une influence hormonale, génétique et épigénétique sur l’orientation sexuelle. Aucune n’explique à elle seule à 100% l’homosexualité et elles sont chacunes séparément démontables. « Mais lorsqu’on regarde l’ensemble de ces études, elles constituent un faisceau d’arguments qui suggère que la biologie a une grosse influence sur l’orientation sexuelle et donc l’homosexualité », affirme Jacques Balthazart. « On imagine très mal que, d’un point évolutif, l’orientation sexuelle qui est cruciale pour la survie de l’espèce, puisse passer d’un contrôle biologique chez l’animal à un contrôle strictement éducationnel chez l’homme », continue le spécialiste. « De plus, l’homosexualité est présente dans toutes les sociétés humaines avec grosso modo la même fréquence.
Les société plus tolérantes envers l’homosexualité ne comptent pas plus de personnes homosexuelles ».  

Face aux arguments suggérant l’influence de la biologie sur l’orientation sexuelle, il y a deux grands types de réactions comme a pu le constater Jacques Balthazart. « Pour certaines personnes, c’est un soulagement de pouvoir expliquer leur orientation d’un point de vue biologique. Cela permet de déculpabiliser les parents ou l’individu concerné par rapport à la situation. Souvent l’homosexualité est mieux acceptée lorsqu’on découvre que la biologie tient un rôle majeur dans cette orientation sexuelle », explique le scientifique. D’autres personnes pourtant ne veulent pas entendre parler d’explications biologiques. « Soit parce qu’elles préfèrent assumer l’idée que c’est un choix délibéré, soit parce que cela leur pose un problème que les choses soient abordées sous un aspect médical ». La question de l’origine de l’homosexualité est complexe et sensible. Les avancées scientifiques permettent d’apporter certaines réponses mais n’ont pas encore apporté de preuve formelle. Et si cette preuve arrive un jour, mettra-t-elle fin aux multiples débats autour de l’homosexualité ? Rien n’est moins sûr…

FIG1 Orientation sexuelle

(1) Balthazart J. 2016 Sex differences in partner preferences in humans and animals. Phil. Trans. R. Soc. B 371: 20150118. http://dx.doi.org/10.1098/rstb.2015.0118


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