Les entreprises ne s’y sont pas encore mises, mais, techniquement, rien ne les empêcherait de fabriquer du plastique à partir de betteraves ou de froment. Génial pour l’environnement ? Pas de réjouissance hâtive. Une étude de Sandra Belboom, ingénieure de recherche à l’Université de Liège, démontre que le gain au niveau des émissions de CO2 est bel et bien important comparé à l’utilisation de matières fossiles. Mais ce procédé engendrerait également des effets secondaires non négligeables, comme une augmentation de l’acidification et de l’eutrophisation.
Entre 2008 et 2012, le pétrole était sur toutes les lèvres. Son cours frôlait les sommets, le secteur de la finance s’affolait, les automobilistes se rendant à la pompe se lamentaient. Vite, il fallait une alternative à l’or noir et à tous ses dérivés ! Les biocarburants étaient les sauveurs tout trouvés. Les pouvoirs publics débloquèrent des fonds pour faire avancer la recherche, des études furent lancées… Puis au fur et à mesure que le pétrole en revenait à des prix plus décents, les biocarburants retombaient dans l’anonymat. L’emballement était retombé. Pourtant, bien loin des effets de mode, des scientifiques poursuivirent leurs recherches. Comme Sandra Belboom, ingénieure de recherches dans l’unité de recherches de Génie Chimique (Chemical Engineering) de l’Université de Liège.
Lorsque cette ingénieure civile chimiste avait entamé sa thèse, en 2009, sa thématique n’aurait pas pu coller davantage à l’actualité (lire Bioéthanol, éviter de comparer des pommes et des poires). Quelle était la meilleure utilisation du bioéthanol, ce biocarburant pouvant être produit à partir de cannes à sucre, de betteraves ou de froment et qui peut remplacer l’essence (en tout ou en partie) dans les réservoirs de nos véhicules ? « Aujourd’hui, vu le cours actuel du baril, il faut bien constater que la réduction des combustibles fossiles n’est plus la priorité, concède-t-elle. Mais les défis en matière de CO2 restent importants. Se diriger vers des produits biobasés reste l’une des possibilités pour réduire les émissions de dioxyde de carbone »
Pour cette nouvelle recherche, dont les résultats ont été publiés en janvier dernier (1), Sandra Belboom a donc continué à investiguer les propriétés du bioéthanol. Non plus destiné à devenir un carburant, mais bien à servir dans la production du plastique. C’est la magie de la chimie : si l’on ôte une molécule d’eau de l’éthanol, on obtient de l’éthylène, qui est à la base de la fabrication de bien des produits, dont le polyéthylène, le plastique qui fait partie de nos vies quotidiennes. Cette fois, la chercheuse a laissé tomber la canne à sucre pour se concentrer sur la betterave et le froment. Question de géographie : les deux derniers poussent chez nous ! Les spécialistes belges en connaissent donc toutes les spécificités. Un aspect important dans le cadre de l’approche privilégiée par l’ingénieure, à savoir l’analyse du cycle de vie. « Il s’agit d’une méthode qui va pouvoir évaluer les impacts environnementaux potentiels d’un produit en tenant compte de tout son cycle de vie. De l’extraction des matières premières jusqu’à l’incinération, détaille-t-elle. Cette vue d’ensemble permet de mettre au jour les éventuels transferts de pollution ».
Et de citer l’exemple du bioéthanol utilisé en tant que biocarburant. Au premier abord, il semble bien sous tous rapports. Comme le carbone qu’il contient est issu des plantes, le CO2 relargué lors de sa combustion est neutre, puisqu’au départ ce CO2 a été capté par les plantes. Par contre, pour les produire, il aura fallu déverser des engrais sur champ, utiliser des tracteurs, mettre au point des techniques de transformation… « Si on ne regarde pas tous les aspects, on pourrait se dire que le biocarburant est magnifique et qu’il pourrait remplacer l’essence ! Mais une analyse du cycle de vie met en évidence que les processus de production pourraient contrebalancer les gains lors de l’utilisation. L’avantage de cette méthode, ce qu’elle ne tient pas seulement compte du CO2, donc des conséquences pour le climat, mais aussi d’autres types d’impacts environnementaux ».
Quid du bio-éthylène ? Élaborer du plastique à partir de betterave et de froment réduit-il bel et bien les émissions de dioxyde de carbone ? Faut-il prendre en considération d’autres types de pollution ? Si le gain environnemental est faible, cela aurait-il du sens d’importer des produits venant de l’autre bout du monde ? Pour répondre à ces questions, Sandra Belboom a travaillé en quatre étapes. D’abord, définir son objet d’étude et les frontières du système (en l’occurrence ici, depuis la culture jusqu’à l’incinération), pour ensuite récolter les données nécessaires afin de réaliser les bilans de matière et d’énergie à chaque étape, d’obtenir les impacts environnementaux et d’interpréter les résultats. La collecte d’informations fut la phase la plus longue. D’où l’intérêt de connaître dans le détail tous les aspects liés aux cultures des betteraves et du froment. Plutôt que d’utiliser des données génériques, Sandra Belboom a voulu coller au plus près de la réalité belge. Elle a collaboré avec le Professeur Bernard Bodson (Gembloux Agro-bio Tech). Elle a également sollicité l’usine BioWanze (près de Huy), le plus gros producteur belge de bioéthanol, à la pointe en matière d’exploitation du froment, et s’est basée sur la littérature pour étudier la betterave. Enfin, des contacts ont été pris avec les producteurs de plastique pour identifier les quantités d’énergie nécessaires à la polymérisation, les rendements, etc. « Bref, on a pris différentes briques pour les assembler », résume-t-elle. Un travail qui, à sa connaissance, n’avait jamais été effectué. Du moins pour la betterave et le froment, la canne à sucre ayant déjà été abondamment étudiée en Brésil.