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La lumière contre le cancer

27/01/2012

La thérapie photodynamique ou PDT (PhotoDynamicTherapy) utilise un agent photosensibilisant, la lumière et l'oxygène pour détruire les cellules cancéreuses. Le Professeur Jacques Piette travaille depuis de nombreuses années sur les molécules photosensibilisantes et les mécanismes cellulaires mis en œuvre lors de la PDT. Avec un consortium international, il a rédigé un article récent (1) qui fait le point sur cette méthode de traitement en oncologie.

Lumière rougeEn quoi la lumière peut-elle interagir avec notre organisme? Un premier exemple d'interaction peut être fourni par certains médicaments et substances chimiques, dits photosensibilisants ou photosensibilisateurs (PS), qui ont pour effet secondaire de s'activer en présence de la lumière et de provoquer des dégâts cellulaires qui se traduisent par des éruptions cutanées, des brûlures, voire des nécroses. Pour limiter ces risques, il convient de se protéger de la lumière le temps du traitement médicamenteux.

Autre exemple: des molécules issues du métabolisme cellulaire sont également sensibles à certaines longueurs d'onde de la lumière. C'est le cas des porphyrines, molécules que l'on retrouve dans l'hémoglobine qui assure le transport de l'oxygène et du CO2 ou dans les cytochromes impliquées dans la respiration cellulaire. L'absorption de certaines longueurs d'onde de la lumière peut exciter les porphyrines et déclencher une succession de réactions biologiques. Heureusement les cellules possèdent différents mécanismes de défense et de réparation permettant de limiter ces dégâts.

Les cellules cancéreuses, pour des raisons diverses, liées entre autre à leur prolifération et leur métabolisme anormal, accumulent les porphyrines tandis que les cellules saines les éliminent rapidement.  « De là est venue l'idée qu'en administrant un agent photosensibilisant procurant une certaine sélectivité vis-à-vis des cellules cancéreuses, il serait ensuite possible, en les éclairant avec une longueur d'onde appropriée, de les détruire sans léser les tissus sains  : c'est le principe de la thérapie photodynamique ! » résume le Professeur Jacques Piette, directeur de recherches FRS-FNRS et directeur du GIGA-Research à l'Université de Liège. C'est ainsi que dans les années 1970, des recherches aboutissent à l'éradication totale de tumeurs chez la souris, sans  effets secondaires, par action de dérivés de l'hématoporphyrine et de la lumière rouge. Depuis, la thérapie photodynamique a fait l'objet de nombreuses recherches et d'essais cliniques confirmant son intérêt dans le cadre de la lutte contre le cancer.

Le protocole est peu agressif et relativement simple. Un photosensibilisateur, inactif tant qu'il n'est pas éclairé, est administré soit par injection dans la tumeur dans les cas des cancers superficiels ou dans la circulation sanguine pour les plus profonds, soit appliqué localement comme dans le cas des cancers de la peau.  Après un certain temps, appelé intervalle drogue-lumière, la tumeur a accumulé une grande quantité de PS – elle est devenue photosensible – tandis que les tissus sains l'ont éliminé en majeure partie. Le médecin ensuite applique une lumière rouge sur la tumeur en l'éclairant quelques minutes par illumination directe dans le cas des cancers superficiels ou à l'aide d'un faisceau laser par endoscopie pour les cancers plus profonds. Les effets secondaires sont limités : tout au plus une douleur localisée ou une photosensibilité résiduelle pendant quelques jours durant lesquels il faut éviter de s'exposer à la lumière solaire.

Photosensibilisateur et lumière rouge

Les PS de première génération étaient des porphyrines dont la sélectivité pour les cellules cancéreuses était assez faible. Pour limiter le risque de lésion des tissus sains autour des tissus cancéreux traités, les chercheurs ont  développé des PS possédant une plus grande affinité pour les cellules cancéreuses, tout en étant non toxiques et rapidement éliminés par les cellules normales. Ce sont, pour la plupart, des dérivés des porphyrines, des chlorines, des bactériochlorines ou des phthalocyanines.

pénétration lumièrepeau

Mais il est aussi possible d'induire une accumulation importante de porphyrine endogène dans les cellules cancéreuses à l'aide de l'acide 5-aminolévulinique (5-ALA). « Dans une cellule normale, explique le Professeur Piette, lors de différents processus enzymatiques, cet acide aminé est converti en protoporphyrine IX puis, grâce à la ferrochelatase, en hème qui sera incorporé dans l'hémoglobine. Or cette enzyme est inhibée ou très faiblement exprimée dans la plupart des cellules cancéreuses. Dès lors, si ces dernières sont mises en contact avec de la 5-ALA, elles vont accumuler de la protoporphyrine IX, photosensible, ce qui permettra de tuer les cellules cancéreuses par illumination avec de la lumière rouge ».

Pourquoi la lumière rouge ? C'est la seule capable de pénétrer profondément les tissus. En effet, la majorité des UVC et -B sont absorbés par la couche cornée de la peau. Le rayonnement UV-A et la lumière visible traversent l'épiderme, mais sont en partie arrêtés par l'hémoglobine des cellules sanguines et la mélanine responsable de la pigmentation de la peau. Finalement, seuls le rouge et l'infrarouge traversent l'épiderme et le derme pour atteindre l'hypoderme, mais les infrarouges sont absorbés en grande partie par l'eau. La gamme spectrale permettant le traitement à la lumière des tissus malades est donc située dans le rouge.

L'oxygène, agent toxique

Concrètement, le PS présent dans les cellules cancéreuses absorbe cette lumière rouge, devient excité et transmet l'énergie à l'oxygène moléculaire O2. Il s'en suit une cascade de réactions au sein des cellules aboutissant à la formation d'espèces réactives de l'oxygène. L’espèce réactive dérivée de l’oxygène qui est formé par transfert d’énergie est l'oxygène singulet 1O2. Ce dernier a une courte durée de vie, mais est très destructeur pour les cellules. Il réagit avec les acides aminés, oxyde les lipides, altère les protéines, les mitochondries ou le noyau cellulaire et provoque des dommages irréversibles de l'ADN. C'est lui le véritable agent cytotoxique de la PDT.  Ces réactions photodynamiques provoquent la nécrose des tissus, l'apoptose et l'autophagie des cellules cancéreuses. Elles ont également des effets indirects qui augmentent l'efficacité du traitement comme la destruction de la vascularisation tumorale et l’induction de réactions inflammatoires et immunitaires.

De leur côté, les cellules cancéreuses ont des mécanismes de protection cellulaire pour limiter les effets cytotoxiques de la PDT. En essayant de comprendre ces mécanismes, le laboratoire de virologie et d’immunologie du GIGA-R a mis en évidence le rôle joué par plusieurs enzymes qui contrôlent ces mécanismes de défenses cellulaires. En inhibant ces enzymes, il est donc possible de priver les cellules cancéreuses de leurs défenses. « Les résultats obtenus sur les glioblastomes, qui font partie des tumeurs du cerveau les plus agressives, montre que l'inhibition de certaines enzymes clés augmente très significativement la sensibilité de la tumeur à la PDT. », s'enthousiasme Jacques Piette.

PDTprincipe

Applications thérapeutiques

Face à la chirurgie, à la radiothérapie et à la chimiothérapie, la PDT peut sembler miraculeuse. Elle ne permet cependant que de traiter des tumeurs de petits volumes et facilement accessibles, par exemple des tumeurs de la peau, de la vessie ou de l’œsophage ou encore du poumon, de l'estomac ou du col de l'utérus. Pour des cancers à des stades plus avancés ou plus difficiles à atteindre, la PDT peut être utilisée en complément des protocoles classiques, en particulier si ceux-ci se révèlent insuffisamment efficaces ou provoquent des résistances. « A l'heure actuelle, il y a des traitements efficaces contre de nombreux cancers. Cependant, certains d'entre eux doivent être abandonnés, parce que les tumeurs deviennent résistantes à la chimiothérapie ou à la radiothérapie. L'un des avantages majeurs de la PDT, c'est qu'elle n’induit pas de résistances. Elle permet de réduire le volume de la tumeur et d'améliorer le pronostic vital du patient. Elle peut donc être utilisée de manière judicieuse pour les traitements qui sont en échec.», précise Jacques Piette.

La PDT peut également être utilisée pour diagnostiquer les tumeurs, ce qu'on appelle un « photodiagnostic ». Excité par de la lumière bleue, le PS émet une fluorescence rouge, ce qui permet non seulement de localiser des tumeurs avec une grande précision, mais aussi de guider le chirurgien pendant une ablation de la tumeur (fluorescent guided resection). « Les chirurgiens oncologues utilisent la PDT pour localiser la tumeur et retirer le maximum de tissus malades. Après la chirurgie, s'il y a encore des cellules fluorescentes, ils changent la longueur d’onde (du bleu vers le rouge) et augmentent la puissance du rayon laser pour éradiquer les cellules tumorales réstantes par thérapie photodynamique et obtenir ainsi  une amélioration de l'effet de la dissection de la tumeur. », décrit le chercheur.

Malgré ces résultats très encourageants et les nombreuses recherches dont elle fait toujours l'objet, la PDT est encore sous-utilisée, sauf en dermatologie (certaines tumeurs de la peau), pour les tumeurs de la vessie ou pour aider au diagnostic des tumeurs du cerveau. Trois centres, en Angleterre, en Allemagne et en France, utilisent la PDT de manière répétée dans des situations de tumeurs multi-résistantes à différents traitements classiques. Nul doute qu'il ne s'agit que d'une question de temps, de plus en plus de centres universitaires et d’hôpitaux s'intéressent à la thérapie photodynamique, d'autant plus qu'elle a aussi montré son efficacité dans le cadre de la lutte contre les infections bactériennes, multirésistantes aux antibiotiques.

(1) Photodynamic therapy of cancer: an update.  A Cancer Journal for Clinicians, Vol 61, 2011


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