Fort de ses recherches et lectures en matière d’influence de la biologie sur l’orientation sexuelle, Jacques Balthazart résume dans un article scientifique (1) les connaissances à ce sujet. Il y décrit ce qui est connu sur base de modèles animaux ainsi que ce que l’on sait actuellement de l’influence des hormones, de la génétique et de l’épigénétique sur l’orientation sexuelle chez l’être humain.
Le livre de Jacques Balthazart a fait grand bruit à sa sortie en 2011 et ne cesse de faire parler de lui depuis lors. Il faut dire que « La biologie de l’homosexualité : on naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être » (lire l’article Naît-on homosexuel ?) a le mérite d’être clair sur le message du chercheur qui ne plait pas à tout le monde. Jacques Balthazart, directeur émérite du groupe de recherche Neuroendocrinologie du comportement du GIGA de l’Université de Liège, étudie la question depuis de très nombreuses années, à la fois sur des modèles animaux dans son laboratoire et dans la littérature. « Une des différences la plus marquée qui existe dans le comportement sexuel de l’homme et de la femme c’est l’orientation sexuelle : la grande majorité des femmes est intéressée par des hommes et la grande majorité des hommes est attirée par des femmes », explique Jacques Balthazart. « C’est qu’il y a donc de grosses différences entre les deux sexes à ce niveau là, à l’exception d’une petite partie de le population, entre 2 et 10%, qui est homosexuelle et donc intéressée par des partenaires du même sexe ». Frappé par le fait que l’on continue d’attribuer cette différence sexuelle au fruit de l’éducation ou d’un choix délibéré, le scientifique a eu envie de coucher sur papier, de manière accessible à tous, les connaissances actuelles sur la biologie de l’homosexualité. « On entend régulièrement que c’est le résultat d’un rôle défaillant de la mère, de l’absence d’un père, d’un complexe d’Oedipe mal résolu etc. Mais à côté de cela, il y a des milliers d’articles scientifiques qui montrent une influence soit des hormones précoces, soit de la génétique soit même de l’épigénétique », poursuit Jacques Balthazart.
Les hormones embryonnaires au cœur de l’influence
Dans le cadre d’un volume spécial de Philosophical Transactions of the Royal Society B (1) sur les multiples origines des différences sexuelles dans le cerveau, la coordinatrice de ce volume a demandé à Jacques Balthazart de réaliser une revue de littérature sur les facteurs biologiques influençant l’orientation sexuelle. « Dans cet article j’explique ce qu’on sait chez l’animal et qui pourrait avoir un impact chez l’être humain, ainsi que ce qu’on sait chez l’être humain », indique le scientifique.
Au sein de son laboratoire, Jacques Balthazart étudie comment les hormones sexuelles mâle (testostérone) et femelle (oestradiol) agissent sur le cerveau pour contrôler le comportement sexuel. Pour cela, le chercheur et son équipe ont utilisé divers modèles animaux tels que la caille, le canari, le rat ou la souris. « On s’est rendu compte que les hormones agissent pendant la vie très précoce, c’est-à-dire in utéro/ovo ou pendant les premiers jours de vie, pour définir de façon irréversible la façon dont les mâles et les femelles réagiront aux hormones sexuelles à l’âge adulte. C’est ce qu’on appelle les effets organisateurs des hormones sur le cerveau », explique le scientifique. Les hormones vont ainsi induire la structure du cerveau de sorte qu’il soit organisé pour avoir des comportements sexuels plutôt mâle ou plutôt femelle. Grâce à de multiples expériences, les chercheurs ont pu démontrer qu’il est possible d’inverser à volonté l’orientation sexuelle d’animaux tels que le rat en manipulant les hormones sexuelles au moment de la naissance ou un peu avant. Les femelles montrent alors des comportement sexuels mâles et les mâles présentent des comportement sexuels femelles lorsqu’ils sont en âge de se reproduire.
A l’ouest des Etats-Unis, il existe un modèle animal bien connu pour étudier l’homosexualité. Il s’agit d’une population de mouton au sein de laquelle on observe que 8 à 10% des béliers sont strictement homosexuels. « Cela a été mis au jour suite à des problèmes de fertilité chez ces moutons » précise Jacques Balthazart. « Les recherches sur cette population de moutons montrent que les béliers homosexuels ne présentent pas de problèmes hormonaux mais que leur noyau sexuel dimorphique - responsable du comportement sexuel et situé dans l’aire préoptique du cerveau - est de plus petite taille que chez les autres mâles mais de taille comparable à celui des femelles ». Or la taille de ce noyau est régulée essentiellement par les hormones embryonnaires…Si l’embryon est exposé à un niveau de testostérone élevé, il développera un noyau de taille mâle. S’il y a peu de testostérone à ce stade du développement, la taille de son noyau sexuel dimorphique sera réduite comme chez les femelles.