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Modéliser le comportement des roches qui vont accueillir les déchets nucléaires
19/02/2016

Des expériences, menées notamment sur le site de l’ANDRA, avaient montré que, lors du creusement, des zones endommagées et des zones de fractures se créent autour des galeries. Ces zones prennent la forme d’anneaux elliptiques situés aussi bien verticalement qu’horizontalement par rapport à la direction de creusement. Ce qui était inexpliqué. La thèse de Benoît Pardoen a permis de modéliser l’apparition de ces phénomènes, tant les ellipses verticales (les plus simples à modéliser) que les horizontales. « Cela ne va pas influencer le creusement, conclut le jeune chercheur, mais cela permet d’expliquer ce qui se passe et d’apprécier, suivant la manière dont on creuse, les risques d’interactions entre zones de fractures et donc l’augmentation de la perméabilité de la roche autour de la galerie. »

Benoît Pardoen s’est donc également intéressé au couplage hydromécanique, c’est-à-dire l’influence de la fracturation sur la perméabilité. S’il y a fragmentation de la roche, il y a augmentation de la perméabilité et donc création de chemins préférentiels pour le transfert des radionucléides à travers la roche. Ici aussi, l’objectif est de reproduire des mesures à grande échelle. La modélisation permet en effet d’aborder des échelles de temps qui sont impossibles en laboratoires : dans les sites d’essais comme ceux de Bure ou de Mol, des capteurs enregistrent certes une série de paramètres, mais cela au mieux depuis quelques décennies seulement. Ce qui, en temps géologique, est très bref. « Alors que nous, nous faisons parfois des calculs sur 100.000 ans », précise Benoît Pardoen.Des milliers d’années au cours desquelles bien des phénomènes vont se produire. «La désintégration radioactive produit de la chaleur qui va se dissiper pendant des milliers d’années, explique Robert Charlier. Si on veut savoir comment cette chaleur va être dispersée et va affecter le massif rocheux, on doit pouvoir construire des modèles sur des durées de quelques milliers d’année. Les déchets perdent leur toxicité au bout de plusieurs dizaines de milliers d’années, jusqu’à 100.000 ans. Autre questionnement : les déchets sont emballés dans des fûts en acier inoxydable… mais tout de même oxydable à long terme ! Dans mille ans, l’acier sera corrodé, ce qui a nécessité de l’oxygène ! On est dans un milieu sans air, qui sera saturé en eau dans mille ans. Donc l’acier va prendre l’oxygène de l’eau pour s’oxyder et va libérer l’hydrogène ; il y aura donc production de gaz qui peuvent monter en pression. Il faut donc savoir comment ces gaz vont pouvoir migrer… » Ce que permet la thèse de Benoît.

« Ce qui, indique le Professeur Charlier, renvoie à une autre problématique : les bouchons censés fermer les galeries et calfeutrer les anfractuosités. Si on met un bouchon imperméable au gaz, la galerie devient une sorte de bouteille de champagne et ça peut poser problème. Donc, le bouchon doit-il empêcher le gaz de sortir ou pas ? Cette question va certainement à l’encontre d’une idée préconçue qui a longtemps été la norme : rien ne doit jamais s’échapper de ces galeries ! Mais avec le temps, la réflexion a évolué et l’idée de récupérabilité s’est aujourd’hui imposée. Peut-être que dans 50 ans, les connaissances ayant évolué, nous serons capables de rendre les déchets inertes, non toxiques. Il faudra alors pouvoir aller les récupérer ! Il faut donc refermer les galeries de la manière la plus imperméable possible mais en même temps, on veut pouvoir les rouvrir sans qu’elles ne s’effondrent. C’est un enjeu important et nos travaux de modélisation aident à prendre les décisions qui s’imposent. »

La thèse soutenue par Benoît Pardoen aborde aussi une autre problématique importante, celle de la ventilation nécessaire pendant les travaux de creusement puis pendant tout le temps d’entreposage des déchets, avant de fermer les galeries. Cette ventilation assèche la roche mais une fois les galeries refermées, il y aura à nouveau saturation en eau.  Comment se comporte l’argile face à ce double mouvement de désaturation, resaturation ?  Pour le comprendre, il était essentiel de bien modéliser le comportement hydraulique de la roche

Les blocs de béton de Mol

La thèse(2) de Fatemeh Salehnia porte elle aussi sur la modélisation du comportement de la roche mais avec deux différences notables par rapport à la précédente. Tout d’abord, elle utilise des données en provenance du site belge de Mol. Creusé lui aussi dans l’argile… mais une argile n’est pas l’autre : celle de Mol est plus « superficielle » que celle de Bure (200 m contre 500), l’âge n’est pas le même, la porosité  non plus (7-8 % à Bure, près de 50% à Mol), la perméabilité est faible à Mol mais celle de Bure est encore 10 à 100 fois plus faible. Autant de différences qui nécessitent des études particulières. Seconde différence, essentielle : à Mol, il y a des soutènements alors que ce n’est pas le cas à Bure. « Mon travail, explique la jeune chercheuse, a donc été d’étudier non seulement le comportement de la roche mais aussi celui du soutènement et l’interaction entre les deux types de matériau ». La roche de Mol est en effet bien plus déformable que celle de Bure. Impossible donc de laisser des galeries sans soutènement, dont la conception a évolué au fil des années et des études. La solution qui a finalement été adoptée est celle d’un soutènement en blocs de béton.
Concept supercontainer

(2) From some obscurity to clarity in Boom clay behavior: Analysis of its coupled hydro-mechanical response in the presence of strain localization, Salehnia Fatemeh, Université de Liège, 2015, thèse de doctorat.

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