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Alcool et cinéma
17/02/2016

Petite précision: une majorité des films cités dans l'ouvrage relève du cinéma américain. La raison est double : d'une part, ce cinéma est depuis des décennies le plus accessible et, disons-le, le plus regardé par une grande majorité de spectateurs. D'autre part, l'alcool a participé à une certaine histoire de l'Amérique (des saloons au Far West à la Prohibition en passant par des événements comme le Spring Break) et cette dernière n'a jamais eu beaucoup de cas de conscience à représenter l'alcool au travers de son propre cinéma, contrairement à d'autres cinématographies.

Les multiples facettes de l'alcool

Le livre s'ouvre sur un exemple hautement célèbre. Dans le E.T. de Steven Spielberg, un montage alterné souligne le lien mystérieux entre le jeune Elliott et l'extraterrestre au travers d'une séquence comique où, piqué par la curiosité, E.T. décide de découvrir le goût - et par extension les effets - de la bière trouvée dans le frigo. Une séquence drôle, certes, mais surtout symptomatique de la particularité de l'alcool au cinéma : plus que tout autre chose, les premières expériences de l'ivresse chez le spectateur se font au cinéma dès son plus jeune âge. Difficile d'oublier également la séquence à la fois éthylique et psychédélique de Dumbo qui a marqué plus d'une génération de spectateurs par son audace formelle. L'inverse n'est pas moins négligeable : les cinéphiles se souviendront sans doute du film de Billy Wilder The Lost Week-end et de sa séquence du delirium tremens du personnage de Ray Milland, séquence traumatisante qui sera d'ailleurs reprise à quelques nuances près par Jean-Pierre Melville dans Le cercle rouge avec Yves Montand. Parce qu'elles sont ancrées dans une certaine réalité, ces séquences oniriques jettent un trouble chez le spectateur, et non content d'offrir l'expérimentation de sensations finalement à la portée de tous, elles invoquent une mise en scène complexe. Dick Tomasovic : "L'idée n'était pas d'écrire sur les effets de la représentation de l'alcool au cinéma sur le spectateur, cela relève davantage de la sociologie. Pour ma part, je me suis intéressé à des questions purement cinématographiques (que fait l’alcool au cinéma ?). Cependant, le cinéma joue de stéréotypes qui reflètent nos rapports ambivalents à l'alcool, empreints selon les moments et les situations d’allégresse ou de pathétisme."

Dumbo-Felix-the-cat

Si de nombreux films sont traversés par le motif de l'alcool, ce dernier peut revêtir bon nombre de casquettes au demeurant. Avant tout, l'alcool caractérise régulièrement les personnages qui le consomment, du détective hard-boiled et son whisky à l'archétype de l'écrivain porté sur la boisson. Le cinéma a su faire par ailleurs de l'alcoolique une de ses plus belles figures pathétiques, personnage autodestructeur dont la chute aux enfers ressemble autant à un châtiment qu'à un purgatoire. Si le cinéma américain a fait de l'écrivain le modèle absolu en la matière, il convient de revoir Un singe en hiver d'Henri Verneuil, où le pathétique confine au sublime quand jeune et vieille génération se croisent autour de la bouteille. L'alcool, néanmoins, a su conférer une dimension telle à certains personnages qu'il en est devenu le prolongement indiscutable : c'est le James Bond amateur de vodka-martini ou, plus récemment, l'impayable Big Lebowski et son russe blanc (mélange de vodka et de liqueur de café). Enfin, l'alcool caractérise aussi les groupes sociaux : c'est l'amitié virile de Very Bad Trip ou vieillissante du Dernier pub avant la fin du monde, la paix avec l'ennemi dans Les Tontons flingueurs, les fraternités de Social Network, voire la vie sociale d’un village tout entier dans l'inénarrable Whisky à gogo.

"Filmer l'alcool, c'est aussi vouloir filmer l'ivresse. Or, cette sensation si complexe et si particulière est difficilement transmissible. Le cinéma ne peut que la suggérer ou la traduire maladroitement en signaux audiovisuels. Chaque film (...) trouve ses propres solutions à la restitution de l'état d'ébriété d'un ou plusieurs de ses personnages." écrit l'auteur. Il y distingue deux voies pour y parvenir : le profilmique (via le jeu du comédien) et la mise en scène elle-même (via les cadrages, les mouvements de caméra, les flous et toute autre astuce d'opérateur). A noter que cette dernière voie n'est pas en reste au sein de l'animation, qu'elle soit cartoonesque ou disneyenne, car les dessins animés n'ont jamais manqué une occasion d'illustrer l'ébriété de leurs personnages tant dans leurs attitudes que dans leurs perceptions de leurs mondes.

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