Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

Exploiter notre mémoire contre la dépression
14/03/2016

Entraînement à la spécificité

Souvenir MariageAurélie Wagener relate que l'équipe de Filip Raes, de la Katholieke Universiteit Leuven, a entraîné des sujets dépressifs au rappel de souvenirs spécifiques(5). En découlèrent non seulement une plus grande spécificité des souvenirs rapportés, mais également une diminution significative des ruminations mentales et de l'évitement cognitif ainsi qu'une amélioration des capacités de résolution de problèmes. Si, face à une situation problématique, le patient accède à un souvenir spécifique de la manière dont il a géré une situation similaire dans le passé, il pourra réutiliser la stratégie précédemment mise en œuvre. La constance qu'il percevra dans sa façon d'agir renforcera en outre son sentiment de continuité de soi.

De surcroît, des travaux(6) conduits par Hamid Taher Neshat-Doost, de l'Université d'Ispahan, en Iran, ont mis en évidence qu'un « entraînement à la spécificité » induit une amélioration de l'humeur dépressive. « Certes, cette étude a porté sur des souvenirs autobiographiques "classiques", mais on peut faire l'hypothèse qu'un effet positif similaire pourrait être obtenu avec des souvenirs définissant le soi », estime Aurélie Wagener. A priori, la démarche d'entraînement à la spécificité balise donc une voie thérapeutique prometteuse. « Nous pouvons également imaginer que la récupération d'un souvenir définissant le soi spécifique pourrait favoriser et renforcer un sentiment de continuité de soi, puisque la personne n'évoquerait pas de caractéristique abstraite et floue la concernant, lit-on dans l'article d'Acta Psychiatrica Belgica. La spécificité pourrait dès lors lui permettre d'avoir une vision claire et concrète de qui elle est et des raisons pour lesquelles elle est devenue cette personne. De plus, puisque le biais de surgénéralité est un facteur de vulnérabilité à la rechute dépressive, le rappel de souvenirs définissant le soi spécifiques pourrait également servir de stratégie de prévention de la rechute. »

Vers un soi unifié

À côté de la spécificité, une autre dimension à exploiter est le raisonnement autobiographique. De fait, il semble pertinent sur le plan clinique d'entraîner le patient dépressif à attribuer une signification à ses souvenirs, à en tirer une leçon de vie. La génération de souvenirs définissant le soi intégrés à notre histoire, ceux qui nous permettent de dire par exemple « Alors, j'ai compris que... » ou « Depuis lors, j'ai pris conscience que... », est de nature à raffermir le sentiment de continuité de soi et, partant, à favoriser la construction d'un soi unifié, selon la terminologie de certains auteurs.

La dimension émotionnelle est une autre veine à exploiter, mais, en réalité, elle s'inscrit largement dans la continuité de la précédente. « Selon nos travaux, elle est indissociable de l'entraînement au raisonnement autobiographique », fait en effet remarquer Aurélie Wagener. Et d'ajouter : « Notre hypothèse est que la capacité à réfléchir sur un souvenir apaise l'intensité des émotions et pourrait en modifier la valence émotionnelle. » Autrement dit, le développement de capacités de raisonnement autobiographique semble une condition sine qua non au développement de capacités de rédemption.

Par ailleurs, en 2013, Tim Dalgleish, de l'Université de Cambridge, a suggéré d'aider les patients dépressifs à se constituer un stock de souvenirs positifs dans lequel ils pourraient puiser instantanément dès qu'ils sentent que leur humeur se dégrade(7). Aux yeux du psychologue britannique, ces patients pourraient même débuter leurs journées en rappelant systématiquement un tel souvenir dans le but de tuer dans l'œuf leurs ruminations matinales. « De plus, chez les personnes euthymiques, ce stock de souvenirs positifs pourrait participer à la prévention de la rechute dépressive, dans la mesure où il a été montré qu'elles tirent profit du rappel de souvenirs de ce type », commente Aurélie Wagener.

Les patients dépressifs présentent une détérioration du sentiment de continuité de soi. En psychothérapie, leur permettre de renforcer ce sentiment, de recouvrer une identité plus affirmée, est essentiel pour leur donner les moyens de se projeter dans le futur et donc de redéfinir des buts à atteindre. Intervenir sur les différentes dimensions des souvenirs définissant le soi semble une approche prometteuse mais, pour l'heure, au-delà de l'observation d'une diminution de la symptomatologie dépressive à court terme chez les sujets traités, il est impossible de conclure à un effet bénéfique durable. En cause : la jeunesse de l'approche et l'absence actuelle d'études consistantes sur son impact à long terme.

(5) Raes F., Williams J. & Hermans D., Reducing cognitive vulnerability to depression: A preliminary investigation of Memory Specificity Training (MEST) in inpatients with depressive symptomatology, J Behav Ther Exp Psychiatry, 40, 24-38, 2009.
(6) Neshat-Doost H., Dalgleish T., Yule W., Kalantari M., Ahmadi S., Dyregrov A. & Jobson L., Enhancing Autobiographical Memory Specific Through Cognitive Training: An Intervention for Depression Translated From Basic Science, Clinical Psychological Science, 1(1), 84-92, 2013.
(7) Dalgleish T., Navrady L., Bird E., Hill E., Dunn B. & Golden A., Method-of-Loci as a mnemonic device to facilitate access to self-affirming personal memories for individuals with depression, Clinical Psychological Science, 1, 156-162, 2013.

Page : précédente 1 2 3

 


© 2007 ULi�ge