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La diversité, au-delà des éléments de langage
29/02/2016

L’intégration de la diversité, du reste, ne débouche pas nécessairement sur la diversification mais souvent, au contraire, sur un scénario d’assimilation. « On mesure alors le degré de réussite de la diversité à l’absence de diversité donc au fait que les nouveaux entrants se comportent comme les autres », avance Annie Cornet, pointant ici les ambivalences de la notion d’Intégration, détaillées par Hassan Bousetta, chercheur du Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations (CEDEM) de l’université de Liège, dans le chapitre dédié. Pour Jacques Smits, administrateur délégué de MNEMA ASBL, en charge du projet de la Cité Miroir et directeur du Centre laïque de la Province de Liège, qui donne la réplique à Annie Cornet, la diversité constitue avant tout le cœur d’une « conception humaniste (qui) ne s’impose ni par les lois ni par les règlements » mais par une  « pédagogie constante ». À son sens, la problématique de la diversité sur le marché de l’emploi renvoie en amont aux ambitions normalisatrices de l’école, qu’il accuse d’être un « rouleau compresseur sur les talents ». Pour ce dialogueur, la structuration de l’enseignement belge est d’ailleurs constitutive du problème. « Pointons aussi la ségrégation religieuse avec la division de notre enseignement en réseaux et options philosophiques, qui sépare ainsi les jeunes dès le plus jeune âge, selon les convictions de leurs parents », avance-t-il.

Dialectique de l’individuel et du collectif

Car c’est bel et bien la question de la justice sociale qui est au cœur de l’ouvrage. Définie par le sociologue français François Dubet comme l’objectif de  réduction de « la tension fondamentale, dans les sociétés démocratiques, entre l’affirmation de l’égalité de tous les individus et les inégalités sociales issues des traditions et de la concurrence des intérêts à l’œuvre », elle débouche sur deux modèles : celui de l’égalité des places – qui tend à assurer à chaque individu les mêmes conditions de vie quelle que soit la place sociale qu’il occupe – et celui de l’égalité des chances – qui vise la mobilité sociale de chacun, en fonction d’un principe méritocratique. Reste à savoir quel modèle sous-tend quelles actions – et au service de quelle diversité... Dans le chapitre sur la Discrimination, la sociologue Aude Lejeune,  Chargée de recherche CNRS au CERAPS, Université de Lille et Chercheure associée au CRIS, Université de Liège, rappelle que notre pays s’est doté de deux structures pour lutter contre les discriminations : le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. Mais, explique-t-elle, l’importance prise par ces structures « sous l’injonction directe du droit européen » ne date que des années 2000. Patrick Charlier, dialogueur de ce chapitre et Directeur-adjoint du Centre interfédéral pour l’égalité des chances, insiste quant à lui sur la recherche par son institution de solutions extra-judiciaires pour traiter les faits de discriminations, notamment par le biais d’indemnisations financières. À travers un cas exemplaire, les auteurs soulignent la tension constante entre les revendications individuelles de la personne discriminée, qui attend « réparation », et l’objectif stratégique du Centre, soucieux de réduire les discriminations futures à l’échelle de la collectivité. En conscience ou non, signaler une discrimination apparaît comme étant toujours déjà un acte collectif. Plus loin, dans le chapitre consacré au Racisme, Edouard Delruelle, ancien Directeur-adjoint du Centre, pointe pour sa part les limites de ces législations anti-discrimination mais aussi de la « pédagogie antiraciste » : « les dispositifs antiracistes ciblent les individus, mais ne touchent pas aux relations et aux structures sociales qui rendent possible le racisme », explique le philosophe.

A l’intersection de l’individuel et du collectif, la diversité semble par ailleurs aux prises, aujourd’hui, avec un nouvel « ordre biographique », que détaille Didier Vrancken, sociologue et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme, dans le chapitre consacré à la Vie Sociale. « L’action publique tend désormais à démultiplier les lieux où sont convoqués et écoutés les récits des personnes en vue de l’obtention de prestations sociales. Parler, raconter, produire du récit tend, pour l’usager ou le requérant, à devenir un préalable au déclenchement de l’action publique », analyse-t-il. Qu’advient-il alors de celui qui ne peut mobiliser les « compétences narratives attendues » ? Prolongeant ce raisonnement, Christine Mahy, Secrétaire générale du Réseau Wallon de la lutte contre la Pauvreté, s’indigne dans ce chapitre de la « privation de la vie privée du Peuple d’en bas » tout en s’interrogeant sur la légitimité de l’objectif de « lutte contre la pauvreté » qu’elle incarne pourtant : « Lutter contre « la pauvreté » plutôt que contre « les inégalités » et ce qui les amplifie, cela ne revient-il pas à ignorer, masquer, voire nier le caractère socialement intégré, complexe, des causes et des processus d’appauvrissement ? », demande-t-elle, pointant les appels toujours plus pressants, culpabilisants et souvent improductifs à la responsabilisation individuelle, dans un aveuglement massif aux effets de système. Ce « tournant biographique » influence-t-il par ailleurs les politiques migratoires ? Quels récits doivent aujourd’hui produire les migrants pour légitimer leur parcours ? Cette question est celle que le lecteur se posera plus loin, dans le chapitre sur l’Immigration, où s’exprime François De Smet, Directeur de Myria, le Centre fédéral Migration : « Il est autorisé de se demander : est-il réellement moins moralement admissible de vouloir sauver sa vie parce qu’on vit dans la misère que de vouloir la sauver parce qu’on vit sous une dictature ? Un débat ardu sur l’échelle des valeurs humanistes s’annonce, tôt ou tard, dans le débat migratoire. »

Dialogue Diversite

Ancrer le débat

Par le choix des intervenants et les exemples qu’eux-mêmes choisissent d’étudier, « Dialogues sur la diversité » relève par ailleurs le défi de traiter l’ensemble de ces notions dans leur spécificité nationale. « Nous avons un réservoir très intéressant dans nos réalités et c’est pourquoi nous avons fait le choix de faire appel uniquement à des experts belges, d’autant que notre conception de la laïcité – très différente du modèle français –, mais aussi la pilarisation et la question linguistique structurent profondément ces débats », explique Rachel Brahy. Dans son chapitre sur l’Ethnicité, Marco Martinello, directeur du Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations de l’Université de Liège, étudie par exemple le cas de deux « débats identitaires » liégeois issus de la culture hip-hop. Nous ne sommes plus seulement en Belgique ici, ni même à Liège, mais à Herstal, à Seraing. Une attention aux  réalités locales qui permet de saisir à la fois les points de convergences mais aussi les spécificités des problématiques relatives à la diversité, comme un contre-pied aux généralisations productrices de stéréotypes. Un ancrage local qui devrait également s’exprimer dans l’accompagnement de l’ouvrage, avec l’organisation de plusieurs tables-rondes – suivies d’une pièce de théâtre – en collaboration avec différentes associations liégeoises. « Chaque concept va par ailleurs donner lieu à des petites capsules vidéo, où seront proposées au moins deux définitions de ce concept. Nous voulons faire vivre cet ouvrage, l’accompagner pour rendre ces expertises accessibles au plus grand nombre », conclut Rachel Brahy.

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