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Une planète aussi chaude que le soleil

19/01/2012

Le télescope spatial Kepler a dans son collimateur deux petites planètes rocheuses détectées dans un système planétaire autre que le nôtre. Des copies de notre Terre autour de leur soleil ? Pas vraiment puisque les planètes affichent une température de surface de plus de 6000°C et que leur étoile, déjà très évoluée, a expulsé plus de la moitié de sa masse dans le milieu interstellaire. Un enfer qui s’invite dans Nature.

Lancé en mars 2009 de Cap Canaveral, le télescope spatial américain Kepler est en train d’ouvrir de nouveaux horizons à l’astrophysique. Si son principal objectif est la détection d’exoplanètes autour d’étoiles de notre Galaxie, ses résultats dépassent largement cette discipline. Un article qui vient de paraître dans Nature (1) en apporte une preuve supplémentaire, comme nous le commente Valérie Van Grootel, co-auteur de la publication et chercheuse dans le service d’Astrophysique Stellaire et d’Astérosismologie du Département d’Astrophysique, de Géophysique et d’Océanologie de l’Université de Liège.


Plusieurs techniques permettent de mettre en évidence des exoplanètes. Kepler utilise celle dite des transits. Elle est indirecte : le télescope observe en permanence le flux de lumière en provenance d’étoiles situées dans une petite région de la constellation du Cygne, dans l’hémisphère nord. Lorsqu’une planète passe devant une de ces étoiles, la luminosité apparente de cette dernière baisse, avant de retrouver sa valeur normale après le transit.

Certaines configurations géométriques du système étoile-planète-observateur ne donnent cependant pas lieu à des transits... mais même dans ces cas défavorables, l’exoplanète peut être décelable par photométrie. En effet, de la même manière que la quantité de lumière que nous renvoie la lune dépend de sa position relative au soleil et aux observateurs que nous sommes, le rayonnement reçu d’une exoplanète varie en fonction de sa position sur son orbite : quand la planète est quasi devant le disque stellaire, elle nous apparaît comme totalement sombre, tandis que lorsqu’elle est quasi derrière, elle est pleinement éclairée. Ce phénomène induit une modulation dans la luminosité apparente de l’étoile (avec la planète), semblable à celle produite par un transit. Si l’effet est suffisamment important, il est détectable. C’est ainsi que Kepler vient de débusquer une exoplanète tout à fait particulière autour d’une étoile qui l’est tout autant.

Détecter une exoplanète est une chose. La caractériser en est une autre : est-elle grosse comme Jupiter ou petite comme notre Terre ? Gravite-t-elle près de son étoile ou aux confins du système planétaire ? Est-elle gazeuse ou rocheuse ? Caractériser une exoplanète nécessite une connaissance minimale de son étoile. Il y a une sorte de dégénérescence à lever entre les paramètres de l’étoile et ceux de la planète. L’astérosismologie est à ce jour l’unique voie d’accès à la physique à l’oeuvre dans le coeur des étoiles (lire l’article «Voyage au coeur des étoiles»). Cette science est donc l’outil indispensable pour la caractérisation des exoplanètes. De quoi s’agit-il ? La majorité des étoiles vibrent, un peu comme un coeur bat. Ces vibrations à l’intérieur d’une étoile se manifestent en surface par des variations de luminosité dont l’interprétation renferme une mine d’informations sur les réactions nucléaires qui se produisent dans le coeur de l’étoile, sur sa composition chimique, sa masse, etc.

L’astérosismologie est un domaine de l’astrophysique qui existe depuis une vingtaine d’années, mais qui explose depuis deux ou trois ans grâce à  deux satellites en orbite pour le moment et qui lui sont dédiés en partie : CoRoT (COnvection ROtation and planetary Transits) du CNES et Kepler de la Nasa.

Valérie Van Grootel a fait de l’astérosismologie son domaine de recherche. Elle modélise les mécanismes physiques à l’oeuvre dans un type stellaire très évolué et assez rare que sont les étoiles dites de la branche horizontale extrême. Après avoir épuisé son coeur d’hydrogène, une étoile commence la combustion de son hélium dans ses couches intérieures pendant que son enveloppe se dilate considérablement. Cette phase, que notre soleil atteindra dans environ 5 milliards d’années, se traduit en surface par un changement de couleur vers le rouge. Mais rapidement, la géante rouge ainsi formée va se débarrasser de son enveloppe, perdant ainsi une partie impressionnante de sa masse. Il ne subsiste plus que le coeur qui brûle l’hélium et dont le rayon équivaut à 15% de celui du soleil. Les théories d’évolution stellaire parlent alors d’étoile de la branche horizontale extrême. Il s’agit d’étoiles évoluées, assez peu nombreuses et de faibles magnitudes.

Spectre pulsation

À ce jour, Kepler est le télescope de loin le plus approprié pour étudier ces étoiles. L’une des premières observées par Kepler a déjà créé la surprise. «Au fur et à mesure que les données photométriques relatives à cette étoile nous parvenaient de Kepler, raconte Valérie Van Grootel, deux très basses fréquences apparaissaient de plus en plus clairement. Elles étaient beaucoup trop faibles pour correspondre à des fréquences de pulsation de l’étoile. Nous avons alors envisagé toutes les interprétations possibles. La seule plausible postule la présence de deux exoplanètes en orbite autour de ce reste de géante rouge, avec des périodes de 20.750 et 29.650 secondes. Ces planètes font donc le tour de leur étoile en respectivement de 5.76 et 8.23 heures, alors que notre Terre met un an.» Il s’agit des premières exoplanètes découvertes par cette méthode photométrique.

L’observation simultanée de l’étoile et de ses exoplanètes permet de caractériser ces dernières : ce sont des planètes très proches de leur étoile et très petites, typiquement de la taille de la Terre. Mais elles n’ont rien à voir avec notre petite oasis bleue : là-bas, c’est plutôt l’enfer. Jugez plutôt : il règne à leur surface pas moins de 6000°C, autrement dit la même température que sur notre soleil. «Tout cela paraît incroyable, reprend notre chercheuse. Tout part de ces deux petites fréquences apparues dans le spectre de leur étoile, inexplicables autrement que par la présence de corps gravitant autour. À cette température, il ne doit plus rester que du fer et du nickel : les autres éléments doivent s’être évaporés depuis longtemps. Combien de temps ces planètes vont-elles survivre ?» Le destin d’une telle planète pourrait être l’effondrement sur son étoile ou l’évaporation (lire l’article «Drame exoplanétaire»).

Le côté extraordinaire ne s’arrête pas là. Il y a 20 millions d’années (seulement), l’étoile était encore une géante rouge. Ses planètes gravitaient à l’intérieur de l’étoile dont l’enveloppe était très ténue. Depuis, la géante rouge a expulsé son enveloppe, découvrant ses planètes. Cette observation de Kepler pourrait fournir la clé pour comprendre le mécanisme physique à l’oeuvre dans l’éjection de l’enveloppe d’une géante rouge. En effet, la majorité des modèles théoriques font intervenir un compagnon stellaire à la géante rouge. Mais lorsque cette dernière n’est pas en couple, il devient difficile d’expliquer l’expulsion de l’enveloppe. La présence de planètes pourrait pallier le manque de compagnon stellaire. En effet, la planète, attirée par le coeur plus massif de l’étoile, va migrer vers le centre. Par ce mouvement, elle dépose dans l’enveloppe de l’étoile une énergie qui va s’accumuler et contribuer à l’éjection de l’enveloppe. «En fait, nous pensons que les deux petites exoplanètes que nous avons détectées sont en réalité d’anciennes planètes géantes dont les enveloppes gazeuses se seraient évaporées dans la phase d’immersion, en même temps que l’étoile aurait expulsé la sienne, explique Valérie Van Grootel. Il reste un coeur d’étoile avec des coeurs de planètes. Les simulations sont en cours. Mais le scénario semble a priori tenir la route. »

Jusqu’il y a peu, les étoiles de la branche horizontale extrême étaient considérées comme insignifiantes car toutes petites, faibles, et peu nombreuses. Ceux qui les étudiaient n’étaient pas pris au sérieux. Mais Kepler et CoRoT ont fait de ces étoiles des stars... un succès qu’elles partagent avec leurs cadettes -les géantes rouges- elles aussi longtemps délaissées (lire l’article «Des géantes qui en imposent»). Les vents tournent...

Noyau planete geante

(1) S. Charpinet, G. Fontaine, P. Brassard, E.M. Green, V. Van Grootel, S.K. Randall, R. Silvotti, A.S. Baran, R.H. Ostensen, S.D. Kawaler & J.H. Telting, A compact system of small planets around a former red-giant star; Nature, December 2011


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